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Beyrouk : « La littérature est le meilleur support pour connaître un pays »
Le Point Afrique - Le dernier livre de Beyrouk, « Je suis seul », a reçu à Bamako le prix Ahmed Baba de la Rentrée littéraire du Mali, un pays dont le romancier mauritanien dit qu'il est sa seconde patrie.
Non, Beyrouk n'est pas seul, l'écrivain mauritanien vient même d'être fêté lors de la onzième Rentrée littéraire du Mali où son nouveau roman Je suis seul* a reçu le prix Ahmed Baba. Non, Beyrouk n'est pas à confondre avec le narrateur de son livre même si comme lui, il a été journaliste et fondateur du premier journal indépendant Mauritanie demain.
Mais il partage avec son héros cette sorte de stupéfaction des populations mauritaniennes, mais aussi maliennes... face à l'arrivée du phénomène djihadiste au Sahara. Dans ce soliloque, le héros pris au piège dans une ville tombée aux mains des terroristes s'interroge sur presque tout.
Comment il n'a pas su garder sa première femme, n'a pas su que la seconde ne lui serait d'aucun secours dans cette situation d'enfermement, de danger de mort, de piège. Et d'abord comment il n'a pas vu le djihadisme arriver jusque chez lui.
Il nous avait confié au Salon africain du livre de Genève où il était lauréat du prix Ahmadou Kourouma à propos de ce qui était déjà dans l'actualité depuis plusieurs années : « Je ne me sens pas obligé d'écrire là-dessus. Le personnage de l'islamiste ne fait pas partie de ce que je peux imaginer, il n'est pas de ma culture, de ma tradition, il est un élément étranger qui n'est pas des nôtres. » Mais il débarque, et l'intériorité inquiète et blessée d'un homme, écrite dans un style sobre qui tranche avec la verve et l'ampleur romanesque des précédents romans de Beyrouk s'exprime ici. Pourquoi ? « Je trouvais que le sujet était devenu trop commun, presque à la mode, mais au bout de quelque temps je me suis dit, enfin, c'est chez toi que ça se passe, c'est ton environnement, ton milieu, comment peux-tu refuser de parler ce qui concerne les tiens. »
La figure ambiguë de l'iman Narrecedine
Conseiller culturel à la présidence de son pays, l'écrivain y travaille beaucoup sur le patrimoine mauritanien, et déjà, le journalisme avait permis d'entrer en profondeur dans la connaissance culturelle de sa patrie et alentour, à ce membre de la tribu des Tekna. Il a remonté l'histoire et convoqué dans son roman la figure de l'imam Narrecedine : "un mystique du XVIIe siècle qui appelait a un État théocratique au Sahara, jusqu'au Sénégal, mais s'est affronté aux tribus et après une guerre terrible a été vaincu. Pourtant, il est resté dans la tête des gens comme un saint, un martyr. Il faut dire qu'il était aussi un militant anti-esclavage." Qui était vraiment Nacerredine ? Se demande le narrateur de Je suis seul, qui est son descendant. Que veut dire le djihad ? Quel parallèle à faire avec la violence actuelle dont la religion est otage ? Et cette ville où il est enfermé...
Le Mali "ma seconde patrie"
Voilà les questions de ce roman. Beyrouk tient à souligner qu'il "est toujours dangereux de faire la révolution au nom de la religion"... En recevant son prix à Bamako, l'écrivain était visiblement ému. L'auteur du Griot de l'émir, qui vit en partie à Tombouctou, a encore des parents dans la ville du nord du Mali, et ses deux grand-mères étaient bambara. "Le Mali est une seconde patrie pour moi." Et un pays qui sait dans sa chair de quoi parle Je suis seul...
* « Je suis seul », (ed. Elyzad), 112 pages, 14 euros.
PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE