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23-07-2021

13:52

Le droit de l’environnement au cœur de la santé environnementale. (6) Par maître Taleb Khyar *

Taleb Khyar Mohamed - L’implication des collectivités décentralisées devrait conduire à l’élaboration de contrats territoriaux d’exploitation en collaboration avec les populations autochtones ; ces contrats peuvent concerner aussi bien les riverains de cours d’eau, comme les populations de la vallée au Sud de la Mauritanie, ou celles vivant dans le voisinage de bassins miniers, comme les populations du Nord.

L’enjeu ici, consiste à privilégier une gestion concertée de l’espace naturel par les autochtones, pour le soustraire à la multitude de comportements individuels venus d’ailleurs, amplifiés et justifiés par la conception libérale dominante du droit de propriété, suffisamment illustrée par la règle :

« La terre appartient à ceux qui la mettent en valeur » qui, en la matière, est la source à laquelle s’abreuvent les législations foncières dont la seule fonction est de titulariser les droits de spoliateurs et autres spéculateurs, attirés par l’appât du gain, sans égard pour le sort des autochtones, ni pour les bouleversements écologiques qu'entraîne l’exploitation désincarnée des terres nouvellement accaparées.

Pour asseoir juridiquement la spoliation de ces espaces qui viendront accroître le patrimoine foncier de ces nouveaux envahisseurs, il suffira de constater, en conformité et en accord avec des objectifs politiques circonstanciels étrangers aux intérêts des autochtones, que ces terres sont des biens errants, sans maîtres, des « terra incognita », des biens « res nulluis ».

Ce constat pourra se faire par décision administrative, selon des procédures qui ne mettent pas à contribution les autochtones, ou le sont, le pied sur la gorge, sous toutes sortes de menaces et de chantages pour les contraindre à apporter des témoignage et aveux favorables aux désidératas des nouveaux propriétaires, qui se verront alors délivrer des titres de propriété, expropriant et envoyant à la détresse, des populations entières.

Ce phénomène est perceptible dans bien des pays, même s’il peut prendre ici ou là des formes diverses et variées, pays dont la Mauritanie, où plutôt que d’orienter le comportement des acteurs économiques vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement des territoires concernées (êtres vivants et milieux naturels), la législation foncière n’a fait que précipiter l’expropriation massive de certaines populations, dont celles de la vallée sous le prétexte fallacieux de la mise en place d’une industrie agro-pastorale, engendrant de la sorte, une gestion catastrophique de l’espace naturel, en totale rupture avec l’intérêt vital des habitants historiques des lieux.

Vladimir Ilitch Lénine, créateur de la Russie soviétique, aurait déclaré que la meilleure manière de détruire le système capitaliste est de s’attaquer à sa monnaie….Revenant sur cette réflexion, l’économiste anglais de réputation planétaire, John Maynard Keynes allait la généraliser en ces termes : « Il n’y a pas de manière plus subtile, plus sûre et plus discrète de renverser l’ordre existant de la société que de vicier sa monnaie » ; on peut, sans verser dans une métaphore excessive, affirmer qu’il n’y a pas de manière plus sûre de perturber l’économie d’une région que de détruire son écosystème, et c’est précisément ce qui s’est produit dans la vallée.

Toutes les attributions foncières et expropriations subséquentes doivent être annulées, pour permettre aux populations historiques de cette région, de retrouver en pleine propriété, les biens dont elles ont été spoliées, car les décisions prises à l’effet de transférer ces biens à de nouveaux arrivants, et d’en expulser les propriétaires originaux, l’ont été en toute illégalité, s’agissant d’actes insusceptibles d’être rattachées à un pouvoir de l’administration. C’est de cette manière, et seulement de celle-ci, qu’on rendra à l’agriculture sa fonction sociale et environnementale, et qu’on pourra valablement l’intégrer dans une économie circulaire, au mieux des intérêts de la préservation de l’écosystème et du bien-être des populations locales, se traduisant de diverses manières, y compris l’amélioration de l’emploi, grâce à une combinaison moins conflictuelle, et plus harmonieuse des facteurs de production, dont le plus important et le plus déterminant, reste la terre.

La fonction purement mercantile que l’on veut donner à la politique agricole , si tant est que cet objectif puisse être atteint par la dépossession et l’appauvrissement des populations locales, ne permettra jamais un développement durable, ni même viable, et aura une portée plus perturbatrice que régulatrice.

On retrouve le même phénomène en d’autres endroits de la Mauritanie, et de manière visible, au Nord où l’exploitation par cyanuration de gisements aurifères est en train de conduire à un véritable bouleversement écologique, après celui constaté dans l’Inchiri, où autochtones et bétail sont désormais en danger imminent et permanent, exposés qu’il sont à des techniques d’extraction incompatibles avec la préservation de l’écosystème.

Les populations et collectivités locales doivent être associées à la gestion de leur territoire, conformément au principe 22 de la Conférence des Nations Unies, sur l’environnement et le développement qui énonce en termes clairs que : « les populations et communautés autochtones et les autres collectivités locales ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l'environnement et le développement, du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats devraient reconnaître leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l'appui nécessaire et leur permettre de participer efficacement à la réalisation d'un développement durable », et dans la même veine, on peut valablement évoquer le principe 12, aux termes duquel, « Les mesures de politique commerciale motivées par des considérations relatives à l'environnement ne devraient pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable ».

On devrait désormais privilégier une gestion concertée des espaces naturels avec les populations autochtones, et ne plus se laisser séduire par les slogans publicitaires de certains spéculateurs ( qui ne sont pas des investisseurs, et la nuance est de taille), avides du sang des populations locales, dont ils se gavent de manière indécente et immodérée, moyennant des royalties qui ne permettent même pas de garantir aux victimes écologiques de leurs abus, les soins de santé primaires, et c’est là tout le sens de la solidarité écologique énoncée sous forme de principe général du droit de l’environnement, recommandant la prise en compte dans toute décision publique ayant une incidence notable sur le territoires concernés, des interactions des écosystèmes des êtres vivants, et des milieux naturels, ou aménagés.

Proclamer sous forme de règle impérative que la terre appartient à celui qui la met en valeur, revient à exclure du droit d’accès à la propriété tous ceux qui ne disposent pas de moyens financiers leur permettant de satisfaire à cette exigence préalable et conditionnelle que l’on donne de manière arbitraire, à la « mise en valeur ».
D’ailleurs, ceux qui disposent de moyens financiers ne sont pas toujours, pour ne pas dire, ne sont jamais, les occupants de la terre qui y vivent depuis plusieurs générations, et dont la propriété devrait leur revenir par la voie de la prescription acquisitive, même si leur mode d’exploitation peut paraître rudimentaire, et parfois même, inaccessible à la perception qu’ont les économistes de la notion de mise en valeur ; un autochtone qui pratique une culture vivrière est à l’abri des chocs monétaires, puisqu’il exerce une activité séculaire dont le caractère répétitif lui a toujours permis au fil des siècles, et depuis la nuit des temps, de subvenir à ses besoins, de conserver le surplus dans des greniers affectés à cet effet, et d’en écouler de temps à autre, sous forme de monnaie- marchandise, une portion pour se procurer les biens de consommation qui lui font défaut.

C’est donc autour de l’échange que s'articulent ces économies, avec comme seule exigence pour la fluidité des trocs, une double coïncidence des besoins qui régule la valeur des biens échangés.

Il va de soi que cet agriculteur qui exerce son activité sur un espace déterminé depuis des générations, devrait être propriétaire de cet espace par la voie légale de la prescription acquisitive, sans qu’on ne puisse lui opposer la difficulté, voire l’impossibilité d’accéder à des capitaux afin de passer d’une exploitation vivrière à une autre de nature industrielle, pour avoir le droit de se maintenir sur les lieux ou, à défaut, en déguerpir au bénéfice d’un nouvel arrivant, armé jusqu’aux dents des biens de la collectivité publique dont il dispose grâce à son accès illimité aux fonds du crédit agricole qu’il ne remboursera jamais ; on a vu comment des fortunes ont été amassées par ces gens-là qui s’endettent à coups de milliards auprès de ce fonds créé pour la circonstance, et qui chaque année, voient leurs créances annulées, puis se font accorder de nouveaux crédits, ce processus se répétant à l’infini. Ce sont ces gens-là, enrichis en toute illégalité à coups de revenus de transfert, car très vite inscrits dans la rubrique pertes et profits, qui viennent exproprier les paisibles agriculteurs de la vallée, pour faire de leurs terres des ranchs et des lieux de villégiature.

Le même raisonnement est valable pour le pêcheur de la vallée dont l’activité n’est que le prolongement de son existence sur des espaces contiguës à ses parcours de pêche côtière ; demander à un tel autochtone de s’endetter afin de créer sur terre des pêcheries, pour justifier de la sorte son droit d’accès à la propriété au sol, revient à le pousser au suicide.

Toutes ces populations sont privées de leur espace vital, et sont de la sorte conduites à de véritables déchirements, après les dénuements dont elles sont victimes.

Il faut laisser la terre à ceux qui, traditionnellement en sont les occupants, et les faire bénéficier prioritairement et de manière exclusive de toutes les facilités que l’Etat est susceptible de mettre à la disposition de sa politique agricole, y compris l’assistance technique et l’accès au crédit, pour leur permettre de se maintenir sur les lieux, en fonction de leur mode de vie traditionnel, où la gestion partagée des espaces de vie, en harmonie avec l’environnement, prévaut sur le mode d’exploitation individuel ; certes, on ne peut exclure l’évolution de leur mode de production vers une marchandisation, mais qu’on leur laisse le temps et qu’on leur donne les moyens d’y accéder selon leur rythme, en toute normalité, loin de toutes contraintes déstabilisatrices ; les incitations économiques reposant exclusivement et aveuglément sur des mécanismes de marché, ne sont jamais compatibles avec les intérêts écologiques des autochtones, qui doivent primer sur ceux de nouveaux rentiers et spéculateurs de tous bords . (à suivre).

*Avocat à la Cour

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.





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