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Pleurs et colère à l’hommage du mauritanien Moussa Sylla, agent d’entretien mort à l’Assemblée nationale
Libération - Plusieurs figures politiques et syndicales se sont rassemblées mardi 19 juillet aux abords de l’Assemblée pour rendre hommage à l’ouvrier du nettoyage, retrouvé mort le 9 juillet alors qu’il nettoyait le parking du Palais-Bourbon. Le député insoumis Alexis Corbière appelle à «lutter pour que son nom ne s’efface jamais».
Dans la chaleur écrasante du mois de juillet, ils se sont réunis, place Edouard-Herriot, non loin du Palais-Bourbon, pour faire part de leur «tristesse» moins que de leur «colère». «Un homme est mort», insiste une femme, les larmes aux yeux. «Un homme est mort». Cet homme, c’est Moussa Sylla.
Le 9 juillet, il faisait le ménage à l’Assemblée nationale quand il a perdu le contrôle de son autolaveuse. Il était, à ce moment-là, seul au cinquième sous-sol de l’Assemblée.
A l’endroit où les députés garent leur voiture. Les images de vidéosurveillance offrent un aperçu du déroulé du drame. Sa machine se serait emballée, l’homme de 49 ans aurait été «projeté contre un mur, la tête la première».
«La victime s’est retrouvée violemment projetée contre le mur alors qu’elle amorçait un virage entre les niveaux -4 et -5», précise un premier rapport de police, consulté par plusieurs médias dont le Parisien. Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis explique, lui, vouloir «comprendre pourquoi ici, dans ce temple de la République, Moussa Sylla empruntait un trajet dangereux pour aller ranger cette lessiveuse. Personne ne s’est rendu compte que la pente qu’il utilisait était manifestement trop inclinée pour ce véhicule».
Moussa Sylla, de nationalité mauritanienne et arrivé en France il y a près de vingt ans, laisse derrière lui une femme et deux grands enfants. Il venait d’obtenir un CDI. La semaine, cet ouvrier du nettoyage avait pour mission de laver les étages du Palais-Bourbon. Le samedi matin, il descendait aux sous-sols. C’est là qu’il a perdu la vie.
«C’était un homme bien»
«Un mort de plus, un mort de trop», tonne Danielle Cheuton, membre du collectif nettoyage de la CGT. Elle raconte : «On lui a demandé de faire en quatre heures le travail que le salarié qu’il remplaçait faisait en six heures. Il n’y a aucun témoin, son corps a été retrouvé par hasard par des déménageurs alors que ses collègues s’inquiétaient de ne pas le voir remonter à l’heure de la sortie.» Autour d’elle, les proches de Moussa Sylla peinent à masquer leur émotion. Un de ses anciens copains est là. Ils se sont vus pour la dernière fois quelques heures avant sa mort. Son pote hésite. Il cherche ses mots. «C’était un homme bien, un homme calme. C’est vraiment triste», déclare-t-il sobrement.
Ses anciens collègues sont eux aussi dévastés. Jeannette Sambo, femme de ménage à l’Assemblée depuis quatorze ans et à l’affiche du film Debout les femmes de François Ruffin, est en pleurs. Mais très vite, elle sèche ses larmes et sort les armes. «Le temps est arrivé de tout changer. Il ne faut plus fermer les yeux sur ces drames», explique-t-elle d’un ton assuré. Avant d’enchaîner sur un parallèle avec son propre parcours : «On souffre pour 800 ou 1 000 euros par mois. On nous pousse à bout. On a des enfants à nourrir, c’est tout.» Puis : «Avant, ma tête était sous l’eau. Maintenant, elle est sortie. Je suis là et je vous dis qu’on doit lutter pour lui». Elle prend le bras de ses collègues réunis autour d’elle, les lève en l’air et crie : «On est debout ! Debout les travailleurs !»
«Maltraitance» et «humiliation»
Les mots les plus forts seront prononcés par Rachel Keke, élue députée du Val-de-Marne en juin, et figure de la longue lutte menée par les femmes de chambre à l’hôtel Ibis Batignolles. Celle qui a obtenu avec ses collègues en mai 2021 une augmentation significative des salaires, après s’être battue vingt-deux mois, s’exclame : «Quand je dis que la sous-traitance, c’est la maltraitance et l’humiliation, ce n’est pas de la rigolade. Il faut en finir avec la sous-traitance !» Elle pose plusieurs questions : «Si l’Assemblée nationale n’est pas nettoyée, comment les députés pourront-ils voter les lois ? Pourquoi ce mépris, ce manque de respect ? On n’est pas des esclaves, on n’est pas des animaux.» La petite foule applaudit vigoureusement. Les yeux de plusieurs députés s’embuent de larmes, à commencer par ceux de la communiste Elsa Faucillon. En s’incluant parmi les travailleurs dont elle ne fait plus partie désormais, Rachel Keke poursuit : «Je suis en colère. Ils ne font que nous mépriser. On ne peut pas nourrir nos enfants et trouver la mort au bout.»
Emotion et combativité s’entremêlent. La fin de la sous-traitance figure sur le dessus de la pile des revendications. Moussa Sylla dépendait de la société de nettoyage Europ Net, prestataire de nettoyage. «Les agents d’entretien, comme tous ceux qui travaillent ici, doivent avoir un unique employeur : le bureau de l’Assemblée», exige Benoît Martin, secrétaire général de la CGT Paris. La députée EE-LV Sophie Taillé-Polian évoque «cette question de la sous-traitance» parmi les dossiers sur lesquels plancher à l’avenir, mais aussi celui «des cadences», et de ces «heures de travail qu’on enchaîne les unes après les autres, y compris avec cette chaleur».
«Nous parlons aux vivants»
Les députés insoumis sont présents en nombre. François Ruffin, Clémentine Autain, Mathilde Panot, Caroline Fiat, Adrien Quatennens, Eric Coquerel sont là. Chez les communistes, André Chassaigne est au premier rang. Après avoir rendu un premier hommage à Moussa Sylla la semaine dernière dans l’hémicycle, Alexis Corbière reprend le micro. «Lutter pour que son nom ne s’efface jamais, c’est combattre pour que ceux qui sont vivants ne risquent pas leur vie au travail», clame-t-il. Et rappelle à plusieurs reprises qu’«il s’appelait Moussa Sylla», qu’«il avait un nom, une famille, des amis». «Pour que sa mémoire ne s’efface jamais, nous honorons les morts et nous parlons aux vivants. Près de 700 personnes meurent au travail chaque année.»
Sandrine Rousseau, élue de Paris à l’Assemblée, s’approche des collègues de Moussa Sylla, tous fiers de porter la casquette rouge estampillée CGT. La militante écoféministe les assure de son soutien et embraye : «La porte de nos bureaux, aux députés de la Nupes, est ouverte et le sera toujours pour vous entendre sur vos conditions de travail et sur ce qui vous met en danger. Nous serons là pour vous écouter.» Jeannette Sambo écoute attentivement. Un chapeau sur la tête et un foulard bleu noué autour du cou, elle demande : «Si je meurs en bas, qui sera là pour venir me secourir ?»
Par Marceau Taburet