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22-02-2019

16:00

L’oasis de Maaden, un phare dans le désert mauritanien

TV5 Monde - Fondé par un maître soufi, le village de Maaden el Ervane cultive sa différence, dans le désert de l’Adrar en Mauritanie. S’appuyant sur le travail agricole, la communauté et la spiritualité, l’oasis, hors du temps et loin du monde, a des allures d’utopie.

Fondé par un maître soufi, le village de Maaden el Ervane cultive sa différence, dans le désert de l’Adrar en Mauritanie. S’appuyant sur le travail agricole, la communauté et la spiritualité, l’oasis, hors du temps et loin du monde, a des allures d’utopie.

Maaden el Ervane, 800 âmes. L’oasis jouit d’un splendide isolement. Aoujeft, la localité la plus proche à bénéficier du réseau électrique, est située à une heure de route. Par la piste. Chaotique. Celle-ci s’achève au sommet d’une colline de grès noir, chauffée à blanc par le soleil. En face, plein ouest, le cordon dunaire de Leklewe s’étire jusqu’à l’horizon.

Les deux ensembles minéraux ceignent Maaden allongé en fond d’oued sec. Ses palmiers se voient les premiers. Et puis les tikits, habitations traditionnelles circulaires en pierres, et les frêles silhouettes des paysans dans les champs.



« Grandir à Maaden est une bénédiction. Je me suis rendu compte de cette chance lorsque je suis parti étudier et ai commencé à m’intéresser à l’actualité. Nous sommes des privilégiés, à l’abri des conflits et des crises qui secouent le monde », assure Cheikhany ould Med Mahmoud, lycéen à Nouakchott, drapé de son boubou bleu.

Le gisement du savoir

Maaden a beau être loin des bruits du monde, la genèse du village s’inscrit dans le voyage. Encore enfant, Cheikh Mohammed Lemine Sidina fils d’érudit, descendant d’une riche et prestigieuse famille de la tribu des Smacides, quitte l’Adrar en quête de savoir. En 1970, il revient dans sa région natale et fonde Maaden el Ervane. « Le gisement du savoir » en hassanya, le dialecte mauritanien.



Son voyage initiatique le mena sur les rives du fleuve Sénégal et la voie soufi de la confrérie Tijjânya, fondée en 1782 par Ahmed Tijani dans une oasis algérienne. L’enfant devenu homme revint chez lui chargé des sagesses d’un islam humaniste et lumineux, auréolé du titre de Cheikh mokhaddem – de responsable d’une confrérie soufi.

« La doctrine du Cheikh tranchait avec l’ordre social de l’Adrar, à l’époque. Il désapprouvait le système de hiérarchie raciale, l’esclavage et les castes. Maaden est née sur l’idée d’une égalité complète entre les hommes », explique Youbba Amou Habbot, qui fut la main plumée du Cheikh jusqu’à sa mort en 2003.



Tout le monde aux champs


Autour de lui, le Cheikh fédère une communauté composée d’une poignée de tributaires appelés à Maaden les « ashabs Cheikh », les amis du Cheikh. Chacun, sous sa protection, travaille dans les cultures maraîchères ou dans la phœniciculture : « Chacun des ashabs pouvait ainsi s’autonomiser par le travail », renchérit Mohamed Djibril, enfant de Maaden et ancien ministre de la jeunesse et des sports.

La valeur d’un homme à Maaden réside dans sa force de travail, pas dans son sang. Porté par des valeurs d’entraide, de solidarité et de communauté, Maaden se développe, sa population grandit et le maraîchage devient la principale ressource économique de la ville.

L’oasis jouit d’un splendide isolement

Comme pour donner l’exemple, le Cheikh donne en mariage sa fille à son mécanicien, Djibril. Il bine aujourd’hui des carottes, dans sa parcelle au pied des dunes. Sa peau est aussi blanche que le charbon. À l’évocation du souvenir du Cheikh, il pose sa bêche et s’anime : « À l’époque, c’était impensable de donner sa fille blanche en mariage à un Noir. Le Cheikh était un visionnaire. On n’en fait plus comme lui aujourd’hui », reconnait-il.



Hommes et femmes main dans la main


Dans les rues de Maaden, au détour d’un tikit en pierre, il n’est pas rare de croiser un enfant porter son prénom, comme un hommage. Si lui est parti, ses idées sont restées. On y célèbre encore l’entraide, notamment lors du « jour de la communauté », la moushtama : « Si un homme du village veut creuser un puit dans son champ, alors le vendredi d’autres paysans viennent l’aider, sans rien attendre en retour », explique Djibril.

À l’écart jusqu’à présent des circuits touristiques de l’Adrar, Maaden a pour autant une solide tradition d’hospitalité.

Dans les plantations de Maaden, des hommes et des carottes. De l’orge, du gombo, des aubergines et des femmes : certaines se sont constituées en coopératives agricoles. D’autres fabriquent le henné, les nattes en feuilles de palmier, des pâtisseries … « Nous avons décidé il y a 27 ans de nous constituer en coopératives pour davantage de solidarité », soutient Fatimatou Mint Bouh, présidente du collectif des 12 coopératives, née « l’année de l’invasion des criquets ».



La journée, Fatimatou vogue de coopérative en coopérative, de sa démarche cadencée – à Maaden, si on travaille fort, on marche lentement. Elle salue et serre des mains, aux hommes et aux femmes, sans distinction. « C’est comme ça, ici, les femmes et les hommes se saluent avec la main et le coeur », explique Houdy Sidina, docteur en agronomie, qui travaille sur un projet d’agroécologie à Maaden (voir encadré). Impensable, dans le reste du pays, où l’islam interdit tout contact entre un homme et une femme de familles différentes.

L’accueil chevillé au cœur

Maaden l’isolée intrigue. À l’écart jusqu’à présent des circuits touristiques de l’Adrar, elle a pour autant une solide tradition d’hospitalité. Vraie, qui n’attend rien en retour. Au crépuscule, un homme s’affaire en cuisine, il prépare le repas de quelques voyageurs/explorateurs/musiciens, hébergés dans la hidra. C’est la maison des hôtes qui fut aussi celle du Cheikh de son vivant.



« Que le voyageur reste un an ou un jour, il est ici chez lui, et personne ne lui demandera jamais un ouguiya », assure Mohamed Ould Bouh. Le magasinier travaillait déjà du temps du Cheikh : « C’est lui qui m’a donné les clefs du magasin. Mon travail est de nourrir les plus pauvres et les voyageurs. Cela me rend heureux de les aider », poursuit-t-il, son plat à la main, en se dirigeant vers la grande bâtisse verte et blanche.



La mosquée voisine retentit. Les notes des instruments des voyageurs et leurs rires se noient dans la lancinante séance chant soufi, ou dhikr, qui débute. Les fidèles, assis en cercle, dans la mosquée, chantent les mémoires du prophète Mohammed. L’obscurité se fait. Les palmiers et les pierres et les dunes s’évanouissent dans la nuit. Et Maaden devient mirage.



La fondation Terre et Humanité et Point Afrique se sont associés dans un projet d’agroécologie à Maaden depuis janvier 2018. En décembre 2018, une délégation composée de Bernard Chevilliat, président du fond de dotation Pierre Rabhi, Pierre Rabhi lui-même, Maurice Freund, fondateur de Point Afrique et une équipe composée d’un agronome, un théologien et un économiste sont venus faire le point sur l’avancée du projet. Selon Pierre Rabhi, « l’objectif annoncé est de faire de Maaden un village modèle en terme d’agroécologie, de parvenir à l’autosuffisance alimentaire tout en respectant la terre et le vivant ».







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