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24-10-2020

18:16

Muhammadu Buhari, Macky Sall, Oumaro Embalo... le «peul club» qui soutient Cellou Dalein Diallo en Guinée

L'Opinion - Le résultat final de la présidentielle du 18 octobre n’était toujours pas annoncé dans la soirée du mercredi 21 octobre, marquée par de premiers affrontements à travers le pays.

Les tensions sont vives entre le président Alpha Condé et son rival Cellou Dalein Diallo, ainsi qu’au sein de leur communauté respective, les Malinkés et les Peuls. « C’est leur dernier combat à tous les deux, confie un analyste de la Guinée. Ils ont un pistolet sur la tempe. S’ils échouent, leur communauté les dégagera du paysage politique. »

« C’est le peul club !, s’amuse un analyste à la vue des images du dîner privé offert par Muhammadu Buhari (le président du Nigeria) à Macky Sall (Sénégal) et Oumaro Embalo (Guinée-Bissau), le 15 octobre à la State House d’Abuja.

L’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo, autre membre de cette communauté ethnique, ne pourra gagner que grâce à leur soutien. Ils ont déjà fait beaucoup pour lui en l’aidant politiquement et en finançant directement, ou par l’intermédiaire d’hommes d’affaires, sa campagne électorale. »

Dans ce trio de chefs d’Etat, descendant de grandes familles, Oumaro Embalo est le plus offensif. Son appui à l’opposant ressemble à une revanche personnelle. En 2017, Alpha Condé, médiateur ouest-africain dans la crise bissau-guinéenne, s’était opposé à sa nomination au poste de Premier ministre. En 2019, lors de la présidentielle, il avait aussi apporté son soutien à son rival, Domingos Simoes Pereira, qualifié de « bon choix pour le pays ».

« Je n’ai aucun respect pour lui [Alpha Condé] et vice versa... a expliqué récemment Oumaro Embalo dans un entretien à Jeune Afrique. Cellou, c’est mon frère, mon candidat préféré pour la Guinée. Si j’étais guinéen, je voterai pour lui et Alpha le sait. »

Pour Macky Sall et Muhammadu Buhari, le soutien à l’opposant guinéen est plus discret. Ils ne s’affichent pas directement avec lui, mais leur aide est bien réelle.

« Embalo dit tout haut ce que ces deux dirigeants ne peuvent pas dire de par leur statut de chef d’Etat de puissances régionales adoubées par Paris et Washington. » Macky Sall est régulièrement en visite à l’Elysée, et Muhammadu a été un des très rares présidents africains reçu par Donald Trump à la Maison Blanche, en avril 2018. Première puissance économique africaine, son pays pèse 70 % du PIB de l’ensemble de l’Afrique de l’ouest.

Un autre dirigeant peul proche des trois autres, Mohamed Juldeh Jalloh, vice-président de Sierra Leone, a apporté une aide substantielle à Cellou Dalein Diallo.

Alpha Condé a senti le danger régional. Il a fermé, fin septembre, ses frontières avec le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Sierre Leone. En privé, ses proches justifient cette mesure unilatérale par des menaces de déstabilisation. « Ils ont bloqué six camions contenant du matériel de campagne (affiches, t-shirt, casquettes....) que j’avais fait confectionner au Sénégal », déplore Cellou Dalein Diallo. Mais son équipe a plus d’une carte dans son jeu et a pu faire acheminer ce matériel par un autre passage frontalier.

Alpha Condé a eu tendance à « etchniciser » les débats pendant plus de dix ans en fustigeant la duplicité et l’opportunisme de ses adversaires peuls.

Base arrière. Cette fermeture a surtout pénalisé le retour d’une partie de son électorat (environ deux millions de Peuls guinéens vivent au Sénégal) pour le jour du vote. Le Sénégal est la base arrière de l’opposant qui effectue régulièrement des séjours dans ce pays, où il voit des proches du président sénégalais.

Adeptes des costumes blancs comme Sékou Touré, Alpha Condé a eu tendance à « etchniciser » les débats pendant plus de dix ans en fustigeant la duplicité et l’opportunisme de ses adversaires peuls. Il se plaint en privé d’être l’objet d’un complot peul, tout en se défendant de tout racisme, égrainant ses nombreux compagnons de lutte et ses ministres, tous issus de cette communauté. Il a même eu une épouse peule, Mama Kany Diallo, l’actuelle ministre du Plan.

Très présente dans le Fouta-Djalon, la communauté peule représente près de 40 % des Guinéens.

« Les Peuls sont originaires de la haute vallée du Nil, explique Ibrahima Diawadoh N’Jim, membre du Conseil économique, social et environnemental. Il n’y a pratiquement pas une région où ils n’ont pas fondé un empire (Macina, Fouta-Toro, Sokoto..., principalement entre les IIIe et XIXe siècles) en islamisant les populations. »

Ce qui n’était sans poser de problème au colonisateur français. «Parmi les populations indigènes que nous avons eu à coloniser, il y a une ethnie qui n’acceptera jamais notre domination, expliquait Louis Faidherbe (1818-1889), ancien gouverneur de la colonie. Et il se trouve que cette ethnie est très répandue sur notre espace de colonisation. Il est urgent et impératif, pour notre présence en Afrique, de réussir à la diviser et leur opposer les autres ethnies moins rebelles. Car le jour où les Peuls se regrouperont, ils peuvent balayer sur leur passage toutes les forces coloniales»

Estimée entre 30 et 40 millions, cette communauté est aujourdhui présente dans une quinzaine de pays africains, du Sénégal au Soudan.

Population d’éleveur nomade à l’origine, une bonne partie des Peuls est dorénavant sédentarisée. La communauté compte de nombreux intellectuels, chercheurs, grands médecins et hommes politiques. Le premier Premier ministre du Sénégal, Mamadou Dia, et le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, en sont issus tout comme d’ex-chefs d’Etat du Nigeria (Shagari, Yar’Adua), du Mali (Amadou Toumani Touré) et du Burkina (Thomas Sankara), et l’actuel président gambien, Adama Barrow.

La stigmatisation des Peuls est plutôt récente et liée à l’essor du jihadisme — qui séduit certains jeunes de la communauté —, même si des dirigeants comme Sékou Touré leur avait déclaré la guerre. Certains sont morts dans les geôles guinéennes à l’image de Diallo Telli, premier secrétaire de l’Organisation de l’unité africaine.

Par Pascal Airault





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