11:13
En République islamique de Mauritanie, une communauté chrétienne fragile
La Croix - Il y a cinq ans, le 13 mai 2017, le Saint-Siège nommait pour la première fois un nonce apostolique en Mauritanie alors que les deux États officialisaient l’établissement de relations diplomatiques. Très minoritaire dans la République islamique de Mauritanie, l’Église catholique est respectée par les autorités et la population grâce à son implication auprès des plus démunis.
Semblable depuis l’extérieur à une tente, la cathédrale Saint-Joseph de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, accueille chaque dimanche entre 400 et 600 fidèles catholiques. Après la messe, en français, certains, vêtus de tissu wax à l’effigie de saints, s’attardent dans la cour.
« Des personnes de tous continents et de toute condition sociale se retrouvent. Cela donne une vivacité à notre Église que l’on ne retrouve pas ailleurs », se réjouit Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott. L’occasion aussi pour ces chrétiens, tous non mauritaniens, de se réunir, alors que beaucoup vivent dans une grande précarité.
« L’Église est aussi un moyen de nous rassembler entre chrétiens et étrangers », souligne Laurent, originaire de la Guinée-Bissau et responsable des enfants de chœur de la paroisse de la cathédrale.
Une minuscule minorité
L’unique diocèse de Mauritanie, érigé en 1965, regroupe les principales paroisses de Nouakchott et Nouadhibou, deuxième ville du pays, auxquelles s’ajoutent les missions d’Atar, Rosso, Kaedi et Zouérate sans qu’elles aient de fidèles pour autant. Car, au sein de la République islamique de Mauritanie, la présence chrétienne reste infime. L’islam est religion d’État, et tous les Mauritaniens sont musulmans. Les 4 000 catholiques du pays sont tous étrangers et originaires d’une quarantaine de pays, majoritairement africains.
« Un tiers de la paroisse de Nouakchott se renouvelle annuellement car beaucoup sont de passage : c’est un défi. Mais cela nous empêche de nous endormir ! », sourit Mgr Martin Happe, évêque depuis 1995 après vingt-deux ans comme administrateur apostolique au Mali. Ce « père blanc » de 77 ans, originaire d’Allemagne, compte une dizaine de prêtres sous sa responsabilité, la plupart missionnaires, ainsi qu’une trentaine de religieuses de diverses congrégations.
Dialogue interculturel
« À l’aéroport de Nouakchott, un Mauritanien remarquait, amusé, que je portais une croix dans une République islamique sans que cela pose problème, alors qu’en Europe cela fait débat !, pointe Mgr Happe. Je n’ai jamais ressenti d’hostilité en vingt-sept ans. » Il prône inlassablement le dialogue interculturel : « La seule façon de changer les idées est de se fréquenter plutôt que de se laisser enfermer derrière des murs. Je note surtout une grande méconnaissance et des idées erronées sur notre religion. »
Preuve du respect des autorités mauritaniennes envers l’Église catholique, depuis le 9 décembre 2016, la Mauritanie et le Saint-Siège entretiennent des relations diplomatiques. En mai 2017 était nommé le premier nonce apostolique pour le pays, le même que pour le Sénégal, le Cap-Vert et la Guinée-Bissau.
« L’idée que les chrétiens rasent les murs est fausse », balaye l’évêque de Nouakchott. La population demeure cependant très susceptible sur le prosélytisme, formellement interdit. « Il n’est pas question de convertir », insiste Mgr Happe. D’après l’article 306 du code pénal, l’hérésie, l’apostasie, l’athéisme ou encore le blasphème sont passibles de peine de mort. Cinq Mauritaniens ont été condamnés en octobre 2020 à de la prison ferme pour outrage aux mœurs islamiques.
Un engagement social fort
La mission de l’Église se concentre ainsi essentiellement sur les actions sociales alors qu’environ 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Aide aux grands brûlés, soutien aux prisonniers, aux enfants handicapés, lutte contre la malnutrition mais aussi scolarisation et formation professionnelle, assistance aux migrants, bibliothèques…
Les nombreux projets sont pilotés par le bureau du diocèse et souvent menés avec Caritas Mauritanie, seule ONG confessionnelle non musulmane reconnue par les autorités.
À Nouakchott, Caritas appuie notamment deux projets. L’un dans le quartier populaire de Dar Naïm, avec le centre de formation et d’insertion professionnelle qui offre des formations aux jeunes déscolarisés ou analphabètes. Et l’autre à Dar El Barka, via un centre de formation qui combine formation professionnelle et cours d’alphabétisation pour les femmes avec un jardin d’enfants.
Pression islamiste
Toutefois, si la minorité chrétienne vit en paix, la pression de l’islam fondamentaliste, financé par l’Arabie saoudite, se fait sentir depuis quelques années.
«Les premières victimes de ce durcissement sont les Mauritaniens, rapporte Mgr Martin Happe. C’est l’islam des confréries qui est visé car, pour les wahhabites, il s’agit de syncrétisme. »
Clémence Cluzel, à Nouakchott (Mauritanie)