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Décès de Ould Bedredine, un adieu populaire et des hommages à la hauteur du disparu
L'Authentique - La mosquée Ibn Abass a refusé du monde ce samedi 10 octobre 2020. La prière mortuaire sur le « Grand Timonier », Mohamed Moustapha Ould Bedredine, restera ainsi dans la mémoire collective, tant l’affluence était importante.
Le corps du défunt arrivé le même jour après un internement de trois mois dans les hôpitaux algériens, où il est décédé mercredi 7 octobre, était en effet très attendu par des milliers de Mauritaniens qui tenaient à lui rendre un dernier hommage.
La disparition de Mohamed Moustapha Ould Bedredine mercredi 7 octobre 2020, à l’âge de 82 ans dans un hôpital de Tizi Ouzou (Algérie) a plongé la Mauritanie dans un grand émoi.
Ses partisans, notamment ceux de son parti, l’Union des Forces du Progrès (UFP), tout comme ses adversaires politiques d’hier, se sont fendus en hommage à sa mémoire. Son passé d’éternel opposant et sa constance dans son combat politique qui se confond avec sa vie, contre tous ceux qui ont eu à diriger la Mauritanie, de Feu Mokhtar Ould Daddah à Mohamed Ould Abdel Aziz, a été unanimement salué.
L’un de ses plus farouches adversaires, l’ancien président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, a déclaré que la mort de Mohamed Moustapha Ould Bedredine, est « une perte pour la Mauritanie et les peuples de la région ». Pour lui, le destin a voulu « qu’un jour nous étions partie prenante, pouvoir-opposition. Mais ce positionnement n’a pas éclipsé notre respect pour l’homme et nos adversaires honorables comme lui, qui, même si nous sommes en désaccord avec eux, en certaines de leurs visions, nous respectons et apprécions leur patriotisme, leur probité et leur chasteté ».
Le grand homme d’affaires Abdel Mejid Kamel qui a côtoyé Ould Bedredine dans les années 70 dit « apprécier la force morale de l’homme, la fermeté de ses principes, qui n’étaient pas pour lui que des mots, et qu’il s’est battu avec détermination pour leur respect ».
Mais qui est Mohamed Moustapha Ould Bedredine
Mohamed Moustapha Ould Bedredine est né en 1938 dans la région du Tagant. Il fut parmi les premières générations d’instituteurs de la Mauritanie indépendante avant de passer inspecteur de l’enseignement fondamental. Il a participé à la création du Syndicat des enseignants arabes en 1960 dont il fut membre du directoire exécutif, avant d’être élu président des enseignants de 1966 à 1969.
Il occupera plus tard plusieurs fonctions administratives, dont celle de Directeur de l’Ecole Normale des Instituteurs de Nouakchott, puis Directeur de l’ENFACOS, Il a été élu député à l’Assemblée Nationale où ses attaques contre les gouvernements successifs, diffusés en direct sur la chaine de télévision nationale, l’ont rendu célèbres auprès des Mauritaniens, en particulier les classes serviles.
Mais l’homme avait tissé ses titres de gloire bien avant. Déjà, sous le règne du parti unique, de 1960 à 1978, celui du Parti du Peuple Mauritanien (PPM), il combattit farouchement le pouvoir de Mokhtar Ould Daddah au sein du Mouvement National Démocratique (MND) et du mouvement contestataire des Kadihine, le PKM. Il se distingua alors comme l’une des figures les plus emblématiques de la contestation. Son combat se durcira après la chute de Ould Daddah et l’arrivée des militaires en 1978.
Depuis lors, Mohamed Moustapha Ould Bedredine est resté constat dans sa lutte pour la liberté, contre les injustices et les dérives autoritaires de tous les régimes militaires qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie. Il a été emprisonné à plusieurs reprises pour avoir participé à plusieurs grèves et protestations.
Militant au sein du mouvement de gauche qui avait rallié en 1991 l’Union des Forces Démocratiques (UFD), ce large front de l’opposition qui s’était ligué contre l’ex-colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya pour la première élection de l’ère démocratique, il suivra ses compagnons à la dissolution de l’UFD, pour créer l’Union des Forces du Progrès (UFP) en 1998.
Ce mouvement des anciens du PKM et du MND était bien implanté dans le pays, notamment dans les régions de la Vallée. Bien représenté à l’Assemblée Nationale par 9 députés, l’UFP était la deuxième force de l’opposition au sein de l’hémicycle du Parlement. Le parti rafla aussi plusieurs sièges de conseils municipaux dont plusieurs mairies, essentiellement dans les régions du Fleuve, comme Boghé.
La rupture
Durant ses dernières années de lutte, celui qui fut le deuxième homme fort de l’UFP, Mohamed Moustapha Ould Bedredine et certains compagnons de lutte comme l’emblématique député Kadiata Malick Diallo, commencèrent à contester les orientations du parti. Le boycott des élections législatives et municipales de 2013 fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
Alors que lui et ses compagnons contestataires avaient prôné la participation, la majorité de leurs autres camarades, à leur tête le président Mohamed Ould Maouloud, voulaient s’en tenir au mot de boycott décrété par le reste de l’opposition. Commença alors une rupture douloureuse qui s’accentua avec la perte progressive de l’électorat de l’UFP dans ses fiefs de la Vallée. Le parti commença à perdre ses militants et ses cadres.
S’en suivra deux camouflets électoraux retentissants en 2018 et en 2019. D’abord, le parti de Ould Maouloud sortira des municipales de 2018 sans aucune mairie remportée, et se refusa à tout débat en interne sur les orientations politiques, la base ne se retrouvant plus dans son parti. En 2019, ce que craignit Ould Bedredine arriva, le suicide politique, avec la candidature de Ould Maouloud qui se retrouva avec 2,44% de voix à l’élection présidentielle.
De ces grabuges qui suivirent les diverses dissensions au sein de l’UFP, le bureau exécutif décida de suspendre ses « membres récalcitrants », notamment son Secrétaire général, Mohamed Moustapha Ould Bedredine et la vice-présidente Kadiata Malick Diallo, ainsi que d’autres cadres du parti.
Ainsi, le 4ème congrès de l’UFP tenu courant août 2020, se déroulera sans certains de ses membres historiques. Les exclus intenteront même un procès en justice, pour contester la régularité de ce congrès, avec des échanges salés-pimentés entre les frondeurs et leurs autres camarades via les réseaux sociaux et les sites d’information.
C’est au milieu de ce climat délétère tendu, que Mohamed Moustapha Ould Bedredine sera évacué en Algérie où il décèdera.
Grand défenseur de la cause sahraouie, sa dépouille drapée du drapeau national, a été saluée au départ de l’aéroport Houari Boumediene d’Alger par la société civile algérienne, en présence des ambassades de Mauritanie et de la République Arabe Sahraouie en Algérie, avec les honneurs militaires. A son arrivée, des milliers de personnes avaient déjà envahi la mosquée Ibn Abass pour la prière mortuaire.
Des hommages fleuves
Rarement, la mort d’un leader politique a suscité un tel raz-de-marée de reconnaissance. La mort de Mohamed Moustapha Ould Bedredine a créé un vaste élan de compassion.
L’UFP lui a rendu un hommage appuyé. Dans un communiqué largement diffusé dans la presse, le parti voit dans le décès de Mohamed Moustapha Ould Bedredine, un perte pour la scène politique, celle « d’un militant et un dirigeant de grande valeur qui a consacré sa vie à la lutte pour l’indépendance nationale, pour la justice, pour la défense des opprimés et pour placer notre pays au niveau qui lui sied ».
Le parti Centre par l’Action et pour le Progrès (Le CAP) a salué un homme qui « s’est distingué par son combat régulier contre toutes les formes d’injustice, son engagement pour l’instauration d’un État de droit et l’ancrage des principes de la démocratie en Mauritanie ».
Heureuse coïncidence ou pas, des étudiants mauritaniens qui réclamaient depuis des lustres leur rapatriement en Mauritanie ont pris le même avion que son corps. Toute sa vie durant, il a lutté pour la cause du monde estudiantin.
Cheikh Aïdara