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Les mères célibataires en Mauritanie : une voix inaudible
DuneVoices - Dans un centre de recensement situé au sud de la capitale Nouakchott, la jeune Mariam nous raconte comment elle s’est retrouvée marquée à vie du sceau de la honte, et cela où qu’elle aille et sans qu’elle n’ait eu la moindre responsabilité dans cette situation.
Elle est venue à la vie, nous dit-elle, du fruit d’une relation illégale qui avait uni sa mère à un homme. Aussi fait-elle partie de ce qu’en Mauritanie on appelle les « Froukha » (Bâtards).
La situation de Mariam n’est pas bien différente de celle d’Esselma, Khattou et Haw qui ont décidé d’affronter la société en se dirigeant vers les organisations de la société civile à la recherche de leurs droits confisqués.
En effet, en vertu de la nouvelle loi de l’état civil, elles sont privées, en même temps que leurs enfants, si elles en ont, du droit aux documents civils et à la carte d’identité, ce qui signifie aussi qu’elles sont privées à vie du droit à l’éducation et du droit à la fonction publique.
Le problème de Mariam qui a décidé de briser les chaînes sociales et de parler ouvertement de ses souffrances dans l’espoir de trouver enfin une quelconque forme d’équité nous renvoie à un phénomène social complexe dont les victimes se comptent par milliers en Mauritanie : il s’agit du fléau des mères célibataires.
Mbarka est une mère célibataire qui a préféré jusqu’à une époque toute récente souffrir en silence, avant de décider enfin de faire entendre sa voix à « Dunes Voises », étant persuadée, nous dit-elle, que l’avenir de son fils dépend de sa parole.
D’une voix enrouée, elle nous fait part de sa douloureuse histoire : celle d’un viol qu’elle avait subi, jeune, du temps où elle menait paître les moutons à la campagne. En effet, c’est après avoir été violée par un chamelier, qu’elle a donné naissance à son enfant unique.
Appartenant à la catégorie des Haratines, qui sont d’anciens esclaves et qui ne considèrent pas les « bâtards » comme une tare honteuse, elle s’est tant bien que mal habituée à cette situation. Mais elle a vécu un véritable drame lorsque son fils a décidé de passer son baccalauréat et qu’il s’est heurté à la procédure de l’enregistrement biométrique de 2012 et cela bien qu’ayant fait partie de la population recensée en 1998.
En effet, en vertu de la nouvelle loi, la présentation d’un certificat de naissance récent du père est obligatoire, contrairement au recensement de 1998 qu’elle annule et qui se contentait de la mention du nom du père sans qu’un document prouvant la paternité soit nécessaire.
Depuis ce jour-là, Mbarka ne cesse de multiplier les visites aux postes de l’état civil afin de trouver une solution au problème de son fils, en vain. Car le problème des « Froukha », dit-elle, est officiellement ignoré par les autorités mauritaniennes qui n’ont pas jusque-là réussi à faire reconnaître les victimes de ce fléau.
Mbarka se présente comme le porte-parole officiel d’une catégorie dont la plupart des victimes sont enclines à affronter en silence le regard impitoyable de la société. Elle explique que les mères célibataires jouissaient autrefois de tous leurs droits civils et cela malgré l’affront qui leur colle à la peau mais qu’avec la nouvelle décision du gouvernement mauritanien, leur situation, déjà bien lamentable, a empiré. C’est ce qui les a poussées à se rebeller en scandant le slogan : « Je veux les droits de mon fils ! ».
Selon des statistiques non officielles, la Mauritanie recense environ 500 nouveaux cas de mères célibataires par an. Cependant, ce chiffre n’est pas très fiable dans la mesure où certaines mères célibataires, notamment dans des milieux conservateurs, prétendent, afin de dissimuler le fait qu’elles aient enfanté en dehors du mariage, qu’elles avaient été mariées à des hommes disparus ou à des étrangers.
Des données que nous avons obtenues disent qu’il existe une relation forte entre les conditions sociales difficiles et l’augmentation du nombre de mères célibataires, en particulier dans la catégorie des Haratines (d’anciens esclaves) où ce fléau prends d’ailleurs des proportions effrayantes.
Les femmes de cette catégorie sociale travaillent d’ailleurs dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage ou encore comme aides ménagères dans les foyers et la majorité écrasante d’entre elles n’a jamais franchi le seuil d’une école.
Jusqu’à une époque toute récente, la société mauritanienne a soigneusement évité de parler du viol, ce phénomène que le sociologue Addou Ouelt Ehmednah considère comme la première cause de l’aggravation du phénomène des mères célibataires ces dernières années, même si, selon lui, il existe des cas, malgré tout rares, de rapports sexuels mutuellement consentis.
Le point de vue d’Ouelt Ehmednah est confirmé par L’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant qui démontre, chiffres à l’appui, l’étroite relation entre les viols et le fléau des mères célibataires.
L’association affirme dans ses dernières statistiques que près de 90 % des mères célibataires le sont devenues suite à un viol et qu’en même temps elles n’ont jamais osé porter plainte à cause des pressions sociales et de la nature conservatrice de la société mauritanienne.
Par ailleurs, une enquête réalisée par l’association Adam pour la Protection de l’Enfant et de la Société révèle que la plupart des victimes de viol appartiennent à des familles pauvres, tandis que 65 % d’entre elles sont impubères, 90 % célibataires et 23 % analphabètes.
La même étude montre également que le nombre des femmes violées qui se soumettent à un examen médical est insignifiant, ce qui s’explique par la peur du scandale et par le manque des centres de soins médicaux.
A son tour, l’initiative « Non à la pornographie » signale que plus de 800 cas de viol se produisent chaque année en Mauritanie, ce pays dont la population ne compte que trois millions de personnes seulement !
Le sociologue Addou Ouelt Ehmednah pense que ce qui ajoute à la souffrance des femmes victimes de viol en Mauritanie c’est l’omerta qui leur est imposée par la société. En effet, le phénomène du viol et sa conséquence directe (le fléau des mères célibataires) sont entourés de beaucoup de silence et de discrétion puisqu’il s’agit d’un déshonneur qui n’éclabousse pas seulement la victime mais aussi sa famille et atteint même sa tribu.
Nous avons tenté de transmettre les doléances de Mbarka et de Mariam, ainsi que celles d’autres victimes au gouvernement mauritanien et, plus précisément, à la commission de tutelle au sein du Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille en nous déplaçant jusqu’à son siège situé au centre de la ville de Nouakchott.
Mais, dès que nous avons expliqué la nature de notre mission journalistique, le chargé de communication du Ministère nous a fermé la porte au nez en disant : « Il n’existe pas de mères célibataires en Mauritanie ! »…
Nous n’avons pas été étonné de la réponse du responsable mauritanien et cela pour de nombreuses raisons qui nous ont déjà été révélées par les propos des victimes. Personne en effet ne souhaite évoquer ici ce phénomène dont les victimes se trouvent assiégées par un lourd silence douteux et par cette sorte d’opprobre dont les recouvre la société.
En effet, la loi du silence ainsi que la peur d’être poursuivie par la honte du viol et de ses lourdes conséquences dans la société mauritanienne ont influé négativement sur les lois et sur les législations de l’état qui traite ces deux questions avec une prudence et une pudeur traduites en pratique par une indifférence officielle.
C’est ce qui laisse en suspens l’espoir et les attentes d’une catégorie qui a son poids au sein de la société et qui attend impatiemment de voir venir enfin un gouvernement capable d’affronter les tabous de la société et de rendre justice aux victimes de ce phénomène.