09:15
Fureur à Alger contre une résolution du Parlement européen
Le Point Afrique - Pour l'Algérie, la résolution européenne présentée jeudi, qui dénonce la détérioration des libertés, est « truffée d'allégations et d'accusations gravissimes et malveillantes ».
Fait inédit : des sénateurs et des députés organisent ce mardi 1er décembre un sit-in de protestation devant le siège de la délégation de l'Union européenne sur les hauteurs d'Alger.
L'initiative coléreuse lancée par un sénateur du FLN, Abdelouahab Benzaïm, se veut une réponse à une résolution d'urgence votée, le 26 novembre, par le Parlement européen dénonçant la situation des droits de l'homme en Algérie.
« Les députés européens se sont unis pour une cause qui ne les concerne pas, alors que nous, nous allons nous rassembler pour une cause qui nous concerne en premier lieu », a écrit le sénateur FLN sur Facebook, dénonçant « l'ingérence odieuse » du Parlement européen.
Aux élus des partis du pouvoir (RND et FLN) se joindront aussi des députés islamistes du MSP et d'Al Adala, selon des médias locaux. Une motion de protestation écrite sera remise par l'occasion à l'ambassadeur de l'UE à Alger, John O'Rourke.
« Torture, intimidation, harcèlement judiciaire »
La résolution européenne, la seconde en presque un an abordant les droits de l'homme en Algérie, et intitulée « Détérioration de la situation des droits de l'homme en Algérie, en particulier le cas du journaliste Khaled Drareni », dresse un tableau peu reluisant de la situation des droits humains en Algérie.
Ainsi, le Parlement de l'UE « condamne fermement l'escalade des arrestations et détentions illégales et arbitraires et du harcèlement juridique dont sont victimes les journalistes, les défenseurs des droits de l'homme, les syndicalistes, les avocats, les membres de la société civile et les militants pacifiques en Algérie ».
La résolution évoque des cas de « torture » dans des commissariats et interpelle quant aux libertés publiques en invitant les autorités algériennes à « mettre fin à toutes les formes d'intimidation, de harcèlement judiciaire, de criminalisation et d'arrestation ou de détention arbitraires à l'encontre des journalistes qui critiquent le gouvernement, des blogueurs, des défenseurs des droits de l'homme, des avocats et des militants ».
L'appel est lancé également pour « remettre immédiatement en liberté, sans conditions, Mohamed Khaled Drareni et tous ceux qui ont été détenus et inculpés pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression, que ce soit en ligne ou hors ligne, et à la liberté de réunion et d'association, y compris Yacine Mebarki, Abdellah Benaoum, Mohamed Tadjadit, Abeldhamid Amine, Abdelkrim Zeghileche, Walid Kechida, Brahim Laalami, Aissa Chouha, Zoheir Kaddam, Walid Nekkiche, Nourredine Khimoud et Hakim Addad ».
« Tonalité foncièrement haineuse et teintée de paternalisme »
Les députés européens disent attendre de l'Union européenne « qu'elle place la situation en matière de droits de l'homme au cœur de son dialogue avec les autorités algériennes, tout particulièrement lors de la prochaine session du Conseil d'association UE-Algérie ».
Ces remontrances ont fait réagir le ministère algérien des Affaires étrangères, qui, dans un long communiqué, exprime toute sa colère : « Ce document prêterait à sourire s'il n'était truffé d'allégations et d'accusations gravissimes et malveillantes (…), accusations allant de la détention arbitraire jusqu'à des actes de torture prétendument commis contre des membres du hirak. »
« [L'Algérie] tient à apporter le démenti le plus méprisant à l'ensemble des accusations fallacieuses. Elle déplore la tonalité foncièrement haineuse et teintée de paternalisme de ce texte, qui dénote d'une hostilité avérée digne de la période coloniale de certains milieux européens à l'égard du peuple algérien et de ses choix souverains », poursuivent les AE algériennes, qui ne précisent pas si Alger réagira autrement à la résolution européenne.
« Je ne comprends pas le caractère urgent [de la résolution]. Ensuite, pourquoi elle est particulièrement motivée par ''le cas du journaliste Khaled Drareni''. Et enfin, la résolution paraît excessive. Quoi que l'on dise, l'Algérie n'est pas cet enfer qu'elle nous donne à voir. À part ces trois remarques, j'adhère totalement aux ''invitations'' que la résolution adresse à notre pays. Personnellement, je n'aurais pas demandé mieux ! » a estimé sur les colonnes d'El Watan le politologue Mohamed Hennad.
L'opposition en rangs dispersés
Côté opposition, les réactions se divisent en deux tendances, sinon trois en prenant compte de l'absence de réaction d'un parti de poids comme le Front des forces socialistes (FFS). Certains mouvements politiques vont dans le même sens des autorités pour dénoncer ce qu'ils qualifient d'ingérence. « La résolution du Parlement européen est un affront à l'honneur des Algériens et une tentative de mise sous protectorat de l'Algérie. Aux patriotes de protéger notre souveraineté. Le changement oui, le chaos non ! » s'indigne l'opposant Soufiane Djilali de Jil Jadid (Nouvelle Génération).
Mais pour Mohcine Belabbas, président du RCD (opposition laïque), l'indignation est mal ciblée. Il commente la réponse des Affaires étrangères algériennes ainsi : « Outrance, dites-vous. Comment peut-on alors qualifier la condamnation du journaliste Khaled Drareni à deux années de prison ferme ? Comment peut-on qualifier le maintien sous mandat de dépôt de plusieurs détenus d'opinion, à l'instar de Rachid Nekkaz, depuis plus d'une année, et le refus de programmer leur procès ? Comment qualifier la fermeture hermétique des médias au débat pluriel et le refus de donner des autorisations, y compris, pour les réunions des organes de direction des partis politiques ? »
« Le problème est plutôt dans le silence du Parlement algérien depuis près de deux ans sur les violations des lois et les atteintes répétées aux droits et aux libertés. Plus grave, il vote des lois liberticides qui viennent au secours de la répression judiciaire », poursuit Mohcine Belabbas.
L'UE parle de « renforcement de la confiance »
Devant le Parlement européen qui s'apprêtait à voter cette résolution, le commissaire européen chargé de la gestion des crises, Janez Lenarčič, représentant le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, avait tenu à préciser que « le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté d'expression, est un élément important des relations UE-Algérie ».
« Nous évoquons régulièrement la situation des droits de l'homme et des cas individuels dans nos contacts à différents niveaux avec les autorités algériennes, à Bruxelles et à Alger », a déclaré Janez Lenarčič, tout en nuançant : « L'UE a intérêt à une coopération forte et stratégique avec l'Algérie et tente de renforcer le partenariat bilatéral. Dans une démarche de renforcement de la confiance soutenue, l'UE est prête à soutenir les réformes que les autorités algériennes voudront entreprendre, en gardant à l'esprit que l'objectif ultime est de répondre aux attentes légitimes du peuple algérien ». Un jeu d'équilibre si difficile à tenir.
Par Adlène Meddi, à Alger