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12-03-2020

23:00

Les écoles d’excellence en Mauritanie, quel avenir ?

Mohamed Ould Laghlal - L’école publique mauritanienne connaît une crise profonde et subit les méfaits de nombreux dysfonctionnements dus surtout à la corruption, au clientélisme et à une mauvaise gestion des ressources existantes, qu’elles soient financières, matérielles ou humaines et qui n’épargnent malheureusement aucun domaine de l’éducation nationale.

Il y a lieu de mentionner également un manque de motivation généralisé - qui touche aussi bien les élèves que les enseignants - et un désordre total qui règne dans les établissements scolaires et dont les effets sont extrêmement néfastes.

A cela il faut aussi ajouter, des infrastructures inadaptées, le manque criant du matériel didactique et des équipements scolaires ainsi que les conditions déplorables dans lesquelles se trouvent les enseignants qui n’arrivent plus à pouvoir vivre dignement, tant leurs salaires sont bas et leurs indemnités dérisoires.

Il s’agit donc de sérieux problèmes qu’aggrave et amplifie continuellement une politique source d’échecs successifs du ministère de l’éducation nationale. La création des écoles d’excellence devenue source de problèmes supplémentaires est une mauvaise décision et est l’illustration éclatante des politiques de tâtonnements basées sur l’improvisation et la précipitation.

En ce qui concerne les niveaux des élèves, ils sont des plus bas et le fait de créer quelques écoles d’excellence ne constitue pas une solution. Dans ce cadre, on peut dire à juste raison qu’il est connu de presque tout le monde enseignant qu’il est pratiquement impossible de trouver une classe réellement homogène, c’est-à-dire où les apprenants ont les mêmes prédispositions, les mêmes comportements, les mêmes capacités mentales, intellectuelles et physiques, etc.

Dans toutes les écoles, donc dans toutes les classes, il y aura toujours, quel que soit le pays où on se trouve, des élèves en difficulté, des élèves moyens et des élèves plus éveillés et plus vifs. C’est la loi de la nature, car chaque individu a sa personnalité qui lui est propre.

Nous devons donc comprendre qu’une classe hétérogène est une classe ordinaire et il importe de préciser et de rappeler aux éducateurs professionnels que l’art du maître est de « presser les plus lents et les plus faibles, sans ralentir les plus forts et les plus vifs ».

L’hétérogénéité des niveaux, au lieu de constituer un frein aux apprentissages, peut avoir au contraire, si elle est exploitée de façon rationnelle, un impact positif sur nos apprenants et partant sur l’amélioration de la qualité de notre enseignement.

Au moment où certains malintentionnés, détracteurs des établissements de l’enseignement privé, taisent les problèmes réels de l’enseignement public en Mauritanie et attribuent son échec à l’existence des écoles privées, nous les entendons vanter « le rôle positif » supposé ou réel des écoles d’excellence. Cette position est un non-sens, un manque de civisme et peut être même assimilée à une malhonnêteté intellectuelle flagrante, car l’enseignement privé, institutionnalisé par l’Etat mauritanien pour venir en appui à l’enseignement public, à partir du début des années 80 du siècle dernier (Ordonnance n° 81-212 du 24 /09/1981, détaillée par des décrets d’application) a été très utile au pays.

D’une part, il a contribué à élever le taux de scolarisation des enfants mauritaniens et à renforcer le nombre d’admis au concours d’entrée en première année secondaire, au certificat d’études fondamentales, au brevet d’études du premier cycle et au baccalauréat toutes options confondues.

D’autre part, il a créé des milliers d’emplois au profit de retraités, de diplômés chômeurs dont un bon pourcentage de femmes et également au profit de personnels subalternes sans qualifications professionnelles avérées.

Aujourd’hui, plusieurs centaines de ses sortants, poursuivent des formations dans de grandes universités à travers le monde et plusieurs autres centaines, si ce n’est plus, exercent dans des institutions publiques et privées et contribuent ainsi au développement du pays.

Il a également diminué la pression sur l’enseignement public comme ce dernier ne pouvait pas accueillir, par le passé, tous les enfants mauritaniens en âge d’être scolarisés ou devant suivre dans l’une des classes de l’enseignement fondamental ou de l’enseignement secondaire. Naturellement, il va sans dire, qu’il ne peut pas les accueillir aujourd’hui.

En sus de ce qui précède, les responsables de l’enseignement public savent parfaitement qu’avec leurs propres effectifs, ils font face à d’énormes difficultés sur le plan des méthodes et procédés d’enseignement, des infrastructures, des équipements, du matériel didactique, du nombre insuffisant aussi bien des enseignants que des inspecteurs et autres personnels de l’éducation nationale exerçant ou non dans les établissements primaires et secondaires.

Cela veut dire, à mon sens, que la création des écoles d’excellence et l’acharnement contre l’enseignement privé, que ce soit par les impôts ou par la suppression progressive ou brutale de classes ou de cycles primaires, ne servent nullement notre système éducatif.

Pour masquer son (ou leur) incapacité à trouver des solutions à la détérioration de l’école publique en Mauritanie et pour davantage détourner l’opinion publique nationale des véritables problèmes et enjeux de l’éducation, le (ou les) ministère(s) concerné(s) inventait(ent) chaque fois que c’est nécessaire, des "rénovations" ou des "projets éducatifs" le plus souvent médiocres et sans utilité réelle, du moins pas pour le secteur de l’éducation.

Dans ce cadre, on peut rappeler et seulement à titre indicatif, l’introduction catastrophique de l’approche par les compétences (APC) dans nos établissements scolaires, approche que j’ai dénoncée depuis qu’elle a été introduite chez nous. Nullement adaptée à notre environnement socio-culturel, cette approche dont je parlerai plus longuement une autre fois INCHAALLAH, a impacté négativement notre système éducatif.

Pour revenir aux écoles d’excellence, je dirai tout simplement que leur impact est négatif car elles ne sont en réalité que des écoles ségrégatives, sur plusieurs plans, d’abord elles n’accueillent, dans la plupart des cas, que des enfants issus de milieux favorisés, ensuite elles ne sont pas ouvertes dans toutes les localités du pays, enfin elles bénéficient d’un traitement de faveur par rapport aux autres écoles.

Elles ne sont donc pas une solution sensée promouvoir notre système éducatif, bien au contraire, elles constituent un problème sérieux et une injustice vis-à-vis de la majorité des enfants de ce pays qui doivent être traités sur le même pied d’égalité.

Comme elles n’ont fait qu’accentuer les frustrations et les inégalités sociales, il est nécessaire voire indispensable qu’elles soient tout simplement fermées. Cette mesure, si elle est prise, sera certainement salutaire et pourra en même temps être appuyée par l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies éducatives nouvelles, rigoureuses et efficaces.

Pour finir, je pense qu’au lieu de ces écoles d’excellence, choisies on ne sait pour quelles raisons, il serait préférable et urgent de réorganiser et redynamiser notre système éducatif pour le rendre performant afin de transformer toutes les écoles mauritaniennes en écoles d’excellence.

N’est-ce pas là un objectif que nous devions et devons atteindre ?

Ne pouvons-nous pas mobiliser toutes nos potentialités pour la réalisation des finalités de l’éducation en Mauritanie telles qu’elles ont été définies? Qu’est-ce qui nous en empêche ?

Ne sommes-nous pas capables de mettre sur pied des dispositifs adéquats de nature à améliorer la qualité de notre enseignement et de son produit ?

N’avons-nous pas les moyens humains, matériels et financiers nécessaires ?

Qu’est-ce qui nous interdit de nous prendre en charge dans le domaine de l’éducation sur le plan de la recherche, des réformes, de la gestion, de la planification, de la formation, de l’évaluation, de la conception de matériels didactiques et de la mise en œuvre d’audits ?

En ce qui me concerne, je pense honnêtement qu’avec les hommes et les politiques qu’il faut, on peut rendre notre système éducatif véritablement performant.

Mohamed Ould Laghlal,
Inspecteur de l’Enseignement Fondamental à la retraite.



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