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Disparition d’une figure tutélaire de Kaédi et de la Mauritanie : Ball Mohamed El Habib dit Doudou Ball (1936- 2020)
Kassataya - «Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, une vie bien vécue nous mène à une mort paisible » (Léonard De Vinci
La Mauritanie et Kaédi perdent avec la disparition, dimanche 19 juillet 2020, de Ball Mohamed El Habib dit Doudou Ball, à l’âge de 84ans, le plus illustre des ingénieurs des Eaux&Forêts mauritaniens.
Né en 1936, Doudou Ball fait partie du premier escadron des cadres de la Mauritanie indépendante dont la constance et la vaillance ont permis la formation de « cadres du développement rural » dont on peut s’enorgueillir et le premier ingénieur dans sa spécialité, sorti de l’Ecole Nationale des Eaux et Forêts de Nancy (ENEF).
Lauréat de l’ENEF, il rentre au pays à la veille des indépendances pour contribuer, dans son domaine, à la formation des cadres moyens du Centre de Formation et de Vulgarisation Agricole(CFVA) créé en 1962 et devenu en 1978 Ecole Nationale de Formation et de Vulgarisation Agricole(ENFVA).
Il mènera de façon concomitante une carrière d’enseignant-formateur et de « forestier » dans un corps naissant avec une alternance qui fera de lui un des artisans de ce pôle dont la renommée a vite dépassé les frontières régionales.
Sur ce site, il fallait tout construire et partir de presque rien. Mohamed El Habib Ball sera parmi les enseignants du vivier des cadres de l’ENFVA. Avec sa rigueur et son ingéniosité coutumières, l’homme à la vaste érudition et à la plume précise, tenait à partager son savoir et se consacrait des veillées durant à cette pédagogie qui faisait de lui le « premier écologiste » mauritanien, avant même que ce courant politique n’en devienne un en Occident.
Et c’est même lui qui en avait donné la « leçon » à René Dumont lors de son séjour à Kaédi au début des années 80, bien avant sa leçon inaugurale de 1984 lors du Séminaire d’Etude et de Réflexion des Jeunes de Kaédi.
Plusieurs propositions seront faites pour éloigner le lion de la « tanière »de contestation qu’était devenue le « Bosseya », voire le « Gorgol » après les événements de 1966. En vain, il n’acceptera pas. Mais il sera « fiché » « nationaliste-révolutionnaire » pour lui barrer certaines fonctions dirigeantes ou honorifiques, un procès inique qui conduira à sa mise à l’écart.
L’aubaine inconnue de l’équation politique allait être saisie par l’excellent gestionnaire des « eaux et forêts »et le visionnaire qui donnera la mesure de son expertise dans deux projets qui tenaient une grande place dans son cœur : « l’extension des superficies bénéficiant d’une gestion durable des sols et de systèmes fiables de maîtrise de l’eau » et le « développement durable de l’élevage, des pêches et des forêts », avec la double expertise de l’enseignant et du colonel des eaux et forêts.
L’homme a fait l’essentiel sinon toute sa carrière dans sa ville natale Kaédi où il s’était retiré dans la maison familiale. L’homme avait fait sienne cette réflexion d’Albert Camus – que j’ai découvert d’ailleurs avec lui lors d’une de nos veillées nocturnes dans son « cocon douillet » comme il aimait bien le dire, « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde.
La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».
Nous ne saurions assez louer ses qualités humaines qui ont toujours auréolé les moindres de ses actions. Tous ceux qui ont connu Doudou Ball garderont de lui un souvenir impérissable. Celui d’un homme affable, aimable, élégant et courtois, d’un grand ingénieur visionnaire et pragmatique à la fois et d’un inlassable travailleur.
Rien ne le déroutait de sa mission. Grand de taille, d’âme, d’esprit et de cœur, Doudou, féru de Mathématiques et doté d’une rare capacité de synthèse, s’était toujours élevé au-dessus de l’insignifiant pour ne considérer que l’essentiel, le stratégique, la vision sur le long terme.
De son père et de sa famille, il avait hérité, tout comme ses frères Bal Mohamed El Bachir et Ball Moustapha la volonté de l’acquisition du savoir et l’observance rigoureuse de la rectitude et de l’abnégation. La tête bien pleine et bien faite, droit et adroit, la générosité chevillée au corps, « Colonel » n’a été sa vie durant que dans le dévouement à l’exaltante tâche de bâtir d’abord pour son pays, puis de participer au rayonnement de sa chère Dimbe.
Nous déplorons avec la mort de « Grand Doudou », comme l’appelaient affectueusement tous ceux de notre génération, la perte d’un éternel « jeune » kaédien et l’un des meilleurs ingénieurs et cadres supérieurs que la Mauritanie a eus depuis l’Indépendance.
Dans la longue liste des éternels de Kaédi, partis sur la pointe des pieds, un phare s’est éteint mais son faisceau au lointain continuera à illuminer pendant longtemps les piroguiers, bateliers, perdus mais aussi les déboussolés de la vie à la recherche de l’Etoile polaire. Avec sa disparition, la Mauritanie perd un de ses illustres bâtisseurs qui s’est distingué sa vie durant dans la protection de la faune et de la flore.
Et on ne saurait passer sous silence cette immense perte -même si l’ingratitude est dans notre pays l’un des traits marquants ces dernières décennies- sans rendre hommage à une figure tutélaire qui aura servi son pays et sa région avec autant de compétence, de modestie, de dévouement et de discrétion.
A sa famille, à ses proches
A sa grande famille,
Aux Kaédiens,
A la Mauritanie, nos sincères condoléances.
Daouda Sow – Tunis