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12-05-2022

13:43

Entretien avec Diop Amadou Tidiane, président du Front Républicain pour l’Unité et la Démocratie (FRUD)

Le Calame - Il y a quelques jours, vous avez organisé, avec un groupe de personnalités politiques et syndicales, un point de presse au cours duquel vous avez lancé un appel à un sursaut patriotique national. Pourquoi une telle sortie ?

Amadou Tidiane Diop : Merci de me donner encore une fois l'opportunité de m'adresser au peuple mauritanien. Effectivement, il y a une semaine de cela, nous avons organisé avec d'éminentes personnalités politiques et syndicales mais aussi de la Société civile, un point de presse au cours duquel nous avons lancé un appel à un « sursaut patriotique et populaire ».

Cette action est le résultat d'un long processus de réflexions, d'échanges et de concertations engagées depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sur la situation alarmante et sans précédent que traverse le pays, au vu des souffrances endurées quasi-quotidiennement par le peuple. Je vous ferai l’économie de la description de cette situation désastreuse caractéristique de la gouvernance actuelle du pays, le document que nous avons publié à l’issue de ce point de presse est à cet égard sans équivoque.

Sur le plan politique, le dialogue dont tout le monde parle – et qui résulte d’ailleurs d'une promesse électorale – est loin de répondre aux exigences minimales d’un dialogue qui se veut serein. Il peine à trouver une issue susceptible de jeter les bases d’une société unie, égalitaire, tournée vers le développement et d’apporter des solutions aux problèmes du Mauritanien.

Sur le plan social, vous constatez avec moi que la Place de la Liberté ne reste jamais vacante de ces mouvements de protestations et de revendications qui l’assiègent presque tous les jours pour dénoncer la flambée vertigineuse des prix qui fait que la vie de certains de nos compatriotes devient de plus en plus insupportable; l'expropriation du foncier le long de la Vallée ; l'insécurité et les agressions quasi-quotidiennes qui gangrènent toutes les grandes villes et sont devenues monnaie courante, de nuit comme de jour ; la situation des militants des droits de l'homme qui croupissent en prison à Rosso et dont la seule faute est de s’opposer à l’expropriation des terres du village riverain de Ngawlé. Et l'État cautionne ces pratiques flagrantes.

- En lisant votre déclaration, on a le sentiment que le pays est au bord de l’implosion. Qu’est-ce fonde ce pessimisme ?

- Si je ne m’abuse, vos première et seconde questions sont inextricablement liées. Cela me permet donc de compléter le sombre tableau déjà dressé dans le cadre du « document-appel » que nous avons lancé et qui justifie sans doute le scepticisme dont nous faisons preuve.

Chaque jour qui passe, laissez-moi vous le dire, le fossé qui sépare une certaine frange socialement intégrée des marginalisés ou exclus se creuse davantage. Au risque de me répéter, je vous rappelle l'implosion des prix des denrées de première nécessité, l'expropriation des terres, l'insécurité galopante dans certaines villes… À cela s’ajoutent la pénurie d’eau dans certaines localités du pays, y compris Nouakchott, les coupures incessantes d'électricité et le chômage.

Tous ces problèmes constituent aujourd'hui autant de facteurs susceptibles d'enclencher le processus d’une révolte populaire. Les populations en ont ras-le bol ; surtout parce que, devant eux, se dresse un pouvoir peu soucieux de leurs préoccupations et incapable d'apporter des solutions appropriées et durables à tous ces problèmes.

- Votre sortie intervient alors que d’autres acteurs politiques ont entamé les préparatifs des concertations nationales. Est-ce à dire que vous n’êtes pas concernés par ce dialogue en gestation ?

- Permettez-moi d’abord de rappeler que plusieurs dialogues furent initiés dans l’histoire politique de notre pays mais que presqu'aucun ne vit ses résolutions appliquées. Il est alors légitime de se demander pourquoi celui-là ferait exception.

Bref, concernant ce dialogue, le FRUD avait déjà fait part de sa position le 11 Septembre passé au cours d'une conférence de presse. Pour comprendre celle-là, considérons quelques faits qui ont précédé l'amorce de ce dialogue : n'avons-nous pas assisté à des rodomontades et des déclarations suscitant l’indignation et l’inquiétude de ceux qui espéraient voir se concrétiser une promesse électorale, en occurrence le dialogue annoncé par Ghazwani à l'époque candidat à l’élection présidentielle ?

C’est ce dernier devenu président qui a ouvert le bal, lors d’une conférence de presse, en déclarant devant le peuple que « la Mauritanie n'avait pas besoin de dialogue ». Quelques jours plus tard et dans les mêmes circonstances, ce fut au tour du ministre de l'Intérieur d’abonder dans le même sens, allant jusqu’à décliner en termes clairs : « la Mauritanie n'est pas dans un contexte qui nécessite un dialogue ».

Ce n'est qu’à la suite de la forte pression exercée par certains partis politiques «d'opposition» qu'il fut accepté d'engager la soi-disant « concertation » en lieu et place du dialogue.

Ainsi, après moult discussions et concertations ici et là, se tiendra sous l'égide du parti au pouvoir la toute première réunion à l'académie du MAEC réunissant la majorité et l'opposition tous partis confondus.

À mon sens, espérer un dialogue concluant après deux années de tergiversations autour de l’opportunité ou non de son organisation relève tout simplement de la naïveté. Pour nous, si tous les dialogues précédents ont échoué, c'est justement parce qu'ils n'ont pas obéi aux exigences d'un dialogue qui veut réussir.

Il en est de même pour celui en cours. Notre scepticisme est donc bien fondé. Il ne s'agit pas, comme certains l’ont prétendu, d’être ou non exclus de ce dialogue. Au niveau du FRUD, notre organisation politique a bien reçu sa lettre d'invitation à participer à la toute première réunion chargée de préparer les assises nationales.

Mais les motifs qui nous ont amené à nous en retirer sont sans doute les mêmes que ceux de nos camarades avec lesquels nous avons organisé, il y a quelques jours, une conférence. Dois-je rappeler à cet effet que tous appartiennent à des formations politiques déjà impliquées dans ce dialogue en cours et vous dire qu'ils ont eu la possibilité d'y participer mais ont choisi le chemin du boycott, estimant, comme je viens de le dire, que ce dialogue n'augure aucun espoir.

- Votre appel est signé par des personnalités appartenant presque toutes à des partis politiques et à des syndicats. Jusqu’où pourront-elles aller, compte-tenu de l’échéance électorale de l’année prochaine ? Que vous inspire l’attitude du gouvernement concernant le dialogue qui se prépare ?

- À la question jusqu'où les signataires de l'appel sont prêts à aller ensemble, j’aurais préféré que nous laissions à l’avenir les questions portant sur l’avenir pour pouvoir en parler le moment venu. Mais je me permettrai tout de même de rappeler que les signataires de l'appel, en dépit de leur diversité d’appartenance politique ou organisationnelle, convergent sur un certain nombre de questions politiques et sociales ; c’est d’ailleurs ce qui motive leur adhésion active à ce « sursaut patriotique et national ». Et nous poursuivrons notre marche collective tant que durera ce pacte.

Maintenant venons-en à votre dernière question. L’attitude du gouvernement concernant le dialogue qui se prépare nous semble relever d’une farce de mauvais goût, pour ne pas dire d’une mauvaise foi. Car comment comprendre qu’on organise, avant ce prétendu dialogue, des assises nationales sur des questions aussi vitales que l’éducation, l’esclavage ou le foncier ? Ce dialogue qui se prépare est une coquille vide ; il a été vidé de sa substance et c’est ce qui fait qu’il sera sans issue.

Propos recueillis par Dalay Lam



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