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Nouakchott de civilisation
Libération -
Lauréat du prix HSBC de la photo, le Danois Christian Vium est exposé à Paris.
Repéré par le Foam Talents d’Amsterdam et le prix Lensculture 2015, Christian Vium est cette année le 21e lauréat du prix HSBC pour la photographie, avec Marta Zgierska. Boursier en anthropologie visuelle, le jeune Danois est docteur en anthropologie sociale et alimente par ses photos son sujet de prédilection, «La caméra, critique culturelle».
Il utilise la photographie, à l’aide d’un appareil moyen format, comme un outil parmi d’autres pour documenter ses recherches. Christian Vium est un photographe ethnographe ou un ethnographe photographe. Version XXIe siècle.
Pour son précédent travail, The Wake, il a interrogé les stéréotypes des archives photographiques des anthropologues Francis James Gillen et Walter Baldwin Spencer, qui travaillaient en Australie au début du XXe siècle. En demandant à des Aborigènes de rejouer certaines scènes captées par ses prédécesseurs, il a constitué un corpus d’images «bâtardes», qui prouvent que tous les regards ont changé.
Pour Ville nomade, exposé en ce moment à la galerie Esther Woerdehoff (Paris XVe), il nous emmène à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Au mur, une mosaïque en rhizomes visuels : cartes de pluviométrie, vieilles photos de famille, photogramme de film, page de journal agrandie et tirages pris par Christian Vium.
Des approches multiples, en pièces détachées, pour construire une vision d’ensemble de cette capitale, née du néant en 1957. Installée sur une zone de campements nomades et grossie de nouveaux arrivants au gré des sécheresses, Nouakchott ne ressemble à rien, vague juxtaposition de maisons en béton émergée d’un océan sableux. Ici, une paire de chaussures abandonnée, là, un panneau de basket siglé d’une pub pour un soda (photo).
La société de consommation est arrivée au cœur du désert. En 1958, Nouakchott n’était qu’un point d’eau avec 500 nomades vivant sous des tentes où seuls les chacals osaient s’aventurer. La ville ressemble aujourd’hui à un mirage. Jeune et paradoxalement déjà en ruine, elle renvoie une image brisée. Christian Vium tente d’en coller les morceaux épars.
Clémentine Mercier
Christian Vium Ville Nomade Galerie Esther Woerdehoff, 75015. Jusqu’au 16 juin. Et un livre, édité par Actes Sud, coll. «beaux-arts», 104 pp, 20 €.