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Dr Mariella Villasante : Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie (Suite et fin)
Adrar-Info - Négritude, tribalisme et nationalisme en Mauritanie. Les héritages coloniaux en matière d’idéologie et de commandement
« Dans cette contribution, je présenterai quelques réflexions sur deux héritages idéologiques et politiques laissés par la France en Mauritanie.
Des héritages associés à ce que Ranger (1983) nomme la manipulation des coutumes inventées par la colonisation. Il s’agit, d’une part, de l’idéologie de la Négritude ; et d’autre part, de l’idéologie de la « tribalitude », terme ouvertement ironique par lequel j’aimerais exprimer la manipulation des sentiments d’appartenance à une « tribu » (selon le classement colonial, « un groupe lié par le sang ») de la part des divers gouvernements mauritaniens.
La Négritude et la tribalitude ont partie liée avec l’émergence du nationalisme aussi bien en Mauritanie qu’au Sénégal voisin. En effet, au Sénégal, la Négritude a joué un rôle d’importance chez les élites dirigeantes du pays en tant qu’idéologie d’unification nationale.
Alors qu’en Mauritanie, la manipulation des sentiments identitaires des « tribus » bidân arabophones commencée par les colonisateurs fut réaffirmée par les gouvernements indépendants qui établirent une équivalence fallacieuse entre les valeurs « tribales » des Bidân et les valeurs nationales des Mauritaniens.
Néanmoins, la Négritude qui souligne les valeurs positives des « Négro-africains », et la tribalitude qui, associée à l’arabité, souligne les valeurs positives des Arabes, représentent avant tout des idéologies indigénistes qui insistent sur le repli identitaire et la différence ; des valeurs fort éloignées de l’unité nationale et de l’égalité entre tous les citoyens nécessaires pour la construction des États-nations modernes. » (Villasante 2014 : 515).
Quelques idées centrales
• Le système politique colonial transforma de manière radicale les pratiques et les conceptions politiques locales en introduisant un cadre rigide et codifié de contrôle social fondé sur les « races », les « tribus » et les « ethnies », opposé à la fluidité sociale locale. Cependant, les classements coloniaux furent appropriés et manipulés par les élites africaines en général et mauritaniennes en particulier.
• Les idées sur la Négritude ont été exposées dans un texte antérieur « La Négritude : une forme de racisme héritée de la colonisation française ? Réflexions sur l’idéologie négro-africaine en Mauritanie, in Marc Ferro (dir.), Le Livre Noir du colonialisme (Villasante 2003 : 726-761).
Les idées sur la « tribalitude » et le nationalisme se fondent sur des données recueillies lors divers séjours de terrain à Kaédi (Gorgol), à Kiffa (Assaba) et à Nouakchott (1986 à 1988, 1991, 1994-95, 1998, 2000) ; actualisées à Nouakchott (2002, 2004 et 2006).
La notion de Négritude
• La Négritude, conceptualisée surtout par Senghor, est une forme de racisme essentialiste et différentialiste héritée de la colonisation qui pose une entité humaine comme distincte et qui considère en particulier que tous les « Noirs » sont unis par leur commune appartenance de « race ». Cette dernière aurait ainsi des valeurs et des qualités spécifiques et différentes : la sensibilité émotive, l’humour, le sens de la musique et la danse.
Cette manière de voir, qui pose l’identité sociale comme une essence fondamentalement différente des autres, est complètement étrangère aux conceptions de l’Autre au sein des sociétés africaines. Ces dernières se fondent en effet sur plusieurs facteurs de culture et d’histoire partagée, changeant dans le temps, dans lesquels l’appartenance de « race » n’est jamais exclusive, prioritaire ou essentielle.
• Il est certain que l’influence de l’idéologie de la Négritude concernait et concerne les élites « négro-africaines » et beaucoup moins le peuple qui n’a pas accès aux écrits de Senghor sur le thème.
Mais ce sont les élites qui commandent et qui organisent les manières de penser et d’agir des citoyens ordinaires, raison pour laquelle je ne pense pas qu’il soit déplacé ou anachronique d’établir un lien entre cette idéologie et les événements politiques qui ont marqué la Mauritanie et le Sénégal pendant les deux dernières décennies du XXe siècle.
L’héritage colonial des idées racialistes fut commun à toute l’Afrique, mais ce fut seulement dans un pays, le Sénégal, et dans les Antilles françaises, qu’elles furent réappropriées par des intellectuels occidentalisés tels Senghor ou Césaire, puis utilisées comme des bannières politiques.
• Avancer que l’idéologie de la Négritude est une forme de racisme différentialiste, hérité de la colonisation française, peut sembler scandaleux ou provocateur ; pourtant, cette proposition n’est pas nouvelle. Elle a été évoquée par Vincent-Mansour Monteil dans son livre L’Islâm noir. Une religion à la conquête de l’Afrique (1986).
• D’autres auteurs ont abordé le thème de la Négritude à partir d’une perspective distancée et objective. Ainsi, abordant le thème du différentialisme social, Pierre Bourdieu note, dans son livre La domination masculine (1998 : 70), que « la Négritude à la manière de Senghor accepte certains traits de la définition dominante du Noir, telle la sensibilité, [mais] elle oublie que la « différence » n’apparaît que lorsqu’on prend sur le dominé le point de vue du dominant et que cela même dont elle entreprend de se différencier (…) est le produit d’une relation historique de différenciation. »
• En outre, Michel Wieviorka note dans Le racisme, une introduction (1998 : 22) : « les dominés aussi peuvent s’approprier le thème de la race ». Pour Wieviorka : « le racisme est bien plus qu’une simple idée d’exclusion ou de refus d’altérité ». Défini de manière plus précise, il implique « la présence de l’idée d’un lien entre les attributs ou le patrimoine (physique, génétique ou biologique) d’un individu (ou d’un groupe) et ses caractères intellectuels et moraux. » C’est dans ce sens que je considère que la Négritude est une forme de racisme différentialiste.
• Dans son livre Culture et impérialisme, Edward Said (2000 : 306) évoque la Négritude en tant que concept issu des nationalismes indigènes, dont font aussi partie le fondamentalisme islamique et l’arabité.
Pour Said, ces nationalismes indigènes expriment la position des métis (culturels surtout) débarrassés de leurs servitudes actuelles qui découvrent leur « moi précolonial » — les deux autres positions étant celle de l’indigène bourgeois non tourmenté par la collaboration avec les Européens, et celle des métis conscients de leur passé mais qui ne s’interdisent pas de se développer.
Said note plus loin (2000 : 325-326) que la Négritude est une forme d’essence métaphysique qui a le pouvoir de tourner les êtres humains les uns contre les autres, et qui fit l’objet d’une critique foudroyante de Soyinka, en 1976, fondée sur le syllogisme raciste de l’opposition entre Européen/Africain.
Or cette forme d’indigénisme considère son identité comme exhaustive et s’enferme dans une sorte de repli identitaire que Said appelle à rompre pour ne pas s’enfermer dans sa communauté, avec ses rites, son chauvinisme et son sentiment d’insécurité appauvrissant.
• Wole Soyinka, écrivain et philosophe, prix Nobel de littérature en 1986, présente une critique serrée de la Négritude dans son livre Mythe, Literature and the African World publié en 1976 (non traduit en français). C’est là qu’il écrit : « un tigre ne proclame pas sa tigritude ».
Il commence par la définir comme une idéologie fondée sur des bases fausses de l’ordre social, associées à la reconstruction d’une psyché raciale, à l’établissement d’une entité humaine distincte et à la glorification des attributs des Noirs, position très proche de ce que nous avons appelé le racisme différentialiste.
— La deuxième proposition de Soyinka est que la mise en avant des valeurs de la Négritude ne se fonde pas sur un véritable effort pour étudier le système africain de valeurs sociales, mais plutôt sur une vision européenne et manichéenne des sociétés et sur ses syllogismes racistes.
— La troisième proposition critique de Soyinka concerne la participation d’intellectuels européens dans la création de la Négritude. Soyinka expose ainsi de manière fort instructive et claire la participation de Jean-Paul Sartre dans le processus de création et de légitimation d’une idéologie qui fut intoxiquée par ses idées marxisto-raciales.
• Le thème de la Négritude reste cependant peu étudié, et l’on peut se demander si cela est dû à la difficulté de penser le racisme chez les dominés, pour utiliser le langage de Bourdieu (1982). Il est également probable qu’on n’ose pas rappeler que la Négritude fut défendue par Senghor, membre de l’Académie française, et que cette idéologie de la différence raciale fut largement légitimée par d’illustres intellectuels français tels Sartre, Griaule, Balandier, Gide ou Monod, ce qui remettrait en cause leurs apports à d’autres problématiques sociales.
• On peut conclure en affirmant que l’idéologie de la Négritude est un avatar de la colonisation française en Afrique de l’ouest. Elle découle d’une sorte de colonisation idéologique par laquelle les idées occidentales de classements raciaux des sociétés humaines sont adoptées et revendiquées par des intellectuels bourgeois africains, tel Senghor.
En Afrique, la Négritude a contribué à la construction d’une vision politique de défense des droits des Noirs opposés surtout aux Arabes. En France elle alimente le communautarisme des associations de Noirs, opposés aux « Blancs ».
La notion de « tribalitude »
• Dans la Mauritanie postcoloniale, les « chefferies tribales », les « tribus » et les « sentiments tribaux » ou tribalitudes, hérités et transformés par la colonisation française, ont été utilisés comme des sources de commandement politique par les divers gouvernements mauritaniens, dans le cadre d’un discours et d’une pratique officieuse.
Dans les années 1980-90, les tribalitudes furent orientées vers la défense de l’arabité conçue comme opposée à la négritude ; depuis cette époque le clivage ethnique conçu en termes de « race » oppose (dans le langage politique courant) les « Arabes » aux « Négro-africains ». Cela est particulièrement sensible dans le cadre de l’esclavage et des origines des hrâtîn, dont Meskerem Bhrane [1997, 2000 et supra] montre la complexité actuelle.
• Or, le soi-disant « revivalisme tribal et ethnique » actuel, même s’il se fonde sur des sentiments identitaires restreints toujours agissants qui n’ont jamais cesser d’exister, est largement ravivé, soutenu et manipulé par les dirigeants du pays eux-mêmes dans le but d’empêcher l’émergence d’une société civile et démocratique digne de ce nom.
Les « tribus », tout comme les « ethnies », sont ainsi utilisées comme des sources identitaires « ancestrales » qui devraient rester loyales à l’État indépendant, comme elles l’étaient jadis à l’État colonial (Villasante Cervello 2006).
Ahmed ould Deid, amîr du Trârza, 1937 et Abderrahmane ould Bakar, amîr du Tagant, 1937
(©Collection Hamody)
La couleur de la peau n’a pas d’implication statutaire chez les Bidân
Ahmed et Abderrahmane étaient des Bidân [hassanophones], la mère du dernier était hartaniyya,
mais leurs pères étaient bidân, libres et nobles
Négritude, tribalitude et nationalisme en Mauritanie
• Note sur les recensements
Les recensements en Mauritanie [1977, 1988, 2000, 2011, 2013] ne tiennent pas compte de la langue, de « l’ethnie » ou des statuts de liberté/servilité depuis le sondage du SEDES de 1965.
Selon cette enquête, la population totale était de 1 030 000 habitants, dont 80% étaient hassanophones, divisés en groupes « Maures blancs », bidân (38%), et « Maures noirs », hrâtin (42%, esclaves et affranchis confondus). Les communautés noires (halpularen, soninké, wolof et bambara) représentaient 20% du total de la population. Le sociologue Francis de Chassey [1972] avance qu’il y avait, à cette époque, 13% d’abîd et 29% d’affranchis (cité par Cheikh 2001 : 12, note 32).
Jacques Brenez (1971), chargé de l’enquête du sedes, précise par ailleurs que la région du fleuve était habitée par environ 240 000 personnes, ce qui signifie que les nomades étaient environ 790 000.
Tenant compte de ces chiffres, Ould Cheikh (2001 : 12) avance que la moitié de la population hassanophone est insérée dans les groupes serviles. Cependant, tenant compte du plus grand nombre de naissances chez les groupes serviles, Meskerem Bhrane (1997) estime qu’ils représentent plus de la moitié de la population hassanophone.
En l’absence de données sur la population des Noirs, qui a du diminuer durant les années 1989-2004, en raison des expulsion massives, mais dont une partie est revenue au pays après 2004, on peut estimer qu’ils représentent au moins 20% de la population totale. Si les hassanophones représentent 80% de cette population, alors le nombre de « hrâtin » se situe entre 50-60% de la population du pays, soit aux alentours de 2 millions de personnes.
• Données démographiques ONS 2015 (résultats provisoires) http://www.ons.mr/images/rgph2013/rsum%20rsultats%20dfinitfs%20rgph%20mauritanie.pdf
3 537 368 mauritaniens / environ 2/3 de personnes a été recensée dans le nouveau registre civil biométrique
50,7% femmes, 49,3% hommes
- 15 ans = 44,2% / – 10 ans = 30% / 15-59 ans = 50,2% / +60 ans = 5,6%
Taux mortalité : infantile = 10,9% (2013), mortalité maternelle 582/100,000
PEA 44% : Agriculture, élevage, pêche (28%) Commerce (26%) Administration (22%) Construction (7,6%)
Analphabétisme : femmes (36%) hommes 29%
Taux de pauvreté : 42%
• Déportés et apatrides : Rapport ofpra 2014 www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/rapport_de_mission_en_mauritanie_2014.pdf
En 1989, l’État mauritanien a organisé l’expulsion d’une partie de la population négro-mauritanienne.
Les estimations varient quant au nombre d’individus déportés durant cette période.
Selon Abdoul Birane Wane, environ 120 000 Négro-mauritaniens ont été déportés. Pour sa part, un journaliste rencontré à Nouakchott indique que, selon des estimations réalisées par les autorités mauritaniennes à partir de 2008, leur nombre serait compris entre 50 000 et 100 000.
A la suite de ces déportations, les autorités ont entrepris une politique d’expropriation des terres appartenant aux déportés au profit de populations arabo-berbères. Ainsi, selon Fatimata Mbaye, dans la vallée du fleuve Sénégal, 312 villages habités par des Négro-mauritaniens ont été détruits en 1989, puis repeuplés par des Harratines.
Près de 24 000 déportés ont été rapatriés par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de 2008 à 2012. A ces 24 000 rapatriés volontaires, rentrés dans le cadre de convois HCR, s’ajoutent les déportés revenus spontanément en Mauritanie et sans assistance extérieure.
Le nombre de ces personnes rentrées spontanément n’est pas connu. Les estimations varient quant au nombre de rapatriés volontaires ayant pu se faire recenser : selon un journaliste rencontré à Nouakchott, « seuls 5 000 rapatriés ont récupéré des pièces d’état civil. Les autres sont en situation d’apatrides » ; pour sa part, un membre du HCR rencontré lors de la mission, estime que « sur 24 000 rapatriés, environ 35% ont pu se faire enrôler », soit environ 8 300 personnes.
Idées centrales
• La période coloniale a eu un impact décisif dans les reconstructions des ethnicités et dans la fabrication des identités sociales nouvelles en Mauritanie et dans le reste des pays colonisés. Dès l’installation du gouvernement du Général Faidherbe à Saint-Louis, les administrations coloniales françaises s’attacheront à classer, à énumérer et à fixer des identités et des traditions qui, une fois couchées par écrit, donnèrent naissance à un corpus de « traditions » complètement nouveau mais qui continua à être appelé « traditionnel » (Ranger 1983 : 251).
Faidherbe (1899) fut l’un des premiers idéologues de la distinction raciale entre « Maures » et « Noirs » et ses propos racialistes sur ces populations alimentèrent pendant longtemps les visions coloniales des administrateurs en Mauritanie et au Sénégal.
La diversité mauritanienne, Lycée Jedida, Nouakchott (RFI)
• La construction de l’unité nationale, tâche centrale du premier gouvernement mauritanien, fut rendue difficile par l’inexistence de traits protonationaux pouvant la légitimer. En effet, la principale source de distinction chez les nouveaux Mauritaniens était un classement colonial qui séparait racialement les « Maures » des « Noirs ».
De plus, les premiers étaient divisés eux-mêmes en deux groupes racialo-statutaires : les « Maures blancs » et les « Maures noirs », alors que les « Noirs » étaient classés selon leurs « ethnies » : « Toucouleur » (Halpular’en, Tukolor et Peul), Sarakollé ou Soninké (Mandé) et les communautés wolof et banmana [bambara] qui avaient choisi de rester sur la rive droite du fleuve.
Les recensements effectués dans le pays tenaient compte de ces clivages de « race » et étaient complétés parfois de données chiffrées sur les populations serviles de la société « maure », nommées « haratine ». Or, cette stratégie de dénomination classificatoire et statistique a contribué sans doute à l’émergence de nouvelles identités « raciales » et statutaires, inexistantes dans le passé précolonial.
• La distinction raciale en « Blancs/Noirs » fut alimentée dans les communautés africaines par l’idéologie coloniale de la Négritude qui se déploya dès 1930 sur les deux rives du fleuve Sénégal, habités par les mêmes familles pulaar, wolof, soninké et mandé.
• L’idéologie pan-arabiste s’est développé chez les Mauritaniens arabophones après les années 1960. En fait, la défense de l’arabité dans son sens strictement culturel fut affirmée par le Président Daddah, mais détournée ultérieurement vers un sens racial, chauvin et essentialiste par le président Taya (qui arriva au pouvoir en 1984 et subi un coup d’État en 2005).
• Le régime de Taya adopta une politique de racisme d’État contre les Noirs, accusés de fomenter des tentatives de coup d’État et d’œuvrer pour la division de la nation. Les violences politiques des années 1989-1991 [massacres de Dakar et de Nouakchott, déportations, expropriations] se situent dans ce cadre là, alimenté aussi par la propagande racialiste des politiciens Noirs imbus de l’idéologie de la Négritude, ouvertement anti-arabe et anti-bidân.
• Après 1960 et surtout dans la décennie de 1980 qui a suivi la grande sécheresse sahélienne, les sentiments communautaires fondées sur la « race » se sont polarisés entre les nationalistes noirs et les nationalistes arabes. A cette polarisation s’ajoute celle qui oppose les groupes libres et les groupes serviles de la société bidân, également existante chez les Noirs de Mauritanie.
La question politique actuelle, et la construction de la nation, se centre désormais sur le « statut racial » des hrâtîn, qui représentent plus de la moitié de la population, sont-ils des « Noirs » par leur « race », ou des « Arabes » par leur langue ? Quel camp politique vont-ils choisir ?
• En conclusion, on peut avancer que la Mauritanie reste dans une phase post-coloniale marquée par l’actualité des idéologies et des pratiques de commandement, fondées d’une part, sur les relations entre le pouvoir central et les notabilités locales, toutes communautés confondues.
Et, d’autre part, sur des distinctions collectives fondées sur la « race », sur les statuts et sur la langue. Dans son ensemble, la société mauritanienne reste profondément conservatrice, et les identités restreintes [« tribales » et ethniques] restent importantes dans la mesure où l’État, crée seulement en 1960, reste faible ou inexistant dans la majorité du territoire national, mal relié et avec peu ou sans services étatiques.
Post-scriptum
• L’émergence des partis politiques n’a pas transformé cet état de choses. Malgré leur grand nombre, en réalité ils se divisent entre le parti au pouvoir et les partis de l’opposition, divisés et affaiblis par leurs luttes internes, y compris le parti islamiste Tawassoul [proche des Frères musulmans], seconde force politique au pays depuis le boycott des élections des partis de l’opposition lors des élections de 2014. Les partis n’ont aucun programme politique cohérent, et ne représentent pas des bases sociales réelles.
Certains dirigeants (et tous les journalistes) ont un discours « modernisateur » et s’opposent aux « tribalismes » qui dominent la vie politique locale, régionale et nationale. Cependant, il n’existe pas à vrai dire un discours sur la « tribu » ni sur les « ethnies », et les discours des dirigeants sont faussés par le fait qu’ils sont issus, eux-mêmes, des milieux des notabilités « tribales », et qu’ils négocient leurs positions dans le cadre du factionnalisme ordinaire.
La « démocratisation » de la société, commencée en 1986, a rendu plus facile l’adhésion et le renouvellement des solidarités entre groupes unis par la parenté, ainsi que les luttes factionnelles qui transcendent la parenté filiative ou par alliance. Ce qui m’a conduit à parler de « démocratie tribale », qui reste cependant honteuse car éloignée des préceptes politiques « occidentaux ».
• La tribalitude reste un sujet tabou et en même temps il organise l’entière vie sociale et politique. Cette sorte de déni de réalité concerne les plus hautes sphères de gouvernement, et il inclut le négationnisme officiel autour de la permanence des formes extrêmes de dépendance, ou esclavage interne.
• Une source d’inquiétude récente est l’expansion des idées et des pratiques salafistes, favorisées par l’Arabie Saoudite, dans le pays. Les confréries qadiriyya et tijaniyya, jadis florissantes, sont en recul et c’est une pratique rigoriste de l’islam, complètement étrangère aux mœurs des communautés mauritaniennes, qui avance et s’étend notamment chez les couches pauvres et chez les groupes serviles.
Les pressions sociales vers un « retour aux traditions », et l’existence des courants obscurantistes, incluant une « police des mœurs », sont des signes indéniables d’une transformation anti-moderne de la société mauritanienne.
• Dans ce contexte, les violences verbales et physiques entre membres des groupes serviles et les groupes libres se sont multipliés au cours de trois dernières années. Des hrâtîn insultent et/ou attaquent des bidân, et parfois violent des filles bidâniyyat, chose inédite dans l’histoire locale. L’augmentation de la criminalité ordinaire entre groupes statutaires est dénoncée par la société civile et par les associations de défense des droits humains.
• Les seuls changements positifs et modernisateurs actuels proviennent des associations de la société civile qui défendent leurs droits civiques et leurs droits humains, et plus largement l’établissement d’un État républicain, démocratique, égalitaire et juste.
Vue de Nouakchott du 10e étage de l’Hôtel Khaima (©Villasante 2015)
LE PASSÉ COLONIAL ET LES HÉRITAGES ACTUELS EN MAURITANIE État des lieux de recherches nouvelles en histoire et en anthropologie sociale
Sous la direction de Mariella Villasante Cervello Avec la collaboration de Christophe de Beauvais Séminaire au Centre Jacques Berque Rabat le 12 janvier 2015 Dr Mariella Villasante Cervello [academia.edu]
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http://arabicstudies.in.ua/library/general/145.pdf
Villasante Cervello Mariella, 2014a, Sous la direction de, avec la collaboration de Christophe de Beauvais, Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie, L’Harmattan (novembre 2014).
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&isbn=978-2-343-01767-9
Villasante Cervello Mariella, 2014b, Chronique politique de la Mauritanie, Décembre 2014
https://www.academia.edu/9897214/Chronique_politique_de_Mauritanie_Décembre_2014
Villasante Cervello Mariella, 2015, Séminaire « L’histoire politique de la confédération des Ahl Sîdi Mahmûd, Assaba », Musée nationale de Mauritanie, sous invitation du Dr Ahmed Maouloud ould El Eydda, directeur du Centre universitaire de recherches sahariennes, Université de Nouakchott, le 15 décembre 2015.
https://www.academia.edu/19874099/Lhistoire_politique_de_la_confédération_des_Ahl_Sîdi_Mahmûd_Assaba_de_Mauritanie
— En préparation :
2016a, Histoire et politique dans la Vallée du Fleuve Sénégal, Mauritanie, M. Villasante et R. Taylor (dirs.), avec la collaboration de Christophe de Beauvais.
2016b, Groupes serviles en Mauritanie. La persistance des formes extrêmes de dépendance au Nord de l’Afrique [réédition augmentée et actualisée de Groupes serviles au Sahara, 2000].