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02-10-2020

18:16

La faillite des corps de contrôle pourrait accentuer les pratiques de détournement et de corruption

Hamedine Kane - La faillite des corps de contrôle publics dans leurs missions pourrait accentuer les pratiques de détournement et de corruption.

Tout le monde est unanime sur le fait que notre pays a été mal gouverné durant plusieurs décennies. Mais la dernière décennie nous a, encore, mieux édifiés sur le mode opératoire des pratiques de mauvaise gestion et du niveau hiérarchique de leur exécution par certains hauts responsables de notre Administration publique.

L’excellent rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) a mis à jour plusieurs irrégularités de gestion commises au cours de cette dernière décennie, anomalies qui sont à l’origine d’entraves ayant régulièrement plombé notre développement économique et social.

Si on prend comme référence la gestion passée du cadre Stratégique de lutte contre la pauvreté CSLP, programme qui s’était fixé comme objectifs prioritaires, entre autres, « d’accélérer la croissance et de l’ancrer dans la sphère économique des pauvres » on se rend compte qu’après sa clôture en 2015, ces objectifs n’ont pas réellement été atteints.

A cette occasion où de nombreuses voix se font, maintenant, entendre, on ne doit pas seulement souligner les cas de pratiques de mauvaise gouvernance et les causes internes qui y ont conduit ; celles-ci sont désormais connues mais nous devons aussi, pour être utile à la nation, avancer des propositions de réformes permettant d’améliorer la gouvernance de notre pays.

La volonté actuelle affichée par le Président Gazwani et son équipe gouvernementale, très compétente, de s’ouvrir aux débats avec tous les segments de la société civile mauritanienne, nous autorise à exprimer notre point de vue sur la manière de mettre fin ou de limiter les détournements de deniers publics qui risquent, une deuxième fois encore, de fausser l’exécution de tous nos programmes de développement.

Pour ma part, en tant que financier de carrière, maintenant à la retraite, je dirais que, par définition, la mauvaise gestion des biens de l'Etat se traduit généralement par des irrégularités comptables et budgétaires commises au niveau des procédures d’utilisation des ressources publiques et du comportement laxiste, vis-à-vis des normes en vigueur, de certains acteurs principaux de la gestion publique. C’est donc essentiellement au niveau du processus d’exécution des lois de finances qu’il faut être vigilant et trouver des remèdes efficaces de lutte contre la corruption et les détournements des biens publics.

L’Etat dispose pourtant, en temps normal, de puissants moyens de contrôle de régularité des dépenses publiques ; ces moyens juridiques s’exercent en amont (i) et en aval (ii) de la chaine d’exécution des dépenses publiques par des corps de contrôle spécialisés.

En amont (i) de la chaine d’exécution des dépenses, le Ministre chargé des Finances dispose d’un réseau de contrôleurs financiers ministériels (CFM) placé auprès de chaque entité dépensière publique. Ces CFM sont chargés, au moment de la mise en œuvre des dépenses, au cours des phases d’engagement, de liquidation, et d’ordonnancement, d’exercer un contrôle de régularité sur tous les actes de gestion soumis à leur visa et notamment sur les marchés publics imputés sur le budget de leur département. Ces fonctionnaires, qui sont parfois appelés, métaphoriquement, tête de pont avancée du Ministre des finances au sein des départements ministériels, représentent l’autorité budgétaire et agissent pour son compte dans l’application des règles de la comptabilité publique.

Comment alors, est-il possible de constater dans le rapport final de la CEP que des marchés publics douteux et même frauduleux, aient pu être visés et payés par le Trésor public sans qu’ils fassent l’objet d’un contrôle plus minutieux, en amont de la chaine de dépenses ? Même si la passation de ces marchés relève des commissions spécialisées, on doit tout simplement en déduire que nos contrôleurs financiers actuels n’ont aucun moyen de s’opposer au paiement d’un marché public qui fait intervenir, dans son circuit, de hautes personnalités de l’Etat.

Le rapport de la CEP est très clair d’ailleurs sur la question de la faillite des corps de contrôle dans l’accomplissement de leurs missions. Comment renforcer les pouvoirs des CFM pour leur permettre de jouer leurs véritables rôles de gardiens des biens publics, sans risque d'être inquiétés ? Pour réhabiliter le rôle de ce corps, très utile pour la sauvegarde des finances de l’Etat, et en prélude à la réforme, actuellement en cours, qui introduit les notions de « budgétisation axée sur une logique de résultats », il convient de renforcer, dès maintenant, leurs pouvoirs auprès des ordonnateurs publics ou des futurs responsables de Programmes.

Ces contrôleurs doivent être, à mon avis d’ancien contrôleur financier, supervisés et coordonnés par une nouvelle structure rattachée directement au Ministre des Finances au lieu d’en faire des éléments libres sans point d’attache bien défini. En aval (ii) de la chaine d’exécution des opérations budgétaires et financières inscrites dans les lois de finances, intervient un dernier contrôle dit a posteriori, appelés aussi juridictionnel qui est exercé par la Cour des Comptes qui relève, elle, du pouvoir judiciaire.

Ce contrôle qui est très efficace sanctionne par ses arrêts, à l issue d’une longue procédure, toutes les fautes de gestion commises par les gestionnaires publics (ordonnateurs de crédits publics et responsables d’organismes publics autonomes) et celles commises par les comptables publics astreints à la reddition des comptes. Cette cour qui manque pourtant de moyens conséquents a toujours produit et mis en ligne sur son site électronique ses rapports d’activités annuels qui passent en revue l’ensemble des fautes de gestion constatées au cours de différentes opérations de vérifications des juges de comptes. Mais ces rapports ont été souvent classés sans suite au cours de la dernière décennie.

Ainsi donc c’est la faiblesse de ces deux contrôles, en amont et en aval de la chaine d’exécution des lois de finances, qui a facilité toutes sortes de gabegies que le rapport final de la CEP a si bien dénoncées avec professionnalisme.

En terminant cette réflexion sommaire sur la faiblesse de notre système de contrôle des dépenses publiques, je me félicite des mesures d’assainissement déjà prises par le nouveau Premier Ministre et son gouvernement, sur instruction du Président de la République, mesures tendant à faire respecter, plus strictement, les règles de gestion des biens publics par nos administrations publiques.

Hamedine Kane

46466801

E-mail : hamdin.ndiay@yahoo.fr

Ancien Président de la Commission Centrale des Marchés publics (1977-1980)

Ancien Contrôleur d’Etat

Ancien Conseiller du PM chargé du contrôle financier central

Ancien SG Adjt du Gouvernement

Consultant en finances publiques





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