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06-08-2018

07:54

Troisième mandat ou pas, la zizanie s’installe autour du Président Aziz

Abou Moussa Pandel - A moins d’un revirement kafkaïen, dramatique, il est peu probable que Mohamed Ould Abdel Aziz rempile pour un troisième mandat ;

Et même s’il décidait, à la dernière minute de se dédire, pour une raison ou une autre, le prix que l’homme aura à payer sera à son propre détriment car sa crédibilité morale et politique au niveau national et international sera en jeu et les amis d’aujourd’hui qui l’y poussent mueront en ennemis demain, à la première déconvenue, l’expérience l’a montré par le passé.

Le Président, en posant cet acte, est également attendu sur un autre défi, qui non relevé, laissera un gout d’inachevé à sa décision et un boulevard béant vers une multitude d’inconnues…

Les mauritaniens attendent de lui d’être le parrain de cette ère nouvelle et d’ajouter à son bilan économique et social, une réalisation d’ordre politique indélébile ; Respecter la constitution, oui, quitter le pouvoir en 2019 oui, mais la décision ne doit être ni fortuite, ni précipitée, ni liée à un subterfuge ou une tactique.

Elle doit s’insérer dans une stratégie constructive, patriotique, d’apaisement, d’ouverture, de pardon réciproque suite à un dialogue inclusif impliquant autour du Président sortant tous les acteurs politiques et sociaux, alliés comme opposants, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La libération des détenus politiques, (même un est de trop), l’arrêt de toutes les poursuites judiciaires contre les opposants extérieurs, la réhabilitation politique et économique de ces personnalités, pourront être des actes forts et facilitants.

La période qui nous sépare de la fin du mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz est suffisante pour nous voir vivre ces actes courageux de sa part. Ainsi pourra-t-il marquer l’histoire en étant l’un des rares chefs d’Etat à renoncer au pouvoir, mieux, à diriger et arbitrer une alternance démocratique politique concertée dans une atmosphère fraternelle, de conciliation et de concorde autour des valeurs démocratiques et républicaines fondamentales avec une armée républicaine puissante, protectrice de ces valeurs et arbitre désintéressé du jeu démocratique. Les mauritaniens sauront lui rendre les honneurs dus à sa magnanimité, son sens du devoir et du respect des valeurs républicaines.

L’autre composante de l’alternative serait de vouloir envers et contre tout, au nom du mirobolant prétexte de la conservation des acquis et de la notion du leader bien aimé indispensable, pérenniser un système sous la pression de tous ceux qui voient, à travers le départ du Président Mohamed Ould Abdel Aziz, la remise en cause de leurs privilèges et intérêts étroits et qui consciemment ou inconsciemment prennent le risque de l’engluer et de le prendre en otage, pour longtemps, dans des stratagèmes fourbes, peu transparents ,peut être même, anticonstitutionnels, sans lendemains et de nature à augmenter les risques d’implosion politique et sociale.

Les querelles de clochers entre les divers pans du pouvoir, autour du Président, ont déjà causé des dommages collatéraux insoupçonnables sur la cohésion et la crédibilité du système politique mis en place par Mohamed Ould Abdel Aziz au lendemain de sa prise du pouvoir. Les tiraillements entre le Président de l’UPR Sidi Mohamed Ould Maham et le Premier Ministre Yahya Ould Hademine ont donné le coup de grâce à la crédibilité du régime au sein même des partisans les plus disciplinés ; Ces deux personnalités sont à l’origine de la quasi implosion de l’UPR et de la fronde qui en est la cause. Il ne faut point oublier dans ce sillage les tirs de barrage et les obstructions répétées entreprises par les partis dialoguistes pour empêcher le Président Aziz de nouer tout processus sérieux visant à organiser un dialogue incluant les autres partis de l’opposition dite radicale. Ils ont d’ailleurs su et pu en tirer l’usufruit.

Mohamed Ould Abdel Aziz, que d’aucuns jugent le seul homme orchestre de tout ce dispositif, les autres n’étant que des exécutants, n’a donc pas tout réussi sur le plan politique, même si ses partisans estiment que sur le plan économique il détient un bilan probant. Ce bilan économique n’a pourtant pas résisté aux campagnes répétées de ses opposants concernant d’éventuelles dérives de gouvernance qui, avec le temps ont pris le dessus dans la conscience populaire et ont sérieusement entamé la crédibilité de l’homme et de son système au niveau national et international. De surcroit les syndromes de l’usure du pouvoir sont là, ambiants.

Ce pays regorge d’hommes et de femmes politiques de qualité, d’administrateurs chevronnés, d’intellectuels, de penseurs, d’anciens militaires de haut rangs, cultivés et probes, aux états de services patriotiques, capables de jouir de la confiance du peuple si l’opportunité s’offrait à eux. Il suffit que le cadre institutionnel et politique réponde aux exigences de transparence requises, pour leur accorder la possibilité de briguer un mandat présidentiel.

Il n’est point besoin de pression sur les esprits des citoyens, d’objection de conscience, pour leur dicter un choix ou les en détourner. Laissés à eux-mêmes les mauritaniens, tout au moins, les un millions 400 mille inscrits sur les listes électorales, sont en majorité, assez aguerris politiquement, pour jouir de leur liberté de choisir. Faisons de ces élections le tournant décisif de l’habilitation du citoyen à prendre ses responsabilités. L’alternance, celle non pas nécessairement du pouvoir- laissons les urnes parler- mais des esprits et du système de gouvernance, passera par là.

L’alternance politique est une culture et constitue la sève nourricière de la démocratie pluraliste et des valeurs républicaines. Elle est fondée sur l’indépendance des institutions constitutionnelles, de la justice, sur la liberté, sur l’égalité devant la loi, sur la règle de la majorité et la consultation du peuple par voie électorale. Dans ce contexte, le processus électoral en cours ne peut être que transitoire et l’enjeu réel et crucial sera concentré sur les présidentielles, véritable tournant dans l’alternance démocratique souhaitée.

L’unanimité se dégage autour des inconnues sur les capacités de la CENI à encadrer efficacement le processus électoral, suite à ses malformations congénitales, sur les chances réelles des challengers de l’establishment et leurs capacités à venir à bout des écueils innombrables sur le chemin des joutes électorales et sur la marge de manœuvre du conseil constitutionnel pour trancher dans la transparence d’éventuels recours. Par ailleurs la configuration des futures instances élues y compris le parlement donne à réfléchir. Les conseils régionaux et les communes, en dehors des duplications éternelles avec l’administration, seront confrontés à des conflits de compétence, de prérogatives et de champs d’action. Leur efficacité sera à la mesure de la priorité et de l’importance que leur accordera le pouvoir.

Ajoutons-y les défis des capacités en ressources humaines. Bien des élus actuels et surtout futurs sont en déphasage complet avec les exigences en formation sur les questions de développement social et de gestion qui ont déjà entravé les communes par le passé. De surcroit le ver de la dérégulation a perturbé le choix des candidats aux futures élections ; Une zizanie inédite, indescriptible et malsaine due à des frustrations de militants suite aux choix maladroits de leurs partis respectifs, surtout au sein de l’UPR et de manière moins prononcée dans les partis dialoguistes, a eu pour conséquence l’apparition d’un phénomène de métayage politique et d’occupation de la scène par des candidats dont la seule arme est l’aisance financière.

Nous risquons de nous retrouver avec des conseils généraux, des communes et un parlement atypiques, sans vision, incompétent, et sources de blocage de la vie institutionnelle et républicaine. Les futurs élus seront-t-ils suffisamment outillés intellectuellement politiquement et techniquement pour relever les défis de l’ère nouvelle ? Quoi qu’il en soit, ils doivent être convaincus, tous, qu’ils sont les militants d’une cause. Ils sont voués au désintéressement et au sacrifice. Ils doivent être guidés par l’éthique de la conviction ; La conception de la démocratie repose sur un idéal moral : l’intérêt général. La principale qualité d’un acteur politique est l’oubli de soi.

On entre en politique pour servir l’intérêt national et l’intérêt général et non pas pour se servir soi-même, servir les intérêts de son clan, de son ethnie ou de sa région d’origine. Le bien public est le fondement du gouvernement. Le but de la politique est de rendre une collectivité heureuse et de garantir sa sécurité. Il est bien sur évident que la réussite d’un tel projet sera plus difficile à atteindre face au défi de l’absence de prise de conscience des membres de cette collectivité de leur statut et de leurs réalités.

L’exigence de transformations sociales profondes dans notre pays demande de l’homme politique de travailler à éveiller les consciences, à faire prédominer les capacités de raisonnement et non de se complaire à profiter de la crédulité et de l’ignorance ambiante.

ABOU MOUSSA




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