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Les lieux de culture et d’histoire en Mauritanie : quelle importance pour l’Etat ? (Deuxième partie)
Le Calame - Après l’introduction du sujet, j’ai abordé dans le numéro précédent du Calame, le legs des pères fondateurs de la nation, les problèmes de formation, les difficultés du métier et mon cas personnel en tant que professionnel. Les contraintes éditoriales m’ont obligé à tronquer le dernier paragraphe qui continue ci-après.
Je ne dois pas oublier aussi les encouragements des sortants de l’ENA dont plusieurs continuaient à fréquenter la bibliothèque et ceux des enseignants de la même institution notamment mon ami le Professeur Cheikh Saad Bouh Kamara que je considère comme un grand frère.
Je cite nommément le Professeur Cheikh Saad Bouh Kamara parce qu’en plus de ses encouragements, il m’a appris beaucoup de choses et il est un modèle incontestable en matière, entre autres, d’honnêteté dans tous les sens du terme et de rigueur. C’est donc une occasion pour moi de le remercier pour la confiance qu’il a envers moi.
Cette confiance en mes compétences et certainement en mes qualités civiques l’a amené à me nommer en 2009, moi le professionnel des archives et bibliothèques, chargé de mission à la Commission Electorale Nationale Indépendante et concomitamment, par la suite, Directeur de l’Informatique de la même institution.
Même s’il a quitté la Présidence de la CENI suite aux accords de Dakar et l’attitude incompréhensible de certains pontes de la Société Civile, c’est sur la lancée de l’organisation et grâce à l’équipe qu’il a mise en place que cette institution a parfaitement rempli sa mission.
Pour la seule fois, la CENI a donné, à partir de 23h50 le jour de l’élection présidentielle, les résultats au fur et à mesure du traitement des données, a mis en ligne tous les procès-verbaux originaux scannés des bureaux de vote et a ouvert un bureau de réclamations.
Seules trois réclamations ont été reçues et elles n’avaient rien à voir avec l’authenticité des procès-verbaux. Tous ces procès-verbaux ont été bien sûr archivés selon les règles de l’art, même si ma mission était essentiellement tout autre. Des membres des staffs des CENI suivantes m’ont informé que ce sont les seules archives bien organisées à la CENI.
Après avoir évoqué plus haut les difficultés du métier, il m’a semblé utile d’en donner les facettes positives pour encourager les jeunes à s’orienter vers les filières de bibliothécaires, archivistes et documentalistes.
La situation générale des lieux de culture et d’histoire
Toutes les alarmes des véhicules de Nouakchott ne suffiraient pas pour attirer l’attention des gouvernants sur leur état. Des éléments d’appréciation seront apportés dans les parties qui suivent. En ce qui concerne les archives, on pourrait se consoler en sachant qu’on n’est pas le seul pays africain dans ce cas mais il ne le faut surtout pas.
Dans la grande majorité des pays francophones d’Afrique, la situation des archives est jugée catastrophique. A titre d’exemple, parmi tant d’autres, je cite la République Démocratique du Congo, un pays dont la richesse dépasse l’entendement même si la bonne gouvernance n’est pas son fort « La gestion et la conservation des documents d’archives restent un épineux problème en République Démocratique du Congo. Il en est de même des infrastructures qui doivent abriter ces importantes sources. »[i](1)
Au niveau régional, mon ex Professeur à l’Ecole des Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes de l’Université Cheikh Anta Diop, Monsieur Ameth Ndiaye faisait le même constat en 1987. Cela fait déjà longtemps mais ce constat est toujours d’actualité.
Je le cite (la citation est longue parce que pleine d’enseignements) : « Les Etats africains ayant opté dans la plupart des cas pour une politique d’interventionnisme, il résulte de tout cela le développement d’un système administratif complexe, caractérisé par des structures en perpétuel mouvement.
Cependant l’existence d’un réseau administratif très dense, loin d’apporter un gain d’efficacité, semble plutôt provoquer un certain « étouffement » de l’administration. Cette dernière est une machine fonctionnant au rythme de l’information.
Celle-ci, contenue dans les documents qu’elle produit ou reçoit dans le cadre de ses multiples fonctions, recueillie et scientifiquement traitée, constitue la sève nourricière de toutes les décisions de gestion.
Dans le domaine africain, où les besoins de cette gestion se font de plus en plus pressants avec les exigences de la politique du développement, la machine administrative est souvent enrayée par la « faiblesse » de la documentation. Cette situation s’explique par le fait que les archives, principale composante de l’information administrative, restent le plus souvent mal organisées(2)
Les archives
Quelqu’en soit la tournure, toutes les définitions qu'en donnent les pays qui ont adopté une législation ou une réglementation relative aux archives convergent vers le même sens.
Québec (1983) (Lois refondues du Québec, A-1.1)
... l'ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l'exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d'information générale.
Loi française du 3 janvier 1979 (France)
« Les archives sont l’ensemble des documents, quels qu’en soient leur date, leur forme, leur support matériel, produit ou reçus par toute personne et par tout service ou organisme dans l’exercice de leur activité. »
Il est à noter qu’il ne sera question ici que des archives publiques émanant donc des administrations centrales, territoriales, collectivités locales, sociétés d’Etat et d’économie mixte, services publics ou semi-publics.
Ce qu’il faut retenir ou déduire de ces définitions : les fonds d’archives sont le fait d’une fatalité. Ce qui les différencie des collections des bibliothèques, des centres multimédia et autres centres de documentation qui, elles, sont issues de simples choix d’acquisition, d’échanges ou d’acceptation de dons.
Les services d’archives ont également des fonctions différentes de celles des bibliothèques et centres de documentation en ce qui concerne la communication des documents. La sécurisation des documents est une priorité absolue pour les services d’archives tandis que les bibliothèques et centres de documentation sont plus tournés vers la communication. Le cas spécial de la Bibliothèque Nationale sera soulevé plus loin.
En Mauritanie, même s’il ne ressort pas du titre, le décret n° 68.294 du 15 octobre 1968 portant création et organisation de la direction des archives nationales, d’une commission consultative des archives et instituant un dépôt administratif des publications officielles réglemente assez clairement les archives publiques.
Les archives n’y sont pas définies de façon formelle mais, en parcourant le décret, on peut comprendre le sens qu’il donne aux archives publiques sauf « qu’archives nationales » et « archives publiques » y sont quelques fois confondues, à tort. Ce décret qui était en avance sur beaucoup de pays africains quand j’étais étudiant à l’Ecole des Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes, est maintenant largement dépassé à certains points de vue.
Sur 39 articles de ce décret, 29 sont consacrés à la réglementation des archives publiques et non à la création et à l’organisation de la direction des archives nationales comme on peut s’y attendre à la lecture du titre du texte. Entre autres, les articles ci-après sont révélateurs de l’importance accordée aux archives dans ce décret :
Article 6. – Les documents provenant de la Présidence de la République, des ministères, des régions, des départements ou de tout autre organisme de l’Etat, sont imprescriptibles et inaliénables.
Article 7. – Les documents visés ci-dessus à partir du moment où ils sont reconnus inutiles à l’expédition des affaires courantes, sont versés annuellement aux archives nationales.
Article 9. – Le délai au terme duquel les documents sont estimés ne plus devoir être utiles à l’expédition des affaires courantes, est de cinq ans, à partir de la fermeture du registre ou dossier.
Article 14. – Sans le visa des archives nationales, il est interdit aux ministères, aux régions et aux départements et tout autre organisme public et semi-public de détruire des documents autres que les papiers dits «de corbeille».
Article 15. – Lorsque les documents devant normalement être versés aux archives nationales sont signalés par les ministères, service ou bureau comme pouvant être détruits, la destruction avant le transfert aux archives nationales ne peut être effectuée qu’après examen sur place par la direction des archives nationales, qui apprécie, s’il y a lieu, de détruire ces documents ou de les verser aux archives nationales en vue de les conserver en tout ou en partie après triage.
Article 16. – Aucune des pièces déjà versées aux archives nationales ne peut être éliminée sans le consentement des ministères, service ou bureau d’où elles proviennent.
Article 17. – Sont à conserver définitivement :
- tous les documents antérieurs à 1960
- toutes les pièces qui peuvent servir à établir un droit (NB. Pour l’Etat et les citoyens)
- tous les documents qui présentent ou peuvent acquérir un intérêt historique
Malheureusement, même si elles ont été un peu appliquées à la fin des années 60 et au début des années 70, ces dispositions réglementaires sont difficilement applicables de nos jours pour les raisons suivantes : (i) défaut d’infrastructures et d’équipements (ii) manque de professionnels qui s’ajoutent à (iii) l’explosion de la masse de documents d’archives.
La croissance quasi exponentielle de la masse documentaire du fait des moyens modernes de reproduction rend plus difficile le travail de tri qui permet de choisir ce qu’il faut conserver et ce qu’il faut éliminer.
Il faut cependant retenir que l’authenticité des documents (copie originale) est un des critères essentiels commandant le choix des documents à conserver. Pour cette raison à laquelle il faut ajouter de multiples contraintes technologiques, l’archivage électronique des documents ne nous est, à ce jour, d’aucune aide pour la conservation des archives, même pour celles exclusivement numériques. En effet, la Mauritanie n’a pas encore mis en place un système de signature électronique des documents.
(à suivre dans le prochain numéro)
Par Yarba Fall Ahmed Ghali, Expert en information documentaire
(1)http://www.congovirtuel.net/index.php/bsc-tv-live/2-uncategorised/52-comment-conserver-et-gerer-les-documents-d-archives
(2) [i] Ahmeth Ndiaye / les archives en Afrique occidentale francophone. Bilan et perspectives. In : Gazette des archives Année 1987 n° 139 pp. 223-232