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SOUVENIR : Tranche de vie : Partie 2
Adrar-Info - A ma grande surprise de grandes personnes apparurent vite, sales et maigres, suivies d’une horde d’enfants tout à fait nus se jetèrent sur nous comme des rapaces se partageant un gibier. Ils nous embrassaient de façon toute gauche au point où j’étouffai et poussai des cris d’horreur, ils me lâchèrent et je parvenai enfin à me libérer et prendre la fuite.
Mon père me rattrapa rapidement et me présenta, de force, à sa belle famille, tout en me disant qu’elle était dorénavant la mienne. Je me laissai faire, les yeux pleins de larmes, mais je ne sus faire la différence entre la vraie famille de Lalla et leurs voisins, car tout cela se ressemblait, à mes yeux.
L’intérieur des cases n’était pas fameux, meublé seulement de vieilles nattes d’azaran 2 (j’appris le nom plus tard). En m’installant sur les jambes de mon père, je pris le temps d’étudier chaque objet que je voyais pour la première fois, tandis qu’il discutait. Je cherchai ma sœur, Gouha, des yeux et l’aperçus entrain de faire descendre les bagages avec le guide – elle a choisi de servir et elle le fera jusqu’à notre dernier jour – et des enfants, les frères de Lalla, surement.
Nous passâmes la nuit dans une case identique à celle des autres. Seulement on était ensemble les quatre : Baba (mon père), Lalla (sa femme), ma sœur Noubghouha et moi.
Au petit matin je me réveillai en sursaut car des bruits sordides à fendre les tympans arrivaient à mes oreilles, je sortis la tête et découvris un paysage sinistre et médiocre et, un peu plus loin quelques maigres moutons dispersés à la recherche d’une herbe déjà sèche… et la montagne qui entourait le tout comme pour l’engloutir. Je détournai mon regard au moment où je sentis des yeux me fixer.
Un frisson me parcourut toute entière car je ne voyais aucune forme de sympathie dans ces yeux et un sentiment nouveau me parcourut l’échine pour la première fois : la peur. C’était la mère de Lalla, marâtre ou belle mère, la sorcière du village selon les voisins, comme je l’appris plus tard, qui me regardait intensément.
Elle s’activait à piler du mil dans un grand mortier, mais malgré sa besogne elle n’avait d’yeux que pour moi. Dans ces derniers, je lisais, sans difficulté, la haine.
Mais le pire ne tarda pas à venir : je demandai mon petit déjeuner, et pour toute réponse, mon père éclata de rire. Il me répondit qu’aucune boulangerie n’existe dans tout le bled.
Ce fut la goûte qui fît déborder le vase : je pleurai toute la journée Et, pour la première fois, personne ne venait pour me réconforter.
J’essayais de me rappeler qui j’étais vraiment Est-ce que j’étais toujours la benjamine de la famille, la « Zeïna » prénom que je portais avec orgueil et qui veut dire (belle).
Je me rappelais l’existence de ma sœur et allai la chercher. Je la trouvai recroquevillée sur elle-même. En me voyant arriver elle m’ouvrit les bras et m’y jetai avec tout mon désespoir et nous fondîmes en larme toutes les deux. Dans mon esprit c’étai la fin du monde, la vie stagnait, ne bougeait plus d’un pouce.
Les jours qui suivirent passèrent lentement sans apporter quelque chose de spécial sauf que je voyais rarement mon père, car il avait toujours quelque chose à faire et s’absentait souvent sans que je sache quand il était parti ni quand il devait revenir.
Avant, il était obligé de me faire des promesses avant de partir et il s’exécutait à son retour en m’apportant tout ce qu’il m’avait promis, j’étais sa fille chérie, j’étais celle que les voisines qui draguaient mon père choyait le plus (mon père était beau et toutes les femmes succombaient à son charme.) Mais malheureusement, son choix s’était posé sur Lalla, fille de villageois, qui appartenait à une famille pauvre et nombreuse, et qui n’était ni belle, ni cultivée.
Je me promenais toujours aux alentours des cases tout en évitant la grand-mère. Et souvent, je tombais sur des femmes qui parlaient de nous, de la richesse de mon père (car certainement dans le pays des aveugles les bornes sont rois).
Mais une fois j’entendis une conversation tourner autour d’un marabout qui avait prédit à mon père qu’il aurait un garçon de son nouveau mariage (ma mère ne lui avait donné que des filles ; nous étions trois et la plus grande était restée avec notre mère). Chez les familles conservatrices il est très important d’avoir des garçons pour la pérennité du nom de famille, dans la tribu.
Quand il apprit la prophétie, mon père ne s’occupa plus de moi. Quant il était à la maison, il ne quittait plus sa femme d’une semelle et me conseillait d’aller jouer avec ces diables d’enfants.
Il lui arrivait d’aller chasser avec les hommes du village, il était un grand chasseur, qualité que j’ignorais jusqu’au jour où il rapporta des daims et cerfs qu’il partage avec les voisins.
Un jour il est revenu avec beaucoup plus de gibier que d’habitude et décida d’inviter les grandes personnes de l’oasis et même ceux des villages voisins. Ce fut un grand remue-ménage et une grande agitation vers la grotte qui servait de cuisine ; j’appris par l’intermédiaire des domestiques que parmi les invités de mon père il y avait des notables qui venaient pour la première fois dans ce coin perdu.
Au zénith tout le monde était déjà en place, et les plats commençaient sur ordre de mon père bien sûr qui était en toute beauté ce jour là, avec un boubou neuf, bien rasé, il distribuait les tâches aux domestiques et à ma sœur. Je passai près de lui comme pour attirer son attention, mais il ne m’accorda pas un regard. Je fus quant même satisfaite du fait que je sois sa fille, chose pour laquelle les autres enfants m’envient car les femmes ne cessaient de chanter ses louanges devant moi.
Après que les invités se furent installés dans la partie salon du mahmel et leurs femmes de l’autre coté avec Lalla et que des calebasses pleines de lait (zrig 3) servies, le premier plat arriva et c’était des dattes fraîches comme dans la coutume, ensuite le méchoui avec son odeur alléchante qui me passait sous nez sans que je puisse y goûter.
Nos traditions interdisaient aux enfants de manger avec les grandes personnes, ils n’avaient droit qu’aux restes, – s’il en reste – ce qui arrive le plus souvent, mais ce jour là, il devait y en avoir car la nourriture était abondante. Seulement une chose à laquelle je ne m’y attendais pas est survenue ce jour de mauvais augure, Lalla expédia les restes chez ses parents en remettant les plats à ses frères qui étaient présents avec quelques pique-assiettes du village.
L’opération ne me plaisait pas, mais je me consolais en jetant un coup d’œil vers les marmites de couscous encore pleines en disant intérieurement que j’aurai une part, mais hélas les cuvettes de couscous à peine touchées par les invités déjà rassasiés suivaient le même chemin.
Cette fois-ci la situation me parut plus catastrophique que les précédentes, car il m’est formellement interdit de manger ailleurs que chez moi, et je sentais que tout était perdu de ce côté, mes yeux commençaient à me piquer, je ne voyais plus rien, je me retirai pour donner libre cours à mes larmes qui depuis un moment me brouiller la vision.
A suivre…/
Fatimetou Mohamed