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Un parcours, une vie
Dr Sidi Mohamed Ould SIDI - Le Docteur Mohamed El Mokhtar Ould Bah m’a honoré en recevant de ses mains, et dédicacé, un exemplaire de ses Mémoires intitulé Rihleti Maâ Elhayat dont la traduction, tout compte fait et tenant compte des appréciations que nous verrons, ne peut être, à mon avis, qu’un duel avec la vie mais aussi un parcours, auréolés d’une piété qui traduit l’entière orthodoxie musulmane de soumission au créateur, mais empreinte de soufisme. Lequel est assez compréhensible.
Une certaine pudeur bien de chez nous, que renforce des facteurs, inhérents à une certaine éducation, parmi lesquels la retenue est la plus prégnante, mais aussi un défaut d’abstraction – pour des raisons objectives, liées par le passé à l’âge d’une part, et aux occupations universitaires et du contexte actuel, d’autre part, – m’avaient empêché, à tort, en dépit de rencontres circonstancielles en famille, tant au Maroc qu’en Mauritanie, somme toute normales, de déterminer les contours de cette personnalité singulière et de découvrir sa dimension réelle dont on retenait que les péripéties superficiellement connues.
Ces Mémoires viennent, à point nommé, remplir ce vide et satisfaire ce regret ainsi exprimés.
Sans vouloir passer en revue toutes les étapes de ce parcours inédit, que révèle cette importante œuvre, j’en retiens quelques unes qui ont motivé cet écrit dont je me réjouis. Du fait qu’il ne puisse être entaché de la complaisance que d’aucuns expriment pour appuyer d’autres essais de publication similaires. La découverte de son originalité est laissée aux bons soins et à la merci du lecteur avisé. On pourrait me rétorquer en paraphrasant l’adage, bien connu de chez nous, et qu’on peut traduire, approximativement, par la formule : « Tes appréciations de l’auteur ne peuvent être entendues. »
D’abord, il est à souligner que, de nos jours, les lectorat mauritanien, en particulier, et celui étranger, en général, doivent retenir et entourer de leur entière appréciation tout cet effort qu’impose cette double vie, bien mauritanienne, tant nomade, avec ses obligations ancrées (enseignement originel, suivant toutes ses ramifications, des Mahadras, conditions de vie difficiles avec leur paradoxe de simplicité et d’insouciance, etc.), que sédentaire dictée par un autre mode de vie, il faut le dire , d’origine coloniale (recherche de soi et la volonté de positionnement social et d’adaptation, pour le moins pas évidents, à ces exigences pour lesquelles l’auteur n’était pas, initialement, préparé.) Cette dualité, difficile à surmonter, est décrite – dans un langage modeste, réaliste et sans précipitation – par l’auteur à merveille, et traduit sa capacité, dépourvue de complexes, à gérer précocement ce premier affront de la vie.
En commençant par l’acceptation de sa modeste prime comme enseignant de langue arabe à Néma et son aptitude à se mouvoir de temps à autre, durant la même période en simple élève, afin d’acquérir les rudiments de la langue française.
La soif du savoir qui l’anime dans un domaine qui dénote, encore une fois, l’écart qui le sépare de son attache culturelle traditionnelle : telle sa réussite, comme auditeur libre, aux deux parties de l’ancien baccalauréat philo à Saint-Louis du Sénégal, parallèlement à ses loisirs et ses distractions locales ( poésie maure et jeu d’échecs traditionnels ) qui servirent de pont entre son ambition personnelle et d’autres clubs d’amis locaux qu’il compte garder. Un tableau.
Puis, s’ensuivirent la licence en littérature, en passant par celle de pilotage, le doctorat et l’agrégation plus tard.
L’œuvre démontre, pour l’histoire, que de cette relation avec le Royaume du Maroc fut motivée par une conscience de la soumission politique, et non une indépendance, à l’ancienne métropole, entérinée par la loi-cadre de Gaston Deferre. Les acteurs de cette relation, outre l’auteur, tels les défunts l’émir Mohamed Vall Ould Oumeir, Dey Ould Sidi Baba, Cheikh Ahmedou Ould Sidi et Mohamed Ahmed Ould Taghi, recherchèrent une voie d’indépendance dans un contexte d’émergence du nationalisme arabe, et dans la foulée, l’indépendance marocaine, fraichement acquise, n’était pas en reste.
Donc, une motivation plus de fédéralisme et de recherche de voies de sortie que d’être la poursuite d’un but d’intégration pure et simple. D’où le conflit qui les opposa aux autres transfuges, tenants non seulement de la voie violente à l’égard du territoire mauritanien, mais du déni total du pays. Leur retour, dés les premières années d’indépendance, en est une preuve. Ce que j’avais eu à exprimer, entre autres, au cours de l’émission, Daif We Kadia du 04 novembre 2015, de la chaîne de télévision Chinguitt.
Le paradoxe et l’originalité que soulignent ces Mémoires, c’est la mise au parfum de l’ancien président Mokhtar Ould Daddah, initialement, par l’auteur de cette appréhension politique, et il eut à rencontrer quelques uns, trois fois, plus tard, avant leur retour. En réalité, il était dans un engrenage franco français. Il n’eût, relativement, comme marge de manœuvre qu’à l’issue de la révision des accords avec la France en 1972. Ironie de l’histoire, il adopta au milieu des années 1970 et lors de l’occupation de sa partie saharienne et ses conséquences, notamment d’alliance, des réformes de rattrapage quasi identiques à celles prônées par ces opposants de première heure.
L’affaire d’Al Madani Essoubai pour justifier leur incarcération, s’est avérée être une mise en scène. Le président de la cour, qui aura à les juger plus tard, lui avait inculqué, auparavant, contre monts et merveilles : tu seras arrêté par tel, à telle place, à telle heure et tu diras tels propos compromettants.
Lors de ce procès, l’intermédiation soulignée par l’auteur, en amont, n’était pas nécessaire si on s’en tient à ces différents éléments à décharge, qu’il explique, d’ailleurs, en détails, tributaires, il est vrai, d’une justice indépendante.
Toujours dans cet ordre d’affront de la vie, le fait que l’auteur ne prit en compte le mauvais temps, sans prendre en compte les consignes des services de contrôle de l’aéroport de Nouakchott, lors de ses randonnées dans son petit avion, est une source d’émerveillement.
Il ne put garder sa retenue, et son attitude fataliste face aux surprises de la vie, notamment les circonstances de la mort de sa mère. Récit émouvant qui dénote de l’intensité de leurs rapports. Ce n’est là qu’un euphémisme.
Son esprit d’ouverture et de compassion à l’égard de ses collègues, qu’ils soient adversaires politiques ou de travail, est à souligner, si on sait que chez nous l’adversité politique normale est parfois mal évaluée.
Le reste du parcours est une suite logique et une consécration de toute cette abnégation, en particulier après les années 1978. Les postes dans des organisations internationales et régionales, et l’aboutissement de l’effort académique et éducatif par la création d’une université privée.
Ces amis politiques classiques, à défaut de leur disparition, auraient apprécié son ouvrage, et en particulier l’émir Ould Oumeir qui se serait permis une digression, bon enfant, à l’image de celle échangée, alors qu’ils étaient en détention, lors de leur rencontre fortuite et émouvante à l’aéroport d’Aioun en 1964.
Enfin, je lui souhaite, à l’issue de ce modeste commentaire, une longue et épanouie présence parmi nous.
Dr Sidi Mohamed Ould SIDI