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20-09-2019

19:45

Portrait : Itinéraire d’un apprenti calligraphe devenu chef d’entreprise

Horizons - L’adage se confirme « seul le travail paie », la réussite est au bout de l’effort.

Parti presque de rien, Brahim Ould Khalifa, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est, sans doute, un des calligraphes les plus en vue à Nouakchott. A le voir à l’œuvre dans son atelier devenu depuis longtemps un établissement personnel dénommé «Publigraphe», Ibou, pour les intimes, est devenu un vrai maître dans l’art du pinceau. Les jeux de couleurs, les formes des lettres n’ont plus de secret pour lui.

Entouré de ses nombreux employés qu’il a d’abord formés avant de leur assurer le gagne-pain par des emplois à plein temps, bien rémunérés, il ne cesse de monter en grade dans son métier, comme en témoignent beaucoup d’hommes d’affaires de la place qui sollicitent souvent ses services.

Si l’on en croit certains d’entre eux, il a, à son actif, plusieurs innovations techniques en calligraphie dans notre pays. Il est le premier à avoir introduit les enseignes lumineuses en bâche dans notre capitale. Les couleurs en adhésif ou les enseignes en plexiglas, c’est encore lui.

«J’ai beaucoup fait pour ne pas dire "que j'ai révolutionné" cet art dans notre pays», lance-t-il, avec un léger sourire au coin des lèvres. J’allais oublier les habillages de façade des édifices publics et la décoration intérieure des banques, des pharmacies… l’alicobond, une matière incontournable dans la calligraphie moderne que j’ai introduite et utilisée , pour la première fois, en Mauritanie en 2011. Tout cela est à mettre à mon actif et je peux dire, sans fausse modestie que c’est grâce à mes fréquents voyages d’exploration à l’étranger que j’ai pu découvrir ces innovations de pointe dans l’art calligraphique et décoratif.

Interrogé sur son chiffre d’affaires, il dit préférer la discrétion et lâche à peine «je ne me plains pas en tout cas». Mais que n’a-t-il fallu à ce jeune père de famille de 3 enfants né un certain premier janvier 1970 dans le vieux quartier de la Médina 3 pour en arriver là ?

Teint cuivré, jambes interminables, l’homme impressionne surtout par sa carrure, son calme et sa politesse. «Toute ma carrière s’est déroulée à Nouakchott, je n’ai jamais été partisan de l’aventure en Occident, c’est pourquoi l’image des pirogues de l’émigration clandestine me donne toujours froid dans le dos». Etudes primaire et secondaire à Nouakchott, Ibou dit avoir été très tôt piqué par le virus du dessin. «Je passais tout mon temps à dessiner. Des fois, à la règle et au compas, je traçais avec un souci permanent de précision des figures multiformes».

Pourtant, poursuit-il, je n’étais pas mal dans les autres matières surtout en mathématiques où je décrochais souvent de très bonnes notes. J’étais aussi, bien des fois, premier de ma classe». Mais la passion du dessin finit par l’emporter sur le reste comme l’attestera, par la suite, son choix du métier de calligraphe. Et comme on dit le cœur voit toujours ses désirs les plus sincères se réaliser, «j’ai vraiment commencé à découvrir très tôt mon talent dans l’art pictural quand j’ai remarqué que j’étais toujours coopté dessinateur de tous les établissements scolaires que j’ai fréquentés».

La consécration très tôt de ses aptitudes par ses maîtres d’écoles a, sans doute, été pour quelque chose dans le choix de la future voie à suivre de l’artiste en herbe. C’est pourquoi quand il est devenu adulte, il a choisi, sans hésiter, le métier de calligraphe, un art qui a fait ses lettres de noblesse dans la civilisation arabo-musulmane en particulier durant la période fatimide. «Je n’ai point été grisé par cette distinction, je savais qu’un métier ça s’apprend et j’ai décidé de l’apprendre ».

L’apprentissage, selon lui, aura été long, rude et rigoureux. «Mes premiers pas, je les ai faits avec Moukhis et Tra, deux grands maîtres incontestables dans le domaine devant qui, je m’incline car, ils m’ont inculqué les subtilités du métier et montré le bon chemin, contribuant ainsi à l’éclosion de mon talent».

En 1993, Ould Khalifa prit l’initiative de braver les risques du métier et décida de voler de ses propres ailes. C’est ainsi que, dit-il, j’ai décidé d’ouvrir mon premier atelier à la Médina 3», le quartier où il est né. Etait-ce par nostalgie ou par simple calcul commercial ? «Très tôt, j’ai commencé à vivre les vicissitudes de l’initiative privée et les ennuis d’argent du métier d’artiste»...

«Assaillis nuit et jour par toutes sortes de problèmes, j’avais quelques fois envie de jeter le pinceau, mais l’amour du métier et la conviction que je pouvais percer dans ce domaine, m’incitaient à continuer». Le conseil d’un de ses aînés, répète-t-il, ne l’a jamais quitté et lui a même toujours servi de source de motivation. Il lui disait : «essaie toujours d’être le meilleur partout où tu serviras et dans toute expérience, il faut « laisser le temps au temps » en s’armant de patience ». Un culte de l’excellence et de l’endurance qui n’est, semble-t-il, pas tombé dans l’oreille d’un sourd car Ibou a déjà fait ses preuves dans la vie.

Pourtant, faire l’aventure au pays de l’oncle Sam (USA) était une obsession pour lui à ces débuts, mais le sempiternel conseil de l’ainé l’en avait dissuadé et aujourd’hui, il remercie Allah, du fond du cœur, de n’avoir pas cédé à la tentation de l’exil économique.

Entre un saut dans l’inconnu et le travail en Mauritanie, il a choisi la dernière option et conseille aux jeunes d’en faire de même. Il déplore, avec la dernière énergie, les spectacles hallucinants des pirogues pleines de migrants clandestins bravant l’océan et sacrifiant des milliers de jeunes à la fleur de l’âge. Avant d’ajouter ému : « rien ne peut justifier cette folie même quand on est supposé être sous l’emprise maléfique de la privation ou même de la misère ».

Parlant du métier de calligraphe, il dit que ce secteur va, de mal en pis, car il est envahi par une cascade d’intermédiaires qui vivent sur le dos des calligraphes et réduisent leur gain à la portion congrue. Il appelle de tous ses vœux l’Etat et les banques à soutenir, par des crédits, les calligraphes installés à leur propre compte et propose la création d’un Fonds National d’Appui aux artistes tout comme un syndicat destiné à défendre les intérêts matériels et moraux des acteurs de ce corps de métiers.

Sidi Moustapha Ould BELLALI





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