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Infrastructure routière suicidaire : Entre ponts et carcasses. Par Pr ELY Mustapha
Pr ELY Mustapha - Lorsque l’on observe le vétuste parc automobile mauritanien et lorsque l’on constate les centaines de morts sur nos routes, l’on ne peut que se poser la question de la rationalité qui pousse les autorités à vouloir construire des ponts et des voies « circulaires » ?
Lorsque l’on constate que le moindre véhicule qui circule ne dispose d’aucune visite technique et que les trois-quarts du parc automobile mauritanien se doivent d’être réformés, l’on ne peut que se poser la question si ces ponts ne seraient pas des rampes de lancement pour des véhicules suicidaires ?
Lorsque la majorité des conducteurs roule sans vrais permis de conduire et que le reste conduit sans permis, l’on se demande si construire des voies circulaires ne serait pas un manège pour autos-tamponneuses ?
Lorsque, la plupart des conducteurs, ne respectent aucune signalisation routière et confondent entre panneau et poteau électrique, construire des ponts ne serait-il que des passerelles vers l’au-delà ?
Lorsque, les trois-quarts des automobilistes, roulent à la corruption de la police routière échappant à tout contrôle, les ponts ne seraient alors que des appontements pour véhicules écrasés ?
Voici ce qu’un grand guide touristique le « routard » écrit sur les « Transports et déplacements en Mauritanie » :
Pas de licence :
« Les taxis sont nombreux, mais en général dans un état de fatigue avancé. Ils sortent rarement de la zone urbaine. En Mauritanie, pas besoin de licence pour être taximan, et nombre de Nouakchottois sont taximan à temps partiel »
Contrôles techniques invraisemblables:
« À Nouakchott, les bus urbains sont réduits à leur portion congrue, et circulent uniquement sur les grands axes de la capitale pendant l’année scolaire. Ils sont à des années-lumière de passer l'un de nos contrôles techniques. Éclairage et rétroviseurs souvent inexistants. Heureusement, ils ont en général de bons freins. »
Ornières…vaches, chèvres et dromadaires :
« On peut aller absolument partout en Mauritanie avec des taxis-brousse, mais il faut savoir qu'ils ne sont pas toujours en bon état. La route reliant Nouadhibou à Nouakchott, impeccable au début des années 2010, est désormais chaotique, perclus d’ornières
Quel que soit l'état du revêtement, soyez prudent. Des vaches, des chèvres ou encore des dromadaires peuvent traverser inopinément. "
Laisser la responsabilité de l’accident au chauffeur !
« Les voitures de location, Vous pouvez louer un véhicule tout-terrain. Le plus souvent, le chauffeur est compris. Il faut savoir qu’en cas d’accident, l’usage veut que le chauffeur prenne la responsabilité. Ainsi, il est déconseillé de conduire soi-même. »
Panneaux de directions fantômes :
« Les panneaux indicateurs de direction sont totalement inexistants. Raison de plus pour ne pas oublier sa carte routière ou son GPS. Peu de croisements cependant ! »
La priorité au plus téméraire !
« Attention, au niveau des carrefours, les conducteurs ont tendance à couper au plus court. Des véhicules peuvent donc surgir là où vous ne les attendez pas. Aux points-ronds, la priorité est à celui qui s'engage. »
Corruption des policiers :
« Avec les gendarmes, aucun souci. Ils sont charmants et ne vous demanderont rien. Avec les policiers, c'est différent. Ne donnez pas de « cadeau », même si on vous invite à le faire au fond d'une casemate. C'est de l'intimidation. Restez poli, mais ferme. »
(https://www.routard.com/guide/mauritanie/1522/transports_et_deplacements.htm)
Voilà donc un témoignage extérieur de la misère du transport et du transport de misère mauritaniens.
C’est autant dire que la priorité n’est pas à la construction de ponts et autres voies circulaires ou ellipsoïdales mais d’abord, à l’assainissement du secteur du transport mauritanien à travers :
- L’application rigoureuse de la législation sur les véhicules (importation, immatriculation, âge),
- Les contrôle et sanction des modalités de détention des véhicules (identité, capacité, propriété, location.)
- Les Contrôle et sanction des documents obligatoires (permis de conduire, assurance automobile, vignette, carte grise, visite technique…)
- La répression effective des infractions (contravention, délits et crimes) routières.
- La mise en place de véritables centres équipés et contrôlés pour la visite et la conformité techniques des véhicules (poids lourds et légers et véhicules spéciaux)
- La réhabilitation, la restauration et l’amélioration de l’infrastructure routière existante (voies, goudrons, signalisations)
Ces mesures auront pour effet :
- D’éliminer tous les vieux véhicules et les « carcasses » ambulantes qui constituent les trois-quarts du parc automobile mauritanien, ce qui, en lui-même, sera un élément fondamental dans la réduction de ce parc et donc rend la construction de ponts pour parer aux embouteillages une non-priorité.
- D’éliminer les facteurs des accidents et de la mortalité routière qui a atteint des proportions intolérables dus à des véhicules d’un autre âge.
Mais une telle politique d’assainissements doit s’accompagner de mesures pour éviter son impact sur la population.
En effet, les automobilistes, les plus nombreux disposant de véhicules vétustes se verront lésés du fait de la confiscation de leurs véhicules, qui sont souvent un outil de travail et un gagne-pain quotidien.
Ces mesures d’accompagnement seront :
- Fixer un délai raisonnable pour les propriétaires des véhicules vétustes pour les remplacer ou s’en débarrasser auprès des administrations compétentes (aux fins de leur destruction non polluante-ferraille).
- Appliquer rigoureusement la législation sur l’importation de véhicules usagés (avec fixation d’un âge maximum à l’importation de 3 ans) et sanctionner les importations de véhicules usagés non règlementés.
- Mettre en place une politique étatique de soutien et de facilitations financières et bancaires, pour l’acquisition de véhicules neufs par les particuliers (notamment les petites cylindrées.)
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- Appliquer rigoureusement la taxation progressive sur les véhicules en fonction de leur nombre de chevaux fiscaux et favoriser les petites cylindrées (4 à 5 Cv) pour des impératifs de consommation et de pollution.
- Assainir le marché du véhicule d’occasion et organiser rigoureusement le secteur (quota d’importation, licences valides etc.)
- Contrôler et sanctionner la délivrance des faux permis de conduire et poursuivre leurs auteurs et détenteurs (personnes physiques ou morales).
- Assainir l’administration des transports et le service de délivrance des titres de transport.
- Investir dans le transport public intra et interurbain, en favorisant le renouvellement de son parc automobile afin de décongestionner le secteur et éviter le transport individuel non conforme aux normes de sécurité (taxis actuel « tétanos » et autres véhicules de la mort.).
- Favoriser fiscalement les sociétés de recyclage de la ferraille, automobile notamment, et les sociétés de ramassage des épaves de véhicules abandonnés à travers les villes, ainsi que celles du recyclage des huiles de moteurs et autres lubrifiants, que les usagers versent dans la nature.
- Élaborer une véritable politique tarifaire pour le transport public commun, avec des bonifications sur les tarifs pour les catégories sociales défavorisées et des régimes d’abonnement spéciaux réduits (élèves, étudiants, soldats, etc.)
- Organiser rigoureusement la profession de garagiste, en terme de qualification professionnelle (tout au moins pour le chef garagiste) et règlementer l’exercice de la profession (normes d’installation, responsabilités etc.). Et favoriser l’emploi des jeunes qualifiés dans ce secteur.
- Encadrer rigoureusement le marché de la pièce de rechange neuve et usagée. Ces dernières fort utilisées par les automobilistes sont la cause de milliers d’accidents et de rupture de fonctionnement des véhicules dans les situations critiques, et les pannes aux conséquences désastreuses. Pour les premières, les pièces de rechange « neuves » constituent une véritable arnaque sur les pièces « d’origine » et le pièces « adaptables » qui coûte cher aux automobiliste.
Ce ne sont là que quelques mesures d’accompagnement d’une véritable politique d’assainissement du secteur du transport en Mauritanie. Il y va à la fois de l’économie du pays mais aussi et avant tout de la vie des personnes.
Une politique d’assainissement du secteur du transport qui, permettra de réduire considérablement le parc automobile vieillot et de le renouveler ce qui aura bien plus d'impact sur la valeur ajoutée de ce secteur dans le développement du pays.
Cette politique d’assainissement du secteur du transport est un préalable à toute autre mesure, telle que la construction de ponts, de voies et bretelles, car elle résoudra par elle-même une grande partie des problèmes de la circulation automobile.
Un parc automobile renouvelé et réduit, des automobilistes avec de vrais permis, des vehicules contrôlés en visite technique et en assurance, des routes pratiquables, une signalisation routière efficace, et des policiers intègres....valent mieux, aujourd'hui, que ponts et bretelles.
Et c'est par là que doit commencer tout investissement du plan de relance, dans son volet infrastructures et transport.
Pr ELY Mustapha