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La fin du régime fondateur : le récit d’Abdallahi Ould Bah, dialogué avec Mohameden Ould Babbah (3ème partie)
Le Calame - Le printemps de 1989 et les successions putschistes
Caractères du moment : 2001
Enregistrement magnétique sans retouche de l’entretien avec les deux derniers ministres de la Défense, du président Moktar Ould Daddah - à Nouakchott, l’après-midi du dimanche 22 Juillet 2001, chez le Dr. Abdallahi Ould Bah.
Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge
Mohameden Ould Babbah m’excusera, je l’espère, de n’avoir pu le consulter avant cette publication.
Pour le Président et ses coéquipiers, c’était (le) « Doyen ».
Conventions:
AB = Abdellahi Ould Bah
MB = Mohameden Ould Babbah
**** de l’arabe et non traduit
BFF = Ould Kaïge
BFF - Les événements de 1989, comment les avez-vous vécus chacun ? Parce que Le Monde a plutôt donné raison aux Sénégalais, et en tout cas par le nombre des morts et par les atrocités, c’est un événement qui paraît plus important que le putsch, beaucoup plus important que Février 1966 !
MB - Non, 1966, ce n’est rien. C’est un petit truc comme ça…
BFF - oui, c’est très interne.
MB - Tandis que 1989, c’est grave, c’était très grave ! C’était très grave, et nous avons vécu dans … l’indignation, la peur, et vraiment nous ne nous reconnaissons plus dans ce rôle-là !
BFF - Comment cela a-t-il commencé ?
MB - Cela a commencé par les incidents qui ont eu lieu, au Guidimakha, entre éleveurs Peulhs et paysans. Les Maures n’y étaient pas d’ailleurs, sur l’autre rive du Fleuve. Il se trouvait que les paysans étaient des Sénégalais et les éleveurs étaient des Peulhs. Et il y a eu des morts, deux ou trois.
Plutôt plus que d’habitude, oui mais vraiment c’étaient entre des gens… comme cela arrive partout, avec le Mali, pas avec le Sénégal en principe. Et il faut dire que le ministre de l’Intérieur a très mal géré cette affaire.
BFF - C’était un militaire.
MB - C’était un militaire. CIMPER ! Il est parti au Sénégal, peut-être exliquer ce qu’il s’est passé, mais il s’est comporté mal, et il a dit à la télévision, nous avons rendu aux Sénégalais leurs cadavres – en riant –
BFF - il a dit cela, comme ça ?
MB - Il riait… alors les Sénégalais étaient choqués, choqués parce que l’expression…
BFF - … elle était très violente,
MB - elle était indécente. Et il ne voulait pas être violent.
BFF - Il ne s’est pas contrôlé.
MB - C’était tout simplement de la bêtise. Alors, on a commencé au Sénégal le pillage des boutiques…
BFF - … des magasins maures.
MB – Cela s’est limité aux marchandises, il n’y avait pas de victimes. Après, ici, on a mis la barre très haut, on a dit que les Mauritaniens sont massacrés, on a amené même un de nos diplomates, Cheikhna Ould KHATTARI qui a été malmené.
On a mis le feu aux poudres. Et on a préparé bien l’opinion, mais l’opinion n’a pas répondu. L’opinion n’ayant pas répondu, je crois qu’on a organisé des commandos. Les services secrets, des commerçants, des policiers… des gens sous-développés mentalement.
On a organisé des commandos, des gens qu’on a payés, des services parallèles, et on les a envoyés sur les médinas. Et alors là, cela a commencé véritablement… ah ! N’importe quoi ! Quoi ! C’était la rage, la haine.
AB - Je ne pensais pas que des choses comme ça pouvaient se faire.
MB - Non ! Jamais. Attention, je me trouvais avec des Français à l’Institut pédagogique, qui, à un moment donné, ont abandonné l’établissement. Au troisième jour, je les convoque pour des explications.
BFF - Oui, pourquoi, ils ne sont pas à leur poste ?
MB - Ils m’ont dit : nous avons reçu, dans notre Ambassade, l’ordre de rester chez nous. On nous a dressé un campement derrière l’Ambassade et on nous a dit que le pays va s’enflammer. Je dis toujours : les Français n’ont jamais rien compris, il n’y aura pas de guerre civile.
Si vous regardez bien dans la rue, vous ne verrez jamais une bagarre entre Maures et Noirs, ceci est une affaire organisée en dehors du peuple, par des salauds ! Et il n’y aura pas de guerre civile, parce que chacun de nous a pris sur lui de protéger tous les Noirs qui sont autour de sa maison. Dieu sait que j’en avais des Burkinabés et des… je les ai gardés chez moi.
AB - Ce n’est pas dans notre mentalité,
MB - … et puis nous n’avons rien les uns contre les autres. Et puis c’est devenu comme ça… ça bagarre, on s’embrasse, il n’y a jamais de haine.
AB - En réalité, nos compatriotes du sud, juste avant…
MB - ils ont un peu exagéré…
AB - ils devaient être calmes.
BFF - Il y avait une montée de tension.
AB - Ils te regardent avec beaucoup de haine.
MB - Il y avait effectivement … Dans les transports en commun, oui, on voyait souvent des femmes maures malmener des gens.
AB - Moi, j’ai vu à l’hôpital, des infirmiers, ils te regardaient avec beaucoup de haine, et des trucs commme ça…
MB - Je ne sais pas pourquoi à l’époque.
AB - Je ne sais pas pourquoi, mais je crois qu’ils… je ne sais pas ; peut-être que les gens qui étaient au pouvoir, avaient des éléments sur quelque chose qui se tramait. Mais la réponse a été disproportionnée. Moi, j’étais à l’hôpital… d’ailleurs dès que j’ai vu ça, je suis sorti. Le jour-même, j’ai vu des taxis qui viennent amener des gens morts, ils les balancent comme ça…
MB - Oui, il y en avait un grand nombre dans l’enceinte de l’hôpital.
AB - Je suis parti de l’hôpital, j’ai dit, cela ne se fait pas… parce qu’il faut traiter les gens de façon humaine ; ils m’ont dit, vous ne savez pas ce qu’ils ont fait à Dakar, ce qu’ils ont fait à nos compatriotes ! Et puis, nous avons demandé à l’oulema : notre réponse est celle-là.
Le lendemain, il y avait un ingénieur, je crois, d’ailleurs je viens de cette région, du Trarza. Ils sont venus le voir chez lui, ils lui ont donné un coup de massue sur la tête.
Il a été emmené à l’hôpital et ils ont pris, je crois, le téléviseur, des petites choses comme ça. Et puis après, ils sont revenus avec des gens qui les encadraient manifestement ; il n’y avait plus personne, les enfants – je crois, qu’ils étaient chez moi, il y a des femmes qui sont venues les chercher, il y avait un chef d’état-major adjoint, un de leurs parents, qui est venu les chercher.
Ils ont amené tout leur matériel chez moi, leur réfrigérateur, comme ça, et puis ils sont venus pour ouvrir la maison. Je suis allé à leur rencontre, avec trois ou quatre employés de maison, on leur a dit, écoutez, ça suffit.
Le monsieur est à l’hôpital, on ne sait pas s’il va vivre ou non, les enfants ne sont plus là, il n’y a plus rien à prendre : ne restez pas dans cette maison. Il y a l’un d’eux qui m’a dit …
Je vais te raconter cette histoire, retournez là d’où vous venez … En tout cas, ils sont repartis, sans chercher à ouvrir. J’ai vu après des gens qui cherchaient la maison.
MB - Il était au courant, Maaouya, parce que moi, j’ai appelé son cousin, Ahmed Ould Sidi Baba [i]. Je lui ai dit, écoute…
BFF - oui, qu’est-ce que tu en penses ? –
MB - … est-ce tu sais ce qu’il se passe ?
AB - Est-ce que tu es au courant, oui ?
MB - Il me dit, oui. J’ai téléphoné à Maaouya, il m’a pris au téléphone. Je lui ai dit, monsieur le président, est-ce que vous êtes au courant de ce qu’il se passe ? Oui, je suis au courant. On s’en occupe ! Et il a raccroché.
BFF - Ah, oui ! contact coupé avec Sidi Baba.
MB - Donc, c’était vraiment gratuit, il y avait comme visa valable du côté de nos frères du sud, une montée un peu de l’orgueil qui était désagréable, parce qu’elle touchait les gens faibles, les femmes, et ils voulaient vraiment rendre l’atmosphère… Mais de l’autre côté : je ne voyais pas tellement une réplique qui se préparait. Je n’ai pas eu cette impression à l’époque. On entend beaucoup de plaintes, mais vous savez ça a été le cas.
AB - Je ne pensais pas que notre pays pouvait réagir de cette façon. Les Sénégalais qui sont…
MB - Non, par ailleurs, notre morale, notre civilisation, ce n’est pas comme cela qu’on aurait fait. On aurait dit aux Sénégalais, vous êtes chez vous, vous êtes là sous notre propotection, protection de nos lois, si vous voulez partir, on vous emmène chez vous. Ah, mais BABAH sinon, on ne renvoie pas des gens comme ça. C’est contre toute règle morale du pays. Et contre le droit international, on n’a pas le droit de faire ça.
BFF - Alors, ça a fait un mouvement énorme des populations dans les deux sens.
MB - Cela a fait surtout un mouvement énorme de gâchis. Vous savez Abdou DIOUF, il a été maladroit, il a dit à Maaouya à la radio, j’ai ici 540.000 Mauritaniens, et je vais vous les envoyer. En réalité, on n’a reçu que 200.000.
BFF - Oui, la moitié !
MB - J’ai dit, une fois, à Maaouya dans une discussion très animée. A propos de sa gestion de la crise, contre toutes les faiblesses de sa gestion, il est resté quelque 200.000 et quelques de nos compatriotes et les quelques dizaines de milliards qui sont leur propriété.
Cela n’a rien à voir, ils ne payent pas les impôts, ils ne s’assurent pas, ah, lui ! il était à brader tout cela. Donc tout cela était mal géré. Et vraiment, c’est horrifiant… Il n’y a pas de raison, pas de rationnalité.
BFF - Et cela reste une plaie vivante, ou cela commence à se tasser ?
MB - Cela se tasse, çà se tasse : je ne suis pas allé au Sénégal depuis 1972 (1992 ?) mais on m’a dit …
BFF - … depuis tellement de temps ?
MB - … ni en France d’ailleurs, mais j’avoue que les Mauritaniens ont mis du temps à retourner, et ceux qui sont retournés, ne sont pas nombreux ; ils essaient de ne pas pousser de racines, ils ramassent leur petit magot,
BFF - … et ils repartent,
MB - … et ils ne s’implantent pas. Il y en a qui ont récupéré leurs biens fonciers, et là…
BFF - ils restent ?
MB - non ! Ils le vendent, tout ce qui n’était pas foncier est parti, et peut-être des centaines de milliers… de gains, de l’argent, çà c’est parti.
BFF - On dit que Wade l’actuel Président, a joué un rôle en 1989 ? auprès de Diouf ou bien auprès des masses sénégalaises. Vous l’avez entendu dire : ça ?
MB - Wade, dans sa propagande à l’époque comme opposant, il jouait beaucoup sur la corde très sensible chez les Sénégalais, de mettre au pied les étrangers. Et là :
BFF - oui, trop d’étrangers au Sénégal
MB - il faut entendre : les Mauritaniens, pour l’essentiel. Ce sont des usurpateurs, des… etc… mais c’était un thème de propagande. En réalité, arrivé au pouvoir, il a fait tout le contraire, il s’est pris d’un grand amour pour Maaouya, selon ses propos. J’espère que c’est du jeu.
Il rit… Il a été malin, parce qu’on a failli avoir une crise avec Wade. Il n’y a pas un an, pour les bras du fleuve Sénégal… Maaouya a mis en alerte ses troupes et s’est mis à préparer d’ailleurs les Noirs pour la guerre. En fait, ses troupes n’étaient pas à pied d’œuvre, d’après ce qu’on m’a dit d’ailleurs il rit…
AB - Ils ont dit d’ailleurs qu’ils n’avaient pas les moyens.
MB - Et Wade, très malin, africaniste et voulant jouer un rôle –
BFF - oui, international
MB - Mandela ou autre, je le vois à toutes les sauces maintenant, etc… Il a reculé, il a dit à Maaouya, une guerre ? non ! mais ne jouons pas avec le feu, cette affaire laissons-là, ce n’est pas un joujou, je n’y ai pas touché. Je n’ai touché à rien depuis qu’Abdou DIOUF est parti, venez voir : soyons amis. Et il est venu voir Maaouya.
AB - C’était son premier voyage.
MB - Oui, et il est venu. Et il a vu qu’il a affaire à un imbécile, et il a joué à l’homme intelligent. Il l’a mis sous le bras, sous le coude, il l’a flatté, il l’a invité à ses festivités, parce que Maaouya étouffait, depuis dix ans qu’il n’est pas sorti.
BFF - Il a beaucoup de peine à se faire admettre…
MB - Il a eu une bouffée d’air, et il est venu encore en visite officielle ici. Donc, Wade a bien joué. Il a très bien joué.
BFF - Beaucoup mieux que DIOUF à l’époque ![ii]
MB - Ah, oui ! oui ! Il est en train d’amadouer Maaouya, qui d’ailleurs lui envoie en contre-partie des petites choses, des cadeaux, sous toute autre forme, à effet récurrent…
BFF - Tout ça n’est pas sain, mais ça flatte…
MB - Cela flatte… les relations se font comme ça, mais c’est très inégal. Wade est en train de nous regarder comme des troufions.
BFF - On retrouve l’attitude de SENGHOR, au départ. Je suis beaucoup plus cultivé, etc…
MB - Cela, il l’inscrit dans un cadre beaucoup plus élaboré ! plus humain, d’ailleurs Moktar a eu la même crise avec SENGHOR, à propos de l’île de T… nom que je ne saisis pas
BFF - Où est-ce qu’elle est, cette île ? [iii]
MB - Et je crois qu’elle est sous les eaux… ce qu’a dit SENGHOR à l’époque, il a dit, nous sommes en train de nous casser la g… pour une bêtise.
BFF - C’est vers le barrage ?
MB – non ! très en aval ! Ce sera sous les eaux, une fois le barrage… Donc, ces événements sont regrettables. Heureusement le mouvement qui a eu lieu ici, n’a pas été un mouvement populaire, bien que les Maures aient eu conscience qu’il y a danger partout. Et la Mauritanie n’est pas la même.
Dans les régions de l’est, c’est sensible. Dans les régions du nord, moins… mais quand même. Dans la partie sud qui est le ventre mou, le Trarza, le Brakna, le Gorgol, on est tellement …
BFF … imbriqués que ce n’était pas possible…
MB - Et c’est ça un peu la carte.
BFF - C’est un peu la manière dont ça s’est passé ! Et çà se résorbe.
AB - ça se résorbe.
M- ça se résorbe, mais encore… les Maures ont pris une leçon au Sénégal.
BFF - Et ça c’est irréparable.
MB - Parce qu’ils étaient chez eux, ils ont investi,
BFF - depuis beaucoup de générations, vous teniez beaucoip de choses…
MB - … ils tiennent beaucoup, ils tiennent le commerce, ils tiennent beaucoup de choses. Voilà que maintenant en un clin d’œil, tout est parti. Il faut dire que Maaouya a fait beaucoup de bêtises, mais parlant de cette situation avant les événements, surtout le comportement de nos frères du sud.
Je crois que Maaouya a eu un résultat : directement ou indirectement, mais c’était quand même… nos frères du sud se sont calmés. Il y a eu un apaisement… c’est la force, et il les a vraiment matés [iv].
BFF - Et les gens de valeur finalement n’ont pas trop crié ?
MB - En définitive, en définitive, il y a quelque chose de dramatique chez nos frères du sud, c’est qu’ils ne peuvent pas vivre sans l’Etat, ils ne sont pas comme les Maures.
BFF - Ils sont beaucoup plus subventionnés, dépendants de l’Etat.
MB - Les Maures…
BFF - vous avez une économie traditionnelle qui peut se passer de pratiquement tout !
MB - Depuis que vous les avez colonisés, depuis le XVIIème ou le XVIIIème siècle, être agent de l’Etat, c’est quelque chose d’extraordinaire,
BFF - oui, c’est les Français du sud ! On a la même chose, avec les Corses et autres, on ne s’en sort pas… ils rient.
AB - Voilà, voilà !
MB - Il y a cette… c’est là leur faiblesse. Dès que l’Etat leur a tourné le dos, il n’y en a pas…
BFF - Or, il y avait un déficit d’Etat, depuis une dizaine d’années, depuis le putsch.
MB - Eh oui, mais eux ils vivaient de ça quand même, en tous les cas, ils étaient dans le système… administratif, l’Etat… et réellement il y a eu les événements, quand on les a un peu indexés, on a beaucoup licencié, on a beaucoup renvoyé, il y a eu des situations dramatiques, qu’on ne sait pas, des choses abominables. Ça a donné un coup terrible.
BFF - Un coup d’arrêt.
MB - Moi d’ailleurs, j’ai dit à certains amis : vous n’êtes pas courageux. Pour ne pas résister.
BFF- Ils se sont laissé faire…
*
* *
Comment est-on passé d’Haïdalla à l’actuel ? Il y a eu un coup de force pour que TAYA prenne la place d’Haïdalla ?
MB - Ah oui, c’est vous, les Français …
BFF - c’est les Français qui ont...
MB - C’est clair !
BFF - Clair comme de l’eau de roche !
MB - Ce monsieur-là est venu me voir, Maaouya était en visite à Atar avec LACAZE, à l’Ecole militaire. Le lendemain, il vient me voir dans ma case de brousse là-bas et il me dit : bon, cousin ! Tu sais que Maaouya va faire un coup d’Etat.
BFF - Vous êtes le spécialiste en renseignements pré-coups d’Etat ! tu es…
AB - Non, ce n’est pas un renseignement,
BFF - une intuition !
MB - Parce que Maaouya, il est malade,
AB - il a dit non ! on en en a pour quarante ans avec Haïdalla!
MB - il est malade, il veut aller à Chine, comme Ambassadeur. Il est déjà… Nous le connaissons déjà, il est inexistant, il passe entre les doigts. Il me dit : BABAH, j’ai vu, j’ai regardé cet homme … et là en passant en revue les troupes, avec le Général LACAZE, il me paraît être un homme qui a peur d’être vu.
BFF - C’est l’impression que j’ai eue…
MB - Il me dit… il tend sa main en essayant de…
AB - C’est lui le chef d’état-major. Il vient avec le Général LACAZE, et LACAZE l’oublie, en cours de chemin, il part avec Ould Boukreiss passer les troupes en revue … alors quand ils viennent presque au niveau des troupes, LACAZE se rend compte que Maaouya est resté derrière, et dit à Boukreiss, retourne pour le voir. Et …
BFF - … ça fait drôle !
MB - Cela fait drôle, mais il a noté ça.
AB - C’est le chef d’état-major, et quand il vient nous dire au-revoir, Boukreiss lui dit : bon ! on serre la main, en forme, en au-revoir **** à bientôt, à bientôt
MB - **** dit Maaouya ?
AB - Il avait trop peur, ça se voyait.
MB - Moi, en tout cas, il m’a annoncé ça, avec une grande certitude. Ah oui ! ça se voyait.
BFF - Il avait peur parce qu’il avait quelque chose à cacher.
MB - Quelque chose sur le cœur.
AB - Quelque chose à cacher… il craignait d’apparaître… il aurait voulu volontiers se passer de la revue des troupes, et tout ça, et ne pas apparaître sur le cadre, de peur qu’Haïdalla certainement,Haïdalla était absent déjà.
MB - Mais là, vraiment c’était cousu de fil blanc, parce qu’il a dit qu’il n’a pas d’argent jusqu’à ce que… MITTERRAND lui a dit, on vous donne de quoi faire le voyage ! [v]
BFF - On l’a poussé dans l’avion,
AB - On l’a embarqué et l’autre a hésité jusqu’à la dernière minute. Taya, je l’ai vu après le coup d’Etat, avec les audiences qu’il nous a accordées : il m’a dit, je vous remercie de la confiance que vous avez toujours placée en moi. Mais quand même, il m’a dit, c’était une gageure de dire des choses pareilles. Je lui ai dit : ce n’était basé sur rien, mais c’était des impressions quand même. En tout cas, moi je savais toujours que je n’ai pas dit mon dernier mot.
BFF - Qui vous disait cela ? Haïdalla ou Maaouya ?
AB - C’était Maaouya.
BFF - Il a été un moment Premier Ministre de Louly ?
MB - Non, d’Haïdalla.
BFF - Et Louly, ça a été un passage ?
MB - Un passage-éclair, il est passé sous le…
AB - On m’a dit, je ne sais pas si c’est vrai ou non, qu’il n’a pas encore été mis à la retraite. Pourquoi ? Quelqu’un m’a dit que lors qu’ils voulaient le mettre à la retraite, en tout cas au début, Ould HAÏDALLA, ou Maaouya, il leur a dit, moi, je n’étais pas un Chef d’Etat, vous le savez ! Laissez-moi comme officier.
MB - Moi, je l’ai vu une fois, on s’est rencontré chez M’Bareck. Il m’a dit, BABAH, il ne faut pas te f… de moi, je n’ai jamais été président.
AB - Il leur a dit qu’il préférait son salaire d’officier et rester au moins dans l’armée, ils l’ont laissé, je crois…
BFF - Ah oui, c’est lamentable tout ça.
Je passe du coq à l’âne, parce que je crois que vous allez partir, puis moi aussi…
AB - Oui !
BFF - Ali Cheikh vous l’avez connu à Atar, parce qu’un ami, religieux, l’a rencontré ? un ami religieux français [vi]. Cet Ali Cheikh qui serait venu… qui est de la famille Cheïkh Malainine.
AB – Oui.,
BFF - Le religieux français m’a dit que l’impression qu’il avait eue, avec cet Ali CHEÏKH, avec qui il a passé deux ou trois heures, il lui a paru un homme de grande envergure spirituelle, authentiquement un spirituel.
Alors, je n’ai pas de raison de me méfier de ce religieux que j’aime beaucoup, qui est d’ailleurs ermite ici depuis vingt-cinq ans, peut-être en avez-vous entendu parler ? Il est pour l’instant à Toujounine, mais il a été dix ans à Atar. C‘est un Bénédictin. Vous, vous le connaissez cet Ali Cheikh ?
MB - Moi, j’ai dîné une fois avec lui. J’avoue que je ne le connais pas. Il paraît être un grand thaumaturge.
BFF - Oui, voilà : je crois qu’il fait des prodiges et des miracles.
AB - Moi, je ne le connais pas personnellement.
BFF - Il venait avec la guerre du Sahara.
AB - Oui, il s’est replié de la Seguiet-el-Hamra…
MB – Non ! non !
BFF - … de chez vous, du Tiris el Gharbia ?
AB – non !
BFF - il est natif d’Atar ?
AB - Il est de Rosso… **** non derrière Atar, il est de J’Reif.
BFF - C’est quelque chose qui est déjà derrière la passe d’Amokjar ?
MB - A l’ouest.
AB - Je suis venu en 1966 à Atar, faire deux mois à la place d’un médecin français qui était là-bas, personne ne parlait de lui, il faisait, c’était un cheïkh qui vendait au marché, qui faisait valoir son bétail.
En 1979, lorsqu’ils nous ont arrêtés là, j’ai demandé au Gouverneur qui était là-bas (nom que je ne saisis pas) il m’a dit, c’est un monsieur bizarre, on ne peut pas savoir exactement.
Mais, en tout cas, il m’a dit, moi, en tant que Gouverneur, je suis content d’avoir quelqu’un comme lui, parce que je sais que tant qu’il est là, il n’y aura pas de disette, les gens mangent beaucoup chez lui. Il vient…
MB - … un électricien m’a dit qu’il lui a installé une cuisinière de grande envergure.
BFF - On prétend qu’il est devenu riche.
AB - Très riche ! Il n’a pas volé à l’Etat. Tous les officiers, tout le monde venait le voir, et quand ils venaient le voir, comme quelqu’un
MB - Comme tu dis, cela s’est fait avec l’armée.
BFF - Il rassure l’armée au point de vue psychologique et spirituel. Même psychologique et spirituel.
BFF - C’est de la supersitition
AB - C’est quand même de la protection du pouvoir. Oui, à, l’époque, tout cela lui est venu d’une chose, pour laquelle il n’était pour rien, c’est que (Nous parlons tous à la fois, intranscriptible) que eux, ces Ahel-CHEÏKH MALAÏNINE-là, qui avaient été pris par le Polisario, les parents sont venus le voir, lui, à J’Reif, ils lui ont dit, je crois que c’était en 1977, ils lui ont dit, qu’il faut absolument que ces gens-là reviennent.
En même temps, ce qu’ils oublient, c’est qu’ils ont envoyé une mission chez KHADAFI. KHADAFI a fait une intervention auprès du Polisario et les deux jeunes MALAÏNINE sont revenus quinze jours après, et l’on a dit, c’est CHEIKH ALI. Les militaires n’acceptaient pas de se battre sans passer dans sa région et moi je suis passé deux mois à Ouadane,
BFF - … en résidence surveillée ?
AB - en résidence surveillée. Les gens, toutes les voitures militaires qui venaient, lui amenaient des choses et transportaient, pour lui, des choses qu’il voulait envoyer à Atar. C’est un grand commerçant. On m’a dit çà à l’époque. Un ami m’a dit : il faut qu’on passe le voir.
Cà ne va pas non ! Il m’a dit, on va être libéré. J’ai dit, je n’aimerai pas être libéré par lui. Et puis je pense que… et même s’il faut être libéré, je demanderai à HAÏDALLA, je préfère ne pas passer par lui. Là, c’est une protection, à l’époque, de l’armée. Et un peu je crois
MB - très mythologique !
AB - … et un peu molli pour casser la famille des Ahel Cheikh Sidya.
BFF - Oui ! on a trouvé quelqu’un dans le nord et on profite de ce que… pour…
AB - et on profite pour …
MB - Bizarrement, les Smacides ne l’aiment pas.
BFF - Alors que c’est pourtant le même coin !
AB - Ils ne le sentaient pas, mais je crois que les relations se sont beaucoup améliorées. Même au début, TAYA ne le blairait pas, cela a changé.
BFF - Il y a même une légende, que CHIRAC serait allé le consulter à Atar.
AB - On m’a dit que les Français même…
BFF - oui, viennent le consulter.
AB - Et que les Français lorsqu’il est parti ce soir à Paris, l’Ambassadeur a voulu le prendre en charge [vii]. Ah ! Ali Cheikh est allé à Paris ?
MB - Une fois, je crois.
AB - Deux fois, se soigner là-bas !
BFF - Et il est parti vraiment en roi.
AB - Et Maaouya aussi l’a pris en charge…je crois qu’il a eu beaucoup de prises en charge.
BFF - C’est un peu un encensement comme ces princes de la religion au Sénégal !
MB - Cela se mêle aux confréries,
BFF - ils ont du savoir et de la spiritualité !
AB - … ils sont des générations,
MB - ils se réclament d’une confrérie, lui il n’appartient à rien.
BFF - Il est arrivé comme un aérolithe ?
MB - C’est un météorite ou un épiphénomène.
AB - Et tout cas, il s’est manifesté ici, et vraiment les gens à un moment donné, les gens l’adoraient …
MB - Maintenant, vous venez, moi, j’ai vu : il a un grand complexe maintenant et ses audiences sont très difficiles. Et vous avez en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur cette place, des gens qui tournent auour du complexe.
AB - Et tant que tu n’as pas reçu l’autorisation de partir, tu ne peux pas quitter. Il faut que le Cheïkh t’autorise à partir, te reçoive, t’autorise à partir. Avec çà aussi, moi j’ai vu beaucoup de gens qu’il traite, ils apportent beaucoup de choses.
BFF - Ils payent…
AB - de l’argent, des chameaux, un cheval, mais lui aussi donne beaucoup…
BFF - Vous aviez en tout cas cherché à lutter contre ça dans les années 1970.
MB - Oui, mais malheureusement… on aura tout fait, Moktar a tout fait.
AB - Moktar a tout fait. Moi, j’ai vu que, vraiment ce qu’on a fait, apparemment ça n’embrayait sur rien ! parce que les…
BFF - Ah ! Vous avez l’impression, vous, qu’au total, quinze ou vingt ans d’efforts, c’est parti comme ça…
MB - C’est parti comme ça, en l’air… Il crie presque !
AB - Je sais ce que Moktar a fait pour lutter contre le tribalisme, la chefferie, les marabouts, les faux marabouts, tout ça. Dès le lendemain, les gens ont repris leurs habitudes, les militaires : c’est par famille ou par tribu.
BFF - Mais est-ce qu’il ne peut pas y avoir une troisième période où on pourrait rebâtir, retrouver les bons axes, tout en faisant…
MB - On ne peut rien faire dans ce pays sans une révolution !
BFF - Une vraie !
AB - C’est difficile…
MB - … qui remet tout sens dessus dessous
AB - C’est que les gens ont beaucoup d’intérêts, et ils n’accepteront pas finalement que ça change.
MB - Ce n’est pas comme au temps de Moktar. Au temps de Moktar, il n’y avait pas de lobbies. Maintenant, il y a des gangs, et des gangs et des lobbies, qui sont très bien planqués et qui ont des choses à défendre. Liés au régime. Le régime, c’est tout cela.
BFF - Alors, solution : une crise dans l’armée, ou bien des élections qu’on gagne ?
MB - Qu’on gagne ? Il ne faut pas rêver. L’armée aussi est f…
BFF - Il semble que la base n’est pas contente, ne vit pas…
MB - Elle est complètement désorganisée, terrorisée. Personne ne peut parler. On peut bavarder ensemble, l’armée, l’essentiel de l’armée est encore dans ses trous de la guerre du Sahara, sur la frontière, depuis maintenant vingt-cinq ans, ils sont mangés par les termites, par les poux, les amibiases, la bilharzioze… Prenez le fleuve, vous verrez avec la frontière, sans avoir à manger. Il y a un corps d’élite avec des hommes à Maaouya qui gardent bien l’ensemble autour…
BFF - Il y a une garde prétorienne !
AB - Il y a une garde qui, en principe, des gens en qui on a confiance… [viii]
MB - La tribu, les Smacides, il est chez lui.
AB - Et lui, vraiment, c’est un officier de renseignements et il a pris beaucoup de dispositions.
MB - Et dites-vous que, tout le monde ici, vous verrez, même chez Moktar, les mendiants, les chauffeurs…
BFF - On raconte. Les visiteurs ou les dires du Président, chez lui, dan sa petite résidence… là, à côté, sont espionnés.
MB - Bien sûr,
AB - Sûrement, il y a même des officiers qu’on voit à la porte qui note les allées et venues des visiteurs connus, les numéros des voitures qui sortent, maintenant quelqu’un qui a son turban, ils peuvent ne pas le reconnaître.
MB - Même les gens qui entrent chez Moktar pour le saluer. Donc, laisser le mystère s’installer, écouter.
AB - Ecouter, ne pas monter les gens.
BFF - C’est sa thèse à lui au Président :
MB – Moi, je voudrais qu’il garde le silence.
[i] - Ahmed Ould Sidi Baba, ancien ministre du président Moktar Ould Daddah, chef des Smacides (Atar) et donc de la trbu à laquelle appartient le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, au pouvoir depuis seulement quatre ans et demi au moment des événements d’Avril-Mai 1989
[ii] - mais il a bien mal « joué », sinon traîttreusement vis-à-vis du président mauritanien légitime, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, en Mai Juin 2009 – ou bien, la France ayant choisi le putschiste, ne pouvait-il faire que les apparences de l’hôte à Dakar
[iii] - lettre secrète du président Moktar Ould Daddah au président Léopold Sedar Senghor – début… (l’intégralité figure dans les mémoires du Président, en annexe au chapitre XV (l’unité africaine))
Nouakchott, le 23 Avril 1975
N° 21 PR
S E C R E T
Monsieur le Président et Cher Frère,
Dans ma lettre du 17 Mai 1970, j’ai soumis à Votre bienveillante attention la question de la souveraineté territoriale sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’Ile » de Todd au sujet de laquelle des divergences entre les points de vue mauritanien et sénégalais sont apparues lors de la Conférence tenue à Nouakchott les 7 et 8 avril 1974 entre les Ministres de l’Intérieur de nos deux Etats.
A mon sens il devait s’agir d’un malentendu passager et surtout très localisé pour lequel un règlement amiable approprié dans l’intérêt bien compris de nos deux Etats et de nos populations ne saurait constituer une difficulté majeure.
Votre réponse du 23 septembre 1974 qui a retenu mon attention à plus d’un titre paraît malheureusement infirmer cette vision des choses.
Par l’ampleur et la diversité de l’argumentation qui s’y trouve développée, votre lettre dépasse en effet le cadre de la question de la souveraineté sur « l’Ile » de Todd pour poser sous un éclairage juridique, historique et politique tout à fait nouveau pour nous, l’ensemble du problème de la frontière entre nos deux pays.
Tout en restant très attentif à toute proposition qui puisse sauvegarder les relations de fraternelle amitié et de bon voisinage tissées entre nos deux peuples au cours de leur longue histoire commune autour de cette frontière naturelle et en même temps trait d’union que constitue le Fleuve Sénégal, je me dois de vous rappeler à mon tour quelques uns des aspects historiques et juridiques de ce problème qui, Vous Vous en doutez bien, se situe au premier plan de nos préoccupations.
etc… = 14 pages
Son Excellence
Monsieur Léopold Sédar SENGHOR
Président de la République du Sénégal
D A K A R ../..
[iv] - tout le cycle de prétendus complots préparés par les originaires de la Vallée du Fleuve, depuis la diffusion à partir de Dakar – en Avril 1986 – de la brochure : Le négro-mauritanien opprimé… le mouroir de Oualata, « les années de braise »
[v] - le sommet franco-africain de Bujumbura au début de Décembre 1984, d’où le 12-12
[vi] - il s’agit de Dom Jacques MEUGNIOT 1927 + 2011, moine de Solesmes – ermite en Mauritanie de 1975 à 2005 : Kaédi, Atar, Toujounine
[vii] - il se trouve que Ali Cheikh a le même médecin que moi, au Val de Grâce, et que sans faire le rapprochement avec cet entretien, quand je consultai ce médecin – cela tombait peu après mon retour de Nouakchott – je remarquai une théière et un coffret traditionnels maures, flambant neufs, et en fis la réflexion au Pr. HOULGATTE.
Celui-ci me répondit que le cadeau datait d’un an et venait effectivement de Mauritanie, de l’imam de Mauritanie. J’ai alors indiqué qu’il n’y a pas cette fonction ou cette dignité là-bas, mais je ne fais le lien qu’en mettant au net cette présente conversation (7 Septembre 2001)...
[viii] - le BASEP, créé en 1987, dans la psychose des complots ethniques et que commande Mohamed Ould Abdel Aziz