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Entretien avec Mohamed Abdel Kader Alada, directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration
Le Calame - Dans un discours prononcé devant les étudiants de l’ENAJM, le président de la République a fustigé l’inefficacité de l’administration mauritanienne. Comment avez-vous réagi à cette sortie ? La formation dispensée par l’ENA serait-elle remise en cause?
Mohamed Abdel Kader Alada : C’est un discours d’une grande franchise et d’un courage inouï. Le Président a exprimé son ressenti, il a dit tout haut ce que bon nombre de ses concitoyens pensent et dénoncent tous les jours. Je suis convaincu que les idées développées par le président de la République ont marqué les esprits de nos étudiants sortants ; ils s’y référeront tout au long de leur carrière pour mener à bien leur mission, à savoir rester à l’écoute des citoyens afin d’apporter des solutions à leurs problèmes quotidiens.
Pour le deuxième volet de la question, le président de la République ne faisait pas allusion aux acquis des fonctionnaires et agents sortis de notre établissement : il parlait plutôt des comportements de ceux-ci une fois sur le terrain.
Les sortants de l’ENAJM sont d’un niveau appréciable mais un cadre de l’État peut bénéficier d’une bonne formation, avoir, comme on dit une tête bien pleine, mais une fois sur le terrain, opter pour un comportement déviant, entretenir de mauvais rapports avec les administrés ou même ses collègues.
C’est ce que le Président dénonce et condamne même, parce qu’il ambitionne de doter son pays d’une administration dévouée, proche et au service du citoyen. C’est un gros challenge, nous devons accompagner cet élan. J’ose ici affirmer que l’ENAJM jouera pleinement sa partition pour ce combat, aussi bien au niveau de la formation qu’au niveau de l’ancrage du civisme et des bonnes manières…Il y va de la réussite et du développement de notre pays que le président Ghazwani est en train de tirer vers l’émergence.
- Voudriez-vous justement nous rappeler la mission dévolue à l’ENAJM ?
- L’ENAJM a pour principale mission de former et de renforcer les capacités des fonctionnaires et agents de l’administration sur le plan académique et sur le plan professionnel surtout. Une fois sortis de l’école, ils doivent être directement opérationnels. Les sortants de l’école sont d’un haut niveau, ils disposent de compétences techniques et technologiques. L’élève doit posséder au moins le niveau B1 pour les langues dans les différentes filières (anglais, arabe, espagnol, français, pulaar, soninké, wolof…)
Pour la formation continue (renforcement des capacités) des fonctionnaires et agents de l’État, nous avons lancé, en 2021, un programme de grande envergure, une première dans l’histoire de l’école :dix-huit sessions de formation d’une durée d’un mois chacune, en assistance administrative, rédaction administrative, langues (anglais, arabe, français), passations de marché, inspection, contrôle et archivage, au profit de mille huit cents fonctionnaires et agents de l’État dont 63,24 % d’hommes et 36,76 % de femmes. Je signale que l’école n’avait pas connu, depuis 1996, un si grand nombre de sortants répartis en dix-neuf sections.
Ce programme sera poursuivi et renforcé en 2022.On y ajoutera d’autres modules et introduirons au moins une session en langues nationales, pulaar, soninké et wolof. C’est la volonté du président de la République qui non seulement améliore les prestations de notre administration mais également vise à renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale, un autre de ses chantiers essentiels.
Cet enseignement des langues nationales pulaar, soninké et wolof abat les barrières entre les administrateurs et les citoyens ne parlant pas la même langue maternelle, fonde la confiance et respecte l’intimité des interlocuteurs, c’est extrêmement important.
Toujours dans le cadre de la formation des cadres et agents de l’État, nous allons élaborer un module sur l’accueil et relations publiques pour aider les départements ministériels et autres établissements publics.
L’objectif de cette formation mise en place dans les années 90, sans suites, est de permettre à nos sortants bien formés en ce domaine d’accueillir et orienter les citoyens sollicitant leurs services. Je tiens à signaler que ce module est très important dans le contexte que nous vivons ; il répond aux exigences d’une administration réellement au service des citoyens, tel que l’exige le président de la République.
Vous avez constaté, depuis son discours, que certains départements ministériels et établissements publics ont commencé à installer des services en ce sens et des numéros verts permettant aux citoyens d’entrer directement en contact avec eux pour examiner et éventuellement satisfaire leurs doléances. Ces initiatives pourraient désengorger les administrations et, partant, apporter plus de rapidité dans le traitement des dossiers. Nous allons accompagner ce coup d’accélérateur en formant le personnel approprié.
- Depuis bientôt deux ans, l’ENAJM a introduit l’enseignement des langues nationales pulaar, soninké et wolof dans ses cursus de formation. Comment vous y êtes-vous pris ? Quelle évaluation en faites-vous ?
- L’enseignement des langues nationales est un programme extrêmement important pour l’école. Nous avons été instruits par le président de la République, Son Excellence Mohamed Cheikh El Ghazwani, pour introduire un curricula dans le cursus universitaire de l’établissement. C’est donc une volonté politique de la plus haute autorité du pays.
Cet enseignement est destiné aux magistrats et aux administrateurs. Il s’agit, comme vous le savez, de corps en contact direct avec les citoyens. Trois promotions de magistrats ont été formées dans ces langues nationales ; nous n’avons pas de promotion d’administrateurs en formation. Nous avons déjà noté un grand engouement des étudiants magistrats, vous pouvez vous-même le constater de près en nos différentes sections ; ils ont compris toute l’importance de disposer de cet outil qui leur ouvre d’importantes perspectives.
Nous avons confié, à cette fin, la tâche à notre spécialiste maison, Sidi Mohamed Abdi, docteur en science du langage et chef du centre d’enseignement des langues au sein de l’ENAJM. C’est un spécialiste et un homme d’expérience. Rapidement, il a mobilisé toutes les siennes, ainsi que ses relations dans le domaine.
Puis nous avons organisé une Journée nationale et pas moins de quatre ministres ont assisté à son lancement : ministres de l’Intérieur, de la Justice, de la Fonction publique et de la Culture ; avec des associations culturelles nationales pulaar, soninké et wolof. Dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement, le Premier ministre Mohamed Bilal a insisté sur cette décision d’introduire l’enseignement des langues nationales à l’ENAJM, ce qui prouve toute l’importance que le président de la République et son gouvernement accorde à cette initiative.
Je tiens à signaler ici que les associations culturelles nationales constituent des partenaires dynamiques et efficaces, leur contribution est très importante dans le travail que nous menons afin de mettre en œuvre le programme décidé par le président de la République. Cette journée fut un grand moment.
Dans la foulée, le coordinateur a concocté une commission et des cellules qui ont travaillé, des jours durant, avant de produire un module tirant sa substance des différentes expériences des associations culturelles nationales et prenant compte le Cadre Européen Commun de Référence des langues (CECR), conçu, il faut le signaler, dans l’objectif de « fournir une base transparente, cohérente et aussi exhaustive que possible pour l’élaboration de programmes de langues, de lignes directrices pour les curriculums, de matériels d’enseignement et d’apprentissage, ainsi que pour l’évaluation des compétences en langues étrangères. »
Ce document sert de référence pour toutes les structures engagées dans l’enseignement des langues nationales. Des professeurs d’enseignement en langues ont été rassemblés ; ils pratiquent l’approche par les compétences (APC), une méthode didactique susceptible de faciliter l’apprentissage aux apprenants.
Afin de donner du poids à cet enseignement des langues, nous lui avons affecté le coefficient 2. Vous constaterez qu’un étudiant n’ayant pas une bonne note en langues nationales aura de sérieuses difficultés à passer en classe supérieure. Trois promotions ont été formées. Je tiens enfin à vous signaler que toutes les mesures ont été prises pour mener à bon port ce programme d’enseignement dont les premières actions sont supportées par le budget de l’école.
Propos recueillis par Dalay Lam