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Commentaire d’un livre | Mémoires d’Ahmed Kelly : Par Ahmedou Ould Abdallah
RMI Biladi - Deux fois ministre, plusieurs fois ambassadeur avant de finir sa carrière internationale comme secrétaire général adjoint des Nations Unies, Ahmedou Ould Abdallah commente ici le premier tome des mémoires de son son ami Ahmed Killy Ould Cheikh Sidiya. Dans ce texte, il a réussi la performance d’allier la rigueur du commentaire scientifique et le regard de l’ami fidèle et impressionné.
Les Mémoires, "un certain parcours" est le titre choisi par Ahmed Kelly Ould Cheikh Sidiya pour raconter le chemin qu’il a suivi, ou pris voire construit, de 1940 à 2020. Et quel parcours ! Dieu merci, ce périple n’est pas encore terminé et, au vu de la qualité de ce qui nous est déjà servi, espérons que la suite ne tardera pas.
"Un certain parcours", (Editions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott 2020) est une synthèse agréable et de grande qualité, du mode de vie social, politique et économique de notre pays des années 1940 à nos jours. C’est également une partie de l’histoire de ses premiers pas, en tant qu’état moderne, sur la scène internationale.
Le livre contient de nombreux documents – écrits, photos et illustrations qui démontrent et c’est une tautologie, l’importance et la nécessité de réserver une place pour ce livre dans les bonnes bibliothèques de familles. Ces textes ne manqueront pas d’interpeller et, espérons, de susciter l’intérêt des plus jeunes mauritaniens pour l’écriture et pas uniquement pour l’oralité.
Parmi les photos et documents, aussi intéressants les uns que les autres, un grand nombre est, légitimement, lié à la famille de l’auteur mais un bon nombre l’est directement à notre Histoire. Telles ces incroyables photocopies des reçus de versements de dons, en or et en guirshs, faits par Abdoullah Ould Cheikh Sidiya en soutien à l’alimentation en eau respectivement des villes ...de la Mecque et de Médine.
C’était lors de son pèlerinage en 1944, bien avant le boom pétrolier de 1973!
Mais le livre est d’abord le récit d’une enfance, certes choyée et dans un environnement familial et social peu ordinaire, mais simple car jadis l’essentiel était précisément la simplicité. Surtout pas l’apparence et encore moins l’exhibitionnisme matérialiste de nos jours. On y comprend aussi que la société mauritanienne, jusqu’au début des années 1980, appréciait sobriété et modestie ne fussent-elles que d’apparence.
Avec pertinence, le livre rappelle et en réalité affirme que "l’identité mauritanienne n’a jamais été ethnique, tribale ou régionale" (page 172). Comme il a raison ! La force du pays était, et peut encore le redevenir, son "soft power" ou son pouvoir d’influence hors des frontières nationales. Sa famille et sa bonne ville de Boutilimit, mais pas qu’elles, en étaient et demeurent d’éminentes illustrations.
"Un certain parcours" décrit aussi, avec une retenue voulue, l’exercice du pouvoir dans notre pays plus précisément de 1960 à 2000 quand l’auteur y assumait des fonctions gouvernementales comme ministre et ambassadeur.
Les méfaits du suivisme et de la langue de bois, y compris ceux liés à la corruption inhérente aux régimes des partis uniques, civils ou militaires, y sont signalés, modérément, sans doute dans un souci essentiellement pédagogique.
Du pluralisme de 1960 au parti unique jusqu’aux années 1990, la Mauritanie en a bien vu. Dans leur premier communiqué officiel, les militaires du 10 juillet 1978 annonçaient trois points justifiant leur action: instauration du multipartisme, libéralisation de l’économie et fin de la guerre du Sahara. Moins de deux ans après, la pensée unique s’est réimposée.
De fait quand des régimes, exercent "le pouvoir pour le pouvoir", ils rendent utiles, comme le signale l’auteur, les gardes fous, telles les ONG précise-t-il (page 173). L’exemple de notre ami commun Mohamed Sidiya Ould Bah, docteur vétérinaire, refusant les "incitations à la corruption pour aider le parti, le pouvoir et lui-même" est une leçon utile pour les générations présentes et futures (page 174).
En définitive, et pour plusieurs raisons, "un certain parcours" doit être lu, naturellement par les mauritaniens, et aussi par tous ceux qui s’intéressent à notre pays. Ils seront édifiés par la quantité, la diversité et la qualité du contenu de l’ouvrage.
Tel est ce parcours dans et autour de la Mauritanie et sa société à la fois traditionnelle et rurale, un pays bouleversé par une urbanisation rapide et le dynamisme d’une jeunesse ambitieuse et en pleine mutation en ce début du XXIème. Parcours prolongé en France pour les études universitaires avec alors comme seul objectif la formation et le retour pour servir le pays. Comme tous les étudiants de sa génération.
Il y a soixante ans, la sobriété et la résilience assumées avaient contribué à imposer notre pays sur la scène internationale. Nous aideront-t-elles aujourd’hui à faire face aux immenses défis de notre époque ? La lecture du parcours de l’auteur renforcera les convictions et ne manquera pas de revigorer la détermination de nombreux mauritaniens qui, comme lui, croient en leur pays et veulent servir.
En définitive et, vu le parcours de mon ami Ahmed Kelly, il n’y a pas d’alternative à l’optimisme.
Nouakchott, 16 Juillet 2020