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Contrôle des zones frontalières : Une faille pour la sécurité en Afrique
Les Afriques - Rencontré lors du Forum africain pour la sécurité (Africa Security Forum) qui s’est tenu les 12 et 13 octobre 2015 à Casablanca, Alain Juillet, président du FITS (Forum international des technologies de sécurité), évoque pour nous la problématique du contrôle des zones frontalières.
L’un des problèmes qui affectent la stabilité des différentes régions d’Afrique, c'est l’insuffisance du contrôle aux frontières. Avec des conflits comme la guerre en Libye, comment voyez-vous la situation du contrôle frontalier au niveau de la région du Sahel, notamment pour les pays qui n'ont pas beaucoup de moyens?
Le problème du contrôle des frontières dans les pays du Sahel tient à trois choses: la première c'est que depuis toujours, depuis mille ans, deux mille ans et plus, les gens circulent librement dans cette région. Il n'y a pas de frontières pour aller de la Mauritanie au Soudan.
Les gens circulent normalement en fonction des saisons, de la pluie, de beaucoup de choses. Donc, il est évident que ça continue. On ne peut pas arrêter d'un coup une circulation des gens qui se fait depuis deux mille ans, donc de ce côté-là ne rêvons pas. C'est très difficile de dire que les gens qui sont dans cette zone sont de tel ou tel pays, puisqu'ils circulent.
La deuxième chose, c'est que comme vous venez de le dire, les Etats pauvres, très pauvres même, ont un problème parce qu'il n'y a aucun débouché pour leurs ressortissants et pour leurs citoyens. Dans ce cas, les gens s'en vont.
Cela veut dire que d'un côté les gouvernements doivent pouvoir développer une politique de stabilisation des populations à travers l'installation de tout ce qui est nécessaire pour stabiliser les populations.
C'est un travail de longue haleine, cela ne se fait pas en un jour, des investissements sont nécessaires, et ces pays pauvres n'ont pas les moyens, il faut les aider.
C'est la première étape. La deuxième c'est d’attirer des industries et des activités extérieures pour que l'on puisse aussi stabiliser les populations en leur offrant des emplois. Stabiliser une population ce n'est pas seulement mettre une école et créer des puits, c’est aussi créer des emplois, ce qui n'est pas simple dans des pays très pauvres.
Et le troisième volet, c'est un problème qui est lié aux deux autres. Dans ces pays très pauvres s'est développée une économie de troc, les gens n'ont pas d'argent et ils essaient l'échange: une chose contre une autre.
Et sur cette dernière s'est fait une économie de contrebande avec les cigarettes, l'essence, la drogue, maintenant avec les migrants, parce que c'est une économie illicite puisqu'on touche de l'argent sur les passages de migrants et autres.
Et à partir du moment où il y a du troc et des opérations illicites sur la cigarette, la drogue, les migrants, les armes, et bien vous avez toujours des groupes criminels, des organisations criminelles qui viennent et qui s'installent.
Et comme l'Etat est faible, elles se développent, et puis il y a des groupes terroristes qui pour les mêmes raisons s'installent et se développent. Il y a tout un ensemble. Et pour lutter contre cela, il faut effectivement contrôler les frontières pour réduire la contrebande, mais ce n'est pas évident.
Mais aussi réduire la corruption parce que l'on sait très bien que si la frontière est mal gardée ou que les gens se laissent corrompre, cela ne sert à rien, donc il faut des frontières qui soient bien surveillées, mais avec des gens qui puissent le faire bien.
Bloquer aussi les trafics, mais d'un autre côté ce n'est pas suffisant, on doit offrir aux gens des possibilités de se développer, de vivre convenablement.
C'est tout un ensemble. On ne peut pas faire que de la répression. Alors comme le disait le coordinateur européen dans la lutte contre le terrorisme, c'est vrai qu'il faut absolument que les pays d'Afrique, en particulier dans la zone sahélienne, travaillent de plus en plus en associations pour ces problèmes-là.
Puisque les gens se déplacent, on doit les suivre, d'où l'intérêt par exemple que l'on mette dans ces pays-là des passeports ou des cartes d'identité biométriques pour pouvoir vraiment les identifier. Si c'est la même carte, le même système dans tous les pays, alors évidemment à ce moment-là on peut suivre les gens, chose qu'aujourd'hui on ne peut pas faire.
Au vu de tout ce que vous venez d'évoquer, n'est-il pas nécessaire de penser à mettre en œuvre une nouvelle forme de coopération sécuritaire?
Bien sûr, la coopération inter-pays au niveau africain est d'une absolue nécessité. Quand on voit par exemple ce qui a été fait pour la piraterie dans le Golfe de Guinée, il y a eu un accord entre les pays et ça marche, la piraterie a réduit. L'union militaire contre Boko Haram aussi marche puisque celui-ci a des difficultés maintenant.
Il est parfaitement possible en Afrique de mettre des accords entre les pays pour travailler ensemble, mais ce n'est pas suffisant car les pays d'Afrique même s'ils ont la volonté, ils auront besoin d'une coopération internationale, ne serait-ce que pour leur apporter des éléments techniques qui vont leur permettre d'être plus efficaces.
La carte biométrique, il y a trois ou quatre fabricants sérieux de cartes biométriques dans le monde, c'est clair qu'il faut aller vers eux. Il y a des négociations à faire, il y a beaucoup de choses, mais il faut aller vers les fabricants.
Entretien réalisé par Ibrahim Souleymane