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Ousmane Diagana : Le premier défi est celui de la gouvernance
Magazine de l'Afrique - Le vice-président de la Banque mondiale voit grand pour l’Afrique de l’Ouest et centrale ; la BM consacre près de 50 milliards de dollars en soutien à cette région.
Tenu de concilier l’urgence et le long terme, Ousmane Diagana détaille une stratégie de soutien financier qui va de la santé à la dette en passant par les infrastructures.
En tant que vice-président de la Banque mondiale, vous mettez au point la stratégie de la BM dans la région. Quelles sont vos principales orientations ?
La Banque mondiale a une présence très ancienne en Afrique occidentale et centrale par des interventions d’assistance financière à ces pays, par les projets que nous soutenons, par l’assistance technique et par le conseil. Notre nouvelle stratégie définit l’état des lieux et fait un diagnostic pour définir les actions à privilégier pour un impact plus fort en faveur des populations de ces pays.
La crise sanitaire a eu un impact fort sur ces pays. Pour cette région, vous disposez d’un budget de 38 milliards de dollars pour 22 pays. Comment se fait la répartition par pays, portefeuille ou secteur ?
Déjà avant la crise, nous avions des programmes composés de projets à hauteur de 38 milliards $ pour l’ensemble des 22 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Pendant la crise, au travers des guichets qu’offre la BM, nous avons préparé des projets supplémentaires pour un montant de 11 milliards $. Des ressources particulières ont été mobilisées compte tenu de l’impact de la Covid.
Nous venons en aide aux pays pour qu’ils aient accès aux vaccins par des projets spécifiques. Nous leur fournissons aussi des conseils. Les pays du G7 ont suspendu le paiement du service de la dette et créé plus d’espace dans les budgets des pays pour soutenir l’emploi, l’éducation, la production agricole et lutter contre l’insécurité alimentaire.
Dans cette conjoncture, on assiste à un emballement des dépenses et à une absence de discipline budgétaire. Comment faire face à cette dimension de la dette dont les pays demandent l’effacement ?
La dette est nécessaire pour financer le développement et des investissements parfois très élevés. Elle devrait être transparente, la traçabilité des ressources devrait être garantie et le reporting fait de manière sûre. Ce sont les conditions d’obtention des avantages attendus de la dette.
Nous avons constaté, ces dix dernières années, que le volume de la dette a triplé en moyenne en Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas soutenable dans la durée, et nous travaillons avec les pays sur un système d’endettement bien plus porteur de développement pour assurer que les objectifs de toute politique d’endettement soient atteints. Ceci pour financer des investissements durables et assurer les conditions du remboursement de la dette par les bénéfices générés par l’endettement lui-même.
Vous êtes à la tête de deux régions aux trajectoires diverses. Comment assurez-vous la cohérence, et comment l’arbitrage se décide-t-il ?
L’Afrique centrale est la continuité géographique de l’Afrique occidentale et vice versa. Nous travaillons avec chaque pays mais nous avons aussi des programmes régionaux. Certains peuvent couvrir des pays des deux régions.
On peut faire bénéficier des pays des expériences réussies d’autres pays et les conseiller sur les risques auxquels font face leurs voisins par la manière dont leurs politiques de développement sont conçues et mises en œuvre. En tout état de cause, nous voulons que les priorités de développement soient traitées. Le premier défi pour ces pays est celui de la gouvernance et de la qualité des institutions.
Le deuxième est la dépendance assez forte à des ressources naturelles qui peuvent s’épuiser et le troisième celui d’une démographie assez forte pour laquelle les services dédiés à la jeunesse ne sont pas toujours de qualité. Le quatrième est celui de l’impact du changement climatique sur chacun de ces pays. Nous proposons des solutions pour les aider à aller de l’avant. Nous apportons des solutions financières et une assistance technique car nous ne sommes pas n’importe quelle banque mais une banque de développement.
La réalité de la zone que vous couvrez est celle d’une zone en crise, au Sahel en particulier. Quelle sera votre action dans cette région de fractures avec ses problèmes de pauvreté, de djihadisme, de démographie, de sécurité ? Comment hiérarchiser les priorités ?
Vous avez raison, 11 des 22 pays que nous couvrons sont fragiles. Ils sont confrontés à des conflits et à l’instabilité institutionnelle. L’accès des populations aux services y est relativement faible et la pauvreté y est élevée. Presque 25% de la population qui vit dans l’extrême pauvreté réside dans cet espace.
Il faut une présence de la Banque mondiale et d’autres partenaires, mais surtout un engagement des pays eux-mêmes à changer. Leur situation n’est pas une fatalité. Ces pays fragiles ne l’ont pas toujours été et disposent de potentiels et d’atouts très importants. Le rôle de la BM est d’aider à transformer ces atouts en potentialités de développement pour les populations.
Cela suppose de les accompagner sur le renforcement du capital humain, la transformation de l’agriculture, le financement des infrastructures pour l’accès des populations à l’énergie, et aider les femmes et les jeunes qui constituent la majorité de la population à avoir accès à une éducation de qualité, des services de santé de qualité. C’est l’essentiel des types de projets que nous finançons.
Sur la période 2021-2023, nous allons investir 8,5 milliards $ supplémentaires pour les pays du Sahel. L’essentiel de ces fonds va vers des secteurs qui permettent de changer la donne dans ces pays, en particulier pour donner accès à des services de base aux populations, stabiliser les institutions, développer les infrastructures, créer des emplois.
Comment répondre aux urgences dans une action qui exige du temps ? Comment vivre la distorsion entre les contraintes du moment et ce qu’exige l’action dans la durée ?
Le développement est un agenda de long terme et nous savons que ce n’est pas un long fleuve tranquille. C’est pour cela que notre présence dans ces pays et notre partenariat avec eux se situe dans la durée. Nos bureaux sont présents dans des pays et composés d’experts qui travaillent en étroite collaboration avec les autorités et les populations. Ils réfléchissent ensemble, analysent et évaluent en permanence nos interventions pour tirer des leçons de notre action, capitaliser et porter à l’échelle ce qui a marché, et corriger ce qui n’a pas marché.
Nous sommes une institution internationale et regardons de par le monde ce que sont les bonnes pratiques qui peuvent être reproduites en Afrique. Vous avez raison de dire que cela demande de la constance, de la consistance et de la cohérence. Il faut éviter d’être fatalistes et ne pas laisser croire que ces pays dans des difficultés parfois très fortes ne peuvent se relever. Beaucoup d’expériences de par le monde montrent que des pays qui étaient pauvres ont pu obtenir des progrès par des efforts soutenus dans les réformes et un accompagnement important des partenaires. C’est pour cela qu’il faut rester présent auprès de ces pays.
Les indicateurs de développement au Sahel sont alarmants. Comment donner de l’espoir aux jeunes et pratiquer une politique d’inclusion alors qu’il y a une crise des États ? Cela semble être véritablement le nœud du problème.
Vous avez raison. Vous donnez l’exemple du taux d’accès à l’électricité qui est d’environ 30% dans les pays du Sahel. Les systèmes de santé ne marchent pas. L’éducation non plus. L’économie numérique ne peut pas prospérer et le coût des services est extrêmement élevé, quand ils existent. Nous avons pris l’engagement que dans cinq ans le taux d’accès à l’électricité double au Sahel. D’autres réformes doivent être soutenues pour donner de l’espoir aux jeunes et créer les conditions du développement.
Nous savons que si les questions de la gouvernance et de la stabilité des institutions ne sont pas assurées, les investissements ne peuvent pas se développer, le secteur privé ne peut pas venir jouer son rôle aux côtés de l’État et investir dans des secteurs prioritaires. Même les gains de développement obtenus pourraient être compromis.
Comme se déroule la concertation avec les pays ?
Nous avons des relations très étroites avec eux par la présence d’un bureau local composé d’experts locaux et internationaux. Ces gens connaissent les pays et disposent d’une expérience avérée. Le dialogue est continu entre les autorités nationales et notre personnel et nous tenons compte de leur appréciation de notre programme, de la complémentarité entre ce que nous proposons et ce qu’ils proposent, et surtout de l’ancrage de nos interventions dans les priorités nationales de développement. Tout cela se reflète dans les services que nous proposons et dans nos interventions au niveau des pays.
L’indicateur Doing Business a-t-il une place dans votre grille de lecture, dans une région très fragile et marquée par la pauvreté ?
Les besoins de financement des pays sont très nombreux et il ne revient pas à l’État de tout faire. Des partenaires financiers comme la Banque mondiale n’ont pas non plus les moyens de tout faire. Le Doing Business permet les conditions d’attractivité du secteur privé pour compléter les efforts de l’État et des autres partenaires. Nous accompagnons les pays par des programmes spécifiques pour mettre en œuvre les réformes qui améliorent le climat des investissements. C’est essentiel pour élargir le champ des partenaires qui peuvent venir investir dans un pays donné.
Par Hichem Ben Yaïche, avec la collaboration de Nicolas Bouchet