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Guerre du Sahara : 16 juillet 1977, l’avion du Commandant Kader abattu par le Polisario (3)
A Kader - C’est la dernière partie de ce compte-rendu de feu Colonel FALL Mahdoud qui date de juillet 1977 alors S/Lieutenant en service au GARIM (Groupement aérien de la RIM).
J’espère que cet extraordinaire récit et le comportement de ces hommes puissent nous inspirer et éveiller en nous les grands et nobles idéaux que sont le patriotisme, l’unité nationale et la tolérance.
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…… Le soleil avait déjà parcouru les 40 % de sa course journalière, nous avions consommé les 80 % de notre énergie.
Nous avions l’impression que plus on marchait en direction de l’épave, plus celle-ci s’éloignait davantage. Nous sommes arrivés quand même à l’atteindre pour nous écrouler à côté. A la recherche d’un peu d’ombre, nous nous sommes mis chacun sous une aile. Le soleil était maintenant à la verticale et avait redoublé d’intensité. La soif, plus que jamais se faisait sentir, la fatigue paralysait les membres. Mais nous gardions espoir encore. On s’attendait à quelque chose. Il fallait que cela se produise. D’où ? Comment ? Quand ? On ne pouvait le dire, mais on s’attendait à quelque chose quand même, il était 13H45.
Tout à coup un cri « Fall, ils sont là ! Les amis sont là ! » Je ne savais pas d’où sortait sortaient ces cris. Je fus animé momentanément d’une force hors du commun qui m’a propulsé à l’extérieur. C’était un rêve ! Le miracle s’est produit ! Je n’osais pas en croire ! Et pourtant les avions étaient là, à notre verticale ! Nous nous sommes sortis en courant et remuant les torchons que nous avions et qu’on utilisait pour nous protéger du vent et du sable qui nous pénétrait partout. Ils nous ont vus ? Ils ne nous ont pas vus ? Telles sont les questions qui traversaient machinalement mon esprit. On les voyait s’éloigner, s’éloignait. Ils deviennent petits, petits, infiniment petits microscopiques, alors à ce moment là, j’ai su que nos chances avaient pris les mêmes proportions. Sans rien nous dire, nous nous sommes retournés chacun à son gite, vaincus, désespérés. Impossible de rester dans telle ou telle position, j’avais le feu au corps ; la gorge entièrement desséchée et remplie de sable, les narines bouchées.
Ce vent de sable qui hier nous avait miraculeusement sauvés en nous enveloppant était en train de nous donner le coup de grâce.
Je me fis une raison. Plutôt mourir que de tomber entre les mains de nos ennemis. Il fallait une fin à tout. Nous avons lutté jusqu’au bout et le bout était atteint, nous nous sommes honorablement comportés envers la cause que nous défendons envers nous-mêmes. Pour nous, la lutte était finie, nous n’en pouvions plus. Sachant la fin s’approcher, j’ai sorti mon passeport et utilisant mes dernières forces physiques et mentales. J’ai adressé le message qui suit à mon peuple :
«Comme tant de nos compagnons, nous sommes tombés au champ d’honneur pour la sauvegarde de la dignité du peuple mauritanien, pour l’intérêt du peuple, pour l’unité nationale. Que notre sacrifice soit un exemple pour tous les hommes épris de justice et de paix. Nous perdons une bataille mais notre peuple gagnera la guerre. »
J’étais fier de moi et peu m’importait que ce soit l’ennemi ou nos amis qui retrouvent nos corps. Je me disais quelle volonté animait les fils de la Mauritanie et jusqu’où ils sont prêts à aller. Si c’était nos amis, notre peuple saurait que ses enfants sont tombés honorablement.
Après ces dernières pensées, je sombris dans le néant. Je ne sentais plus aucune douleur, aucune soif, aucune fatigue. Le temps de cet état à durer ? Je ne saurais le dire. Je baignais dans cet état comatique quand je perçus un bruit lointain, qui semblait me parvenir des entrailles de la terre. Je sentis une force surnaturelle me projeter à l’extérieur. C’était pas possible, ils étaient là, plantés devant moi ! Des hommes ! Nos amis ! Et je n’entendais plus que les hommes crier « ils sont vivants ! Ils sont vivants ».
Il était temps, on n’aurait pas pu tenu une heure de plus.
C’était la fin de notre cauchemar.
Fin du compte-rendu.
Qu’Allah accueille Feu colonel FALL Mahfoud dans son paradis. Vingt ans plus tard, il perdit la vie dans un accident d’avion militaire du GARIM au large de Nouadhibou.