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Education nationale : Un tableau sombre
Le Calame - Cette année, les centaines de milliers d’élèves mauritaniens des ordres fondamental et secondaire ont repris le chemin de l’école le lundi 3 Octobre 2016, à 8 heures variablement tapantes, sur l’ensemble du territoire national, comme l’indiquait le décret officiel fixant les ouvertures des établissements scolaires de la République Islamique de Mauritanie.
Seulement, voilà, lundi 3, c’était le premier jour de Mouharam (début de l’année 1438 de l’Hégire). Du coup, les ouvertures ont été reportées d’un jour. « Ouille ! », me dit, en bon plaisantin, un ami instituteur, « l’année commence déjà très mal ». Premier jour. Premier repos.
Pas vraiment signe de persévérance, de ponctualité et d’assiduité, principes cardinaux, comme chacun sait ou devrait savoir, de l’école. Comme chaque année, les services du ministère de l’Education vont organiser les mêmes rituels : visite de terrain des premiers responsables du département (ministre ou secrétaire général).
Certains établissements, préalablement identifiés, seront préparés à recevoir un staff composé de quelques hauts responsables. Qui nous diront, comme chaque année, « Toutes les dispositions ont été prises pour que l’année démarre dans les meilleures conditions ». « Rien ne manque ». « Tout marche ». « Parfait ! ». La TV Mauritanienne monte, déjà, quelques interviews express de quelques élèves, professeurs, encadreurs, parents, tous triés sur le volet, pour assurer que les conditions d’ouverture de cette année sont exceptionnelles.
Des problèmes structurels
Il va sans dire que l’école mauritanienne va mal. Si, le disant, cela servait à quelque chose, l’école se serait déjà sentie beaucoup mieux, puisque tout le monde en Mauritanie le dit : les enseignants, les élèves, les responsables de l’Education, le gouvernement, le Président, les partis politiques de la majorité et de l’opposition, toutes les centrales syndicales, toutes les organisations de la Société civile.
Les résultats des examens nationaux sont un indicateur éloquent de ce grave marasme. Les niveaux scolaires des élèves et des étudiants de tous les ordres en disent long comme un jour sans thé. Les curricula et les programmes, proposés dans les établissements, attestent du manque de synchronisation entre les réalités nationales et les apprentissages prodigués.
La gestion des carrières et des ressources humaines, les conditions de travail, l’injustice notoire dans les promotions, l’anarchie de la carte scolaire, la migration du personnel de l’éducation nationale vers d’autres départements, la gestion du secteur par des profanes, etc. constituent, entre autres, des obstacles à toute tentative de réforme d’une école qui ne sert plus, depuis longtemps, qu’engloutir inutilement un budget qui compte parmi les plus importants du pays.
La restructuration de l’école publique, en Mauritanie, ne semble pas d’actualité. Les recommandations des concertations nationales de l’Education et de la formation de 2012 sont restées lettre morte. Les écoles privées étrangères, notamment française, africaine, turque et autre écoles nationales d’excellence, permettent, aux plus nantis, d’assurer une relative bonne scolarité à leurs enfants.
Alors que l’immense majorité des enfants du peuple vont, à contrecœur, dans des écoles publiques qui ne servent plus, depuis longtemps, qu’à cristalliser les échecs et les frustrations.
Politique des contractuels
Depuis quelques années, le ministre de l’Education nationale recourt à des hommes et femmes appelés pompeusement contractuels qu’il emploie comme instituteurs et professeurs, dans les établissements du fondamental et du secondaire. Cette année, ses services estiment les besoins à 4500 contractuels, pour les écoles, collèges et lycées d’enseignement général : 3000 instituteurs et 1500 professeurs.
Cette politique de recrutement de personnes généralement sans niveau, aucunement formées et totalement profanes au métier d’enseignant, viserait à combler le déficit en personnel d’encadrement.
Or, avec plus d’une vingtaine de mille d’instituteurs sortis des Ecoles normales et pas moins d’une douzaine de mille de professeurs formés à l’Ecole normale supérieure, le ministère de l’Education nationale ne doit, normalement pas, souffrir d’aucun manque de personnel.
Mais, c’est à cause du laxisme, de l’anarchie et de la corruption qui prévalent dans ce secteur que des milliers d’enseignants (instituteurs et professeurs) sont complaisamment et à la pelle, affectés en compléments d’effectifs, conseillers pédagogiques et attachés administratifs, dans toutes les directions centrales du département, les inspections départementales, les directions régionales, et les autres ministères, y compris ceux de l’Intérieur et de la décentralisation, de l’Economie et des finances (où un instituteur est conseiller du ministre), aux Affaires étrangères et de la coopération, dans les ambassades…
Des centaines d’autres traînent leurs brides dans les écoles du Sénégal, du Mali et autre Gambie où ils sont largement en surplus, couverts par de fortes personnalités politiques, « notabilières » ou, même, religieuses, confrériques ou non.
Mesures courageuses
Cette année, une note de service, paraphée de la secrétaire générale du MEN, a affecté plusieurs centaines d’enseignants dans les établissements scolaires du pays. Ces fonctionnaires étaient « comptés » dans les directions du ministère. Une décision convenable et courageuse.
Le ministre et la secrétaire générale doivent aller jusqu’au bout, si les pressions politiques et tribales ne viennent pas à les dissuader. Surtout que cette tentative de ramener des milliers d’enseignants à leur travail est loin d’être une première.
Depuis quelques années, pas plus le MEN que son homologue de la Fonction publique n’organisent concours de recrutement d’instituteurs adjoints. Sans que personne ne sache pourquoi. Surtout si l’on sait que les instituteurs adjoints forment un corps légalement reconnu par les textes et dispositions de la Fonction publique.
Avec les écoles normales des instituteurs de Nouakchott, d’Aïoun, de Kaédi et d’Akjoujt, la formation de milliers de tels suppléants serait une occasion, pour le gouvernement, de résorber un tant soit peu de chômage et de rompre avec la mauvaise politique des contractuels qui n’a fait preuves que de magouille, médiocrité et détournement organisé des deniers publics.
Ce recrutement permettrait, aussi, de réhabiliter un corps professionnel national (les instituteurs adjoints) rendant ainsi, à des milliers de jeunes hommes et femmes, issus, en grande majorité, de milieux défavorisés, de revenir dans leurs pleins droits d’accès à la fonction publique.
Enseignants mécontents
C’est connu : Les enseignants sont des calculateurs, au sens arithmétique du terme. Certains vont même jusqu’à les affubler de trop aimer l’argent. « Qui n’aime pas l’argent ? », leur répondront-ils. Dans la perspective de réformer l’éducation, la révision des conditions de travail des éducateurs semble être un passage obligé, de l’avis de tous les experts.
Les enseignants de Mauritanie seraient très mal payés, comparativement à leurs collègues de la sous-région. Par ailleurs, la disparité des salaires, entre les fonctionnaires nationaux, constitue un véritable casse-tête que beaucoup ont du mal à comprendre.
Comment, dans un même pays, la différence, entre le salaire de deux cadres de même catégorie, peut atteindre plusieurs centaines de mille ? Les primes et avantages liés à la nature de la fonction ne peuvent pas, à eux seuls, justifier cet immense fossé. Il est grand temps que l’Etat réfléchisse à ces incohérences.
En termes d’indemnités et d’avantages, les enseignants et leurs encadreurs (les inspecteurs) sont, incontestablement, les dindons de la farce, dans cette ténébreuse affaire. Une maigre prime mensuelle de craie de 20 000 UM juste, pour les neuf mois de l’année scolaire. Une autre petite maigre indemnité d’équipement de 20 000 UM/an. Quelques 4 000 UM, pour le transport chaque mois.
La prime d’un chef de service de l’Education ne dépasse pas 25 000 UM, alors qu’elle atteint, parfois, 300 000 UM, en certains départements, comme les finances. Les inspecteurs doivent se contenter d’une prime mensuelle d’encadrement de 15 000 UM, en plus des 20 000 UM de transport, pour aller se « faire suer », entre une quinzaine d’écoles, dans les extrêmes de la ville.
Alors qu’ils s’attendaient à un impact financier, consécutif à la sortie du nouveau statut de la Fonction publique, les enseignants sont complètement désillusionnés, avec des augmentations variant de… 20 à 2 UM (oui, oui, 2, vous avez bien lu). « Mieux », certains ont vu leur salaire de Septembre amputé, qui de huit mille, qui de douze mille.
Dans son point de presse hebdomadaire, le ministre de l’Economie et des finances leur explique, dans un impeccable costume des magasins Champs Elysées, que c’est une erreur de l’application mise en œuvre pour moderniser la gestion du personnel. Mais que ça va aller. Un adage populaire dit: « Cherche un plus… », vous connaissez la suite. Les enseignants sont mécontents. Bonne rentrée scolaire.
El Kory Sneïba