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Hommage à Ousmane Moussa Diagana, Chantre du dialogue interculturel
Initiatives News - Déclaration universelle sur la diversité culturelle, Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la communauté internationale est aujourd’hui résolument engagée sur la voie de la réalisation du rêve qui a toujours habité le Professeur Ousmane Moussa Diagana, celui de l’avènement, au troisième millénaire, d’un monde battant au pouls du dialogue interculturel.
Par Moussa Ould Ebnou*
La célébration du dix-septième anniversaire du décès de notre regretté Dembo, qui nous avait quittés le 9 août 2001, ne pouvait se dérouler sous de meilleurs auspices. Lui, qui était avant tout le chantre de la préservation de l’identité soninké, comme étape et moyen essentiels d’une dynamique de convergence avec les autres composantes culturelles de la Mauritanie.
Oui, pour Ousmane Moussa Diagana, désormais icône du dialogue interculturel mauritanien, chacun doit s’enraciner dans ses propres valeurs pour être, puis s’ouvrir aux autres, pour s’épanouir et se réaliser.
C’est pourquoi en ce dix-septième anniversaire de sa mort, je propose la création d’une Fondation Ousmane Moussa Diagana pour le dialogue interculturel en Mauritanie.
Le concept de dialogue interculturel fait référence au multiculturalisme et à la cohésion sociale. On peut définir le dialogue interculturel comme « un échange d’idées respectueux et ouvert entre des individus et des groupes aux patrimoines ethniques, culturels, religieux et linguistiques différents.» (Définition proposée par le Conseil de l’Europe dans son Livre blanc sur le dialogue interculturel.)
Comme l’a démontré mon collègue M’bouh Séta DIAGANA dans "Dembo le fou, Dembo le sage", hommage publié à l’occasion du 6e anniversaire du décès d’Ousmane Moussa Diagana, l’œuvre poétique de Dembo est habitée par la volonté de défendre et illustrer la pluralité culturelle de la Mauritanie, volonté qui se manifeste parfois jusque dans les titres de certains de ses recueils, comme Cherguiya qui symbolise l’Est du pays, berceau des royaumes d’Aoudaghost et de Ghana. Les poèmes d’Ousmane Moussa Diagana sont un cri d’alarme, un appel au secours d’une Mauritanie devenue étrangère à elle-même. Pour lui, le pays doit se redécouvrir, cultiver la pluralité qui a fait sa richesse, pour pouvoir aller de l’avant sinon, il court à sa perte.
Écoutons ce que dit M’bouh Séta DIAGANA de sa poésie : « Chez Ousmane Moussa ni l’amour ni la femme ne sont des fins en soi, mais des moyens par lesquels le poète va à la rencontre de soi-même et de son pays. Ses deux recueils, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse et Cherguiya, dialoguent entre eux, le premier propulsant la femme noire, la femme soninké au sommet de la beauté et de la sensualité, le second sublimant avec incandescence le charme de la femme mauresque ; tous les deux célébrant la Mauritanie dans ses différences qui constituent sa force, son avenir et son identité. D’ailleurs Dembo s’est toujours interrogé sur le rôle que peut jouer un poète dans la situation de son pays lorsque les populations cohabitent sans se connaitre. ».
Si Ousmane Moussa Diagana parle tant d’amour, c’est, dit-il, « parce que l’amour pose problème. On ne l’évoque pas pour la simple beauté du mot. Quand on aime, on voit à travers cet amour beaucoup de choses. Je parle beaucoup de la femme, mais pour moi, elle est une sorte de médium. Elle médiatise à la fois, le pays, le monde (…) Pour moi, cet amour est total. Dans le contexte de la Mauritanie, l’amour est vécu de façon très douloureuse. Un amour difficile à vivre, et même à assumer, au regard des communautés qui vivent ensemble d’une manière très complexe. »
Pourquoi Ousmane Moussa Diagana a-t-il mis la question du dialogue interculturel au centre de son œuvre ? Historiquement, la Mauritanie s’est construite sur la richesse des cultures des peuples qui y cohabitent. Le poète n’a qu’une envie : mériter, aimer ce pays et se faire aimer par cette « perle », qui est le croisement entre « l’eau et le grain de sable », c’est-à-dire les populations du Sud au bord du Fleuve et celles du Nord au contact des dunes. Concrétiser cette rencontre est la seule chose qui puisse intéresser le poète. Écoutons-le dans Notules :
« C’est cela ma folie,
C’est cela ma passion
Mon unique passion
Pour te mériter
Ô pays ! » (p. 93).
La seule chose qui hante l’esprit de Diagana, c’est cette terre natale, sacrée à ses yeux, recelant toutes les richesses, débordant de toutes les qualités et par-dessus tout, terre de rencontre, de métissage et donc de tolérance et de culture. C’est cet univers que le poète voudrait recréer en Mauritanie, « une belle synthèse de l’histoire…à la fois négro-africaine, berbère et arabe … ».
Voilà comment Ousmane Moussa Diagana exprime cette quête d’une Mauritanie hybride (Notules p.106):
« Terre d’humus noir lointaine et mythique, fruit de l’errance et du souvenir. Terre aride et riche dont le secret gît dans la mémoire d’un vautour chauve et sans âge et d’une hyène étique. Terre de sang, du python et de la vierge. Terre de Feu, du cheval et de la poudre. Terre de l’orgueil et de la mort. J’avais pour monture une chamelle. J’avais pour langue la langue des hommes libres. J’avais pour guide un vieillard humant à chaque halte la terre pour en sentir l’odeur, pour en aspirer le parfum de femme féconde. À notre rencontre, nous versâmes ensemble des larmes rouges. De notre commerce germa l’azer, s’assouplirent nos langues respectives, se répandirent l’islam et le savoir, se tinrent en respect des langages, des cultures, des esprits. »
Dans ce poème, Dembo a condensé l’histoire de cette terre, invoquant de fortes images qui symbolisent soit la culture négro-africaine, en particulier la culture soninké, soit la culture berbère et arabe.
De la rencontre de ces cultures naquit la langue azer, une sorte de créole soninké-berbère-arabe, aujourd’hui presque disparu, mais qui était parlé à travers toute la Mauritanie ; "Atar", par exemple, est un mot azer qui signifie "ville nouvelle".
En évoquant ces instants de l’histoire mauritanienne, le poète est plus que nostalgique, il regrette cette période où les hommes et les femmes de ce pays se brassaient et déplore la Mauritanie actuelle.
Écoutons-le dans Cherguiya :
« Les résonances du couchant sont ce soir couleur de cendre et de latérite ; couleur de beauté et de mélancolie, couleur d’une poésie saturnienne…
J’y plonge l’horizon endeuillé d’amours blessés, l’horizon saignant de cœurs meurtris de ma terre métisse et je rêve. Rêves agités de poésies et de mélodies lointaines.
Je songe au poète Sidi Abdallah et à la belle Azer, à la tristesse de leurs tours d’orgueil dans Ouadane miroitant d’eau et de sagesse.
Je songe au poète Adoubba, à ses amours nomades, à sa passion ambiguë pour Debbou, la Leukweriya, la jeune femme noire, la jeune femme peule.
Je songe aux chanteurs du lêlé, de Leïla et de la nuit, à leurs langages pluriels poreux de nostalgie et de tolérance. (Pp. 53-52)
Au terme de cette évocation, qui ne veut pas finir, mon esprit entonne le chant traditionnel soninké « Quand s’éteignait mon frère » (in Chants traditionnels du pays soninké, l’Harmattan, 1990, P. 219)
« Quand s’éteignait mon frère
Il tenait dans sa main une plume
Il portait sur sa tête un livre
Quand s’éteignait mon frère
Moussa Diagana
Il tenait dans sa main une plume. »
Article Source : Mohamédoune Dit Doudou Wane (in Facebook)
*Moussa Ould Ebnou est professeur de philosophie à l’Université de Nouakchott et auteur de plusieurs livres, dont des essais et romans philosophiques