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Nouvelle d’Ailleurs : Bon anniversaire, Habib !
Le Calame - Si je devais m'arrêter, revenir sur toutes ces belles années que j'ai passés au Calame, si je devais retenir une chose, c'est la rencontre, lumineuse, avec Habib Ould Mahfoudh. Ceux qui l'ont connu savent l'homme qu'il fut, l'humour dont il faisait preuve, sa culture profonde et curieuse, son regard pointu sur le monde qui nous entoure et son amour pour notre pays. Il y a des rencontres qui changent une vie. Celle-ci en fut une.
Cette semaine, nous fêtons le millième numéro de notre journal. Habib n'est plus là et, en même temps, il est terriblement présent. Il fait partie de notre histoire. Que signifie la mort physique, quand le souvenir, l'âme de quelqu'un, est restée attachée à cette aventure, ce journal, qui fut sienne, qui EST sienne ? Pleurer l'absence, nous savons faire.
Nous ne faisons que cela. Mais fêter la présence perpétuelle, nous ne savons pas. Nos morts disparaissent. Ils ne deviennent, pour ceux qui eurent un destin quasi national, que des façons de dérouler, encore et encore, notre propension à la louange.
Habib n'est pas mort. Il ne peut mourir. Ceux qui pensent que Habib est mort se trompent. Ne l'entendent-ils pas ? N'entendent-ils pas la résonance de ses « Mauritanides » ? N'entendent-ils pas l'actualité de ses mots et coups de gueule ? Nous sortons le numéro 1000 et Habib est de la fête.
J'entends son rire, j'entends le tintement des verres de thé sur le bureau, j'entends la musique qui sort de son bureau.
Il va finir son verre de thé et allumer une cigarette. Je lui dis « Habib tu fumes trop ! ». Il me répond « Toi aussi… ». Dans cinq minutes, il va éteindre la lumière, piquer un somme et nous nous ferons rappeler à l'ordre, parce que nous faisons trop de bruit...
Tout à l'heure il remontera dans sa vieille voiture et il ira faire un tour, on ne sait où... Cette voiture, je l'appelle la pirogue zigzagante et quelque peu branlante : tu écopes à l'avant, elle prend l'eau à l'arrière !
Elle est la reine des bruits nouveaux qui apparaissent de ci, de là. Habib en est le capitaine au long cours, Roi en son royaume de ferraille... Puis il reviendra et présentera son texte. Et moi, je lui demanderai, comme d’habitude, dans quel coin de sa fertile cervelle, il est encore allé chercher tout ça. Et nous rirons...
Ainsi se déroulent les heures, les jours... l'aventure. Nous sommes mardi. Il fait nuit. Je n'écris bien que la nuit, dans le silence des choses. Tout à l'heure, mon papier va passer à l'inspection.
Mansour va traquer les fautes d'orthographe, entre deux vidéos vues sur son ordinateur et de la musique à tue-tête... Ahmed ould Cheikh sera dans son bureau, fera des incursions dans les autres, nous pressera de « ton papier ! », sur tous les tons, de l'ordre à la demande, en passant par l'ordre-demande...
Les mardis, le patron court dans tous les sens, pestant que nous n'allons pas assez vite. Il rouspétera parce que je fume. Je lui répondrai que j'ai razzié ce droit et que moi seule ait un cendrier. Il râlera pour la forme mais, galant et vu que je suis le seul élément féminin de ce petit monde de mâles, il encaissera, avec résignation, mes cigarettes et la fumée qui les accompagne.
Alioune va me faire des litres de thé. Il m'en faut. Il n'y a rien de plus jouissif que boire du thé, manger du m'burru beurre et fumer une cigarette... et de faire semblant de travailler. Nous sommes Mardi. Nous fêtons le 1000° numéro. C'est quelque chose, un numéro mille. D'abord, ça a trois zéros.
Ce qui n'est pas donné à tout le monde. La plupart de nos mâles se contentent d'un seul zéro, le truc mi-moustaches, mi-mini-barbe qui s'affiche fièrement autour de leur bouche. Les femmes peuvent, parfois, se vanter de posséder deux zéros (géographiquement, c'est situé au bas du dos). Mais trois zéros précédés d'un 1, c'est du lourd.
Les commémorations ne sont questions que de zéros. Avouez que dire « nous allons fêter le 900° numéro », ça fait maigre et Tiers-monde affamé. Non. 1000 est un bon chiffre. Mardi prochain, nous serons passés au 1001° numéro. Deux zéros. Et puis, 1001° numéro, ça fait un peu trop mille-et-une nuits ou la chronique de l'impertinence.
Bref... C'est notre anniversaire. On y tient, nous les Nous Z'Autres du Calame ! On y tient comme à notre couverture, à notre fly tox, à notre verre de thé et à nos militaires-présidents.
En ce jour de gloire et de festivités, je n'oublierai pas de remercier tous ceux qui ont permis, par leur existence même, au Calame de continuer son petit bonhomme de chemin et de fêter ses 1001 bougies :
les vents, les militaires, les militaires-militaires et les militaires-coup d'Etat, les CMSN, les 1991, le PRDS, l'UPR, la bolitik, les hommes d'affaires, les rectifications, les communiqués numéro Un, les communiqués numéro deux, la SOMELEC, le BASEP, les boutiquiers, les ânes, les chameaux, les agents recenseurs, les taximen, les poules, les coqs, les dattes, les moustiques, les Z'humains, les Nous Z'Autres, les Vous Z'Autres, l'amour, la mort, la pluie, les inondations, les élections, les tribus, les peshmergas, les puces, les tiques, les niébés, le Dialogue, le Monologue, les boycott, le FNDU, la tristesse, les naissances, les partis et les dé-partis, les soutiens, les éclairés, les ralliements, la pêche, le fer, la SNIM, le poisson, les grèves, les limogeages, les détournements, la corruption, la faim, la soif, la misère, les prisonniers, le crédit, les conseils de ministre, l'AMI, la TVM...
Alors bon anniversaire à vous tous qui me lisez, depuis tant d'années, sans avoir encore tenté de me faire rejoindre mes ancêtres, au nom de la paix publique. Bon anniversaire aux collègues qui « montent » tous les jours et qui font que Le Calame sort toutes les semaines, tempêtes ou pas. Bon anniversaire, Patron ! Au passage, si je peux suggérer une augmentation... Je me contenterais d'un seul 0 de plus... trois seraient de la gourmandise.
Bon anniversaire à moi-même qui ai « blanchi » dans ce Journal et fais partie, et des meubles, et des murs, et de la plomberie. Bon anniversaire, Habib !
Salut.
Mariem Mint Derwich