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Monde Arabe – «Le Tambour suspendu» lu par Intagrist El Ansari
Le Courrier du Maghreb et de l'Orient - Chronique Kal Ansar - Le Tambour suspendu sort aux éditions de L’Harmattan, un an après le décès de Mohamed Elmehdi Attaher Al Ansari, l’amenokal de la tribu des Kal Ansar.
Zakiyatou Oualett Halatine, qui fut membre du gouvernement du Mali, est issue de cette tribu ; elle publie les mémoires du souverain touareg de Tombouctou, qui s’est éteint le 28 décembre 2014. Le livre dévoile, de l’intérieur, l’histoire d’une lignée.
Témoignage historique, c’est la construction de la république du Mali que l’on découvre en filigrane.
La chronique des Kal Ansar commence par le récit émouvant de Mohamed Elmehdi Attaher Al Ansari, qui avait été enregistré par l’un de ses enfants, entre 2009 et 2011. L’amenokal (souverain ou « suzerain » touareg), qui a été aussi le premier Touareg mis en avant sur la scène politique internationale, revient sur son parcours, son intronisation en 1946, puis sur ses relations avec l’administration coloniale française, et sur ses rapports avec la nouvelle république malienne, à partir de 1960.
La voix de Mohamed El Mehdi édifie le lecteur sur l’histoire politique des Touaregs, notamment au Nord-Mali, depuis la pénétration coloniale. S’appuyant sur des archives et les différents actes et conventions administratifs, de l’époque coloniale à l’avènement de la république du Mali, le récit de l’Amenokal témoigne des options prises, notamment au temps de la décolonisation, dont il avait été l’un des acteurs importants, responsable de l’échec du projet colonialiste de l’Organisation commune des Régions sahariennes (OCRS).
Le projet visait la prolongation de la colonisation française, l’ancienne métropole espérant garder la main mise sur les ressources sahariennes. C’est ainsi que Mohamed El Mehdi justifie ses choix: « À l’indépendance, il y avait très peu de cadres de chez-nous dans les rouages de l’État. Je fus pour ainsi dire le seul député touareg sous la première république.
Dès l’annonce du projet OCRS, je me fis le devoir de défendre la future république malienne, avec les ethnies qui la composent… Bientôt, l’Algérie sera indépendante, la Mauritanie le sera, la Côte d’Ivoire aussi et de toute évidence le Soudan Français le sera aussi.
Ma vision est que si la situation du Soudan ne se règle pas en même temps que toutes ces entités, nous resterons une pomme de discorde. Car ni l’Algérie, ni la Mauritanie, ni la Côte d’Ivoire ne seront prêtes à céder une partie de leur territoire.
Donc, si les Français veulent que cette partie soit indépendante, ce n’est pas au moment où chacun de ces pays, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Algérie et Soudan Français sont dessinés, qu’ils vont reconstituer une entité composée de morceaux de chacune de ces entités ! »
C’est ainsi que la partie nord du Mali actuel avait été rattachée à l’ensemble du reste du pays, dès l’indépendance, en 1960. Mohamed El Mehdi explique la promesse que lui avait fait le premier président du Mali : « Le Président Modibo m’avait dit que, si le Soudan venait à prendre son indépendance dans ses limites actuelles et une fois que le colon nous aura donné notre indépendance, qu’il y aura la démocratie, l’égalité des citoyens du sud et nord, de l’est et de l’ouest, il veillerait personnellement à ce que plus de cadres touaregs et du nord en général soient dans l’administration, dans l’armée, la justice, etc.
Qu’il veillerait à un équilibre. Chaque communauté gèrerait ses affaires dans un pays commun. Il y aurait des écoles tant au nord qu’au sud et pour toutes les communautés… »
Les propos du vieux sage sont recoupés, par l’auteure, par des sources officielles et scientifiques, issues d’archives anciennes ou contemporaines.
L’ouvrage revisite par ailleurs avec ambition l’histoire palpitante des Kal Ansar, sur près de 2.500 ans, du Yémen à Tombouctou, et via Médine.
Au départ, deux tribus cousines : les Aws et Al-Khazraj ; d’origine yéménite, elle s’exilèrent, chassée du royaume de Saba par la destruction du fameux barrage de Ma’rib. Elles s’installèrent alors à Yathrib (qui deviendra par la suite Médine), aux côtés des tribus juives qui y vivaient.
À l’avènement de l’Islam, le prophète Mohammed arrive à Médine ; c’est l’hégire. Il est accueilli par les Aws et Al-Khazraj, qui seront les premiers convertis à l’Islam. Ils deviennent les partisans et compagnons du prophète, d’où le qualificatif « Ansar » que l’envoyé de Dieu leur attribue pour désigner spécifiquement ces deux tribus d’origines Yéménites qui ont été importantes dans l’évolution et la propagation de l’Islam. Tout allait bien, jusqu’à la période de la discorde (la fitna), qui advint suite au décès du prophète Mohammed. C’est alors que les Ansar furent contraint à un nouvel et que la tribu se dispersa dans différentes directions.
L’ancêtre des Touaregs Kal Ansar est un dénommé Sanb (ou Sanba) ; il s’installe en Egypte, au VIIème siècle. Sanb Ibn Yahia est l’arrière petit fils, au quatrième degré, d’Abî Bakr al-Arabî al-Ansârî, juge à Médine en l’an 87 de l’hégire et gouverneur de la ville de 97 à 101.
La descendance de Sanb poursuivra son exil jusqu’au Maghreb (le Maroc), puis en Andalousie, avant de gagner le Sahara. Elle observera un serment de non-violence, dix siècles durant, du VIIIème au milieu du XVIIIème siècle. C’est Mohamed El Moctar, dit Infa (le bienfaisant) -vingt générations séparent Sanb de son arrière petit fils Mohamed El Moctar- qui instaurera la dynastie Kal Ansar, au milieu du XVIème siècle, dans la région du Sahara occidental.
Les membres de la tribu creusèrent les premiers puits au nord de Tombouctou. Ils développèrent l’agriculture dans cette vaste région désertique, jadis inhospitalière. La timinia (le règne) des Kal Ansar, atteindra son apogée aux XVIIème et XVIIIème siècles, avec l’amenokal Hammada Al Ansari, arrière petits fils de Mohamed El Moctar.
Leur ettebel (le tambour qui symbolise chez les Touaregs la souveraineté politique et militaire d’une entité géographique et sociale) rompt avec le serment des ancêtres, à partir de 1752, lorsque les Peulh du sud et les Maures du nord-ouest menacent la stabilité de la région en proie à des attaques et razzias. C’est alors que les Kal Ansar s’organisèrent pour protéger militairement l’espace qui était sous leur domination politique.
Mais Mohamed El Mehdi insiste bien sur le caractère intrinsèquement défensif des leurs armées. Ceux-ci « n’attaquaient jamais », ils se cantonnaient à la riposte et à repousser l’ennemi en cas d’attaques.
Des sources et archives citées par Zakiyatou Oualett Halatine évoquent les différentes batailles qui ont eu lieu à l’époque (milieu du XVIIIème siècle) jusqu’à la pénétration coloniale au cours de la dernière décennie du XIXème siècle. À l’arrivée de l’armée coloniale française, les Kal Ansar, sous l’amenokal Mohamed Ali, dit In Gonna (amenokal des Kal Ansar de 1865 à 1898), résistent militairement, avec à leurs côtés des Touaregs Imouchar, dans la région de Tombouctou.
In Gonna fut le dernier Touareg de la région mort en résistance armée, face aux troupes coloniales. Ce n’est qu’après lui que les Kal Ansar acceptèrent un pacte avec la puissance coloniale, beaucoup mieux armée.
C’est cette longue histoire, du Moyen-Orient au Sahara, que relate Zakiyatou Oualett Halatine, au fil des pages…
L’auteure confronte aussi plusieurs sources, auteurs francophones et arabophones, des récits d’anciens et des testaments historiques recopiés de génération en génération. Elle ouvre le vaste champ de l’histoire des Touaregs.