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09-09-2022

23:20

Le Musée Bagodine des Arts et Traditions arrête ses activités : la lettre d'adieu de son directeur

AHCOM - Il était une fois, le Musée Bagodine ! C’est avec le cœur lourd et le regard perdu, que nous vous annonçons l’arrêt définitif des activités du Musée Bagodine. Un Musée né voilà 14 ans, pour jouer sa partition dans le combat de la conservation et la valorisation de notre patrimoine culturel, matériel et immatériel.

À l’heure H de la fermeture du grenier culturel que fut le Musée Bagodine, nous avons jugé nécessaire de passer en revue et sans complaisance la longue et difficile traversée de la jungle culturelle, qu’a vécue cette institution privée muséale.

Oui, c’est l’heure de remercier, tous ceux et celles, qui ont tenu le biberon du nouveau-né, dès sa conception, à l’aube de 2008, dans la capitale économique de notre pays. 

Une aventure audacieuse enrobée de folie culturelle, dont les membres fondateurs ont usée d’intelligence et de créativité.

Nous sommes des citoyens ordinaires dans un pays extraordinaire. Affranchis intellectuellement et très imprégnés des valeurs culturelles du terroir, nous nous sommes retrouvé sur le chemin de la providence sans pour autant choisir notre destin, car les vocations sont de l’ordre du divin, donc c’est du domaine du mektoub, pour emprunter le jargon hassaniya.

Nous remercions le bon Dieu, pour nous avoir orientés dans la voie culturelle et dans un espace potentiellement riche de sa diversité et cimenté par l’Islam.

L’amère expérience que nous avons vécue dans ce domaine, nous laisse dire que la Mauritanie est malade de sa culture. Les mauvaises pratiques ont souillé son corps comme son esprit. Voilà des années que nous galérions dans la sphère culturelle, mais combien nous avons été surpris et ébahi à la fois, par les fausses règles de sa promotion.

Voici venue l’heure de la confession, au cœur de l’histoire, « Il était une fois, le Musée Bagodine », pour vous faire l’inventaire de nos déceptions dans le labyrinthe des faux semblants :

Nous aurions pu applaudir pour être remarqué et bien mentir pour une ascension rapide sur l’échelle de l’opportunisme culturel,

Nous aurions pu profiter du manteau du frère ou du cousin haut placé, pour l’usage de la clef magique du trafic d’influence.

Nous aurions pu faire comme les autres, pour profiter du puits collectif de l’Etat par la main habile de la magouille, avec sa baguette magique du bras long.

Nous aurions pu ! Oui, nous aurions pu suivre la foire des poètes troubadour, en faisant l’éloge d’un système, qui a pourtant montré ses limites.

Le bon sens, la bonne foi et la conviction dans la voie choisie, nous ont interdit l’usage de la facilité. Rêveurs ! Nous avons continué notre long chemin avec ses multiples obstacles. Déterminés, nous avons continué à postuler aux subventions et financements de l’Etat, pour donner corps et vie à l’idéal culturel du Musée Bagodine des Arts et Traditions.

Rêveurs, nous l’étions, pour certains et pour d’autres, nous n’étions que des fous culturels en délire dans le pays au million de poètes.

Alors que certains sont sous perfusion financière, pour jouer aux figurants sur le théâtre des évènements improvisés et budgétivores. Nous autres, avions besoin du peu pour faire émerger les bourgeons de notre culture sous les dunes de la diversité.

Nous avons vécu et survécu à une longue traversée de la jungle culturelle, avec ses fauves impitoyables et les nombreuses épines sur le chemin.

Notre pays est sur une mine d’Or culturelle, par l’abondance et la diversité de son patrimoine matériel et immatériel.

Malheureusement, on a beaucoup profité de la vache à lait, jusqu’à oublier de l’entretenir, pour en tirer plus de profit, dans la continuité d’une industrie culturelle. Laissons les démons dormir car notre lettre n’est ni rancunière, ni revancharde, pour être l’écho de la triste réalité.

Témoins et victimes à la fois, nous avons pourtant refusé la fuite dorée de l’exil culturel, évitant ainsi de devenir l’otage des Euros de l’aliénation liée au poids de la nostalgie. Nous avons choisi Nouadhibou, la ville martyre culturelle, coincée entre le désert et la mer. Une ville qui produit l’’abondance, mais distribue la misère.

N’ayons pas peur des mots, pour mesurer l’ampleur de nos maux. Nous sommes à Port-Etienne depuis la nuit des temps, où le passé se conjugue au présent et l’histoire enterré dans les méandres de l’oubli. Ville mythique devenue Nouadhibou, pour mériter son indépendance, mais toujours dépendante, un poumon économique sans infrastructures culturelles, ni centre d’intérêt pour la jeunesse, pas plus que des parcs d’attractions ou des sites de sport dignes de ce nom. Depuis la nuit des temps, Nouadhibou a le regard tourné vers le ciel pour guetter le bout du soleil porteur d’un rayon d’espoir.

Témoins, nous étions dans la foire culturelle, pour voir des choses qui dépassent l’imaginaire. Des courtiers culturels en complicité avec les autorités, étaient devenus incontournables, pour capter toute misère de subvention destinée aux acteurs de la culture.

Astucieuses et bien introduites, les grandes dames de la place, sont entrées dans la comédie pour bénéficier des financements orientés au détriment des professionnels du secteur.

C’est malheureux, car de nombreux hommes de culture se sont humiliés, pour avoir l’aumône dans la fiction de la pagaille. Nous ne pouvons pas les tenir rigueur car quand on a faim, on n’est pas libre. Il faut les laisser avec l’éternel châtiment de leur conscience.

Victimes, nous l’étions aussi, car persuadé que certaines de nos requêtes, pour financer nos projets, rédigées dans la règle de l’art, ont servi de tremplin à d’autres personnes, par le système du copié collé. Comme quoi dans l’école du désordre, tous les moyens sont bons pour engranger tous et tout de suite.

Nous avons toujours préféré le patriotisme culturel qui s’ouvre sur le monde, pour partager et au besoin échanger avec l’autre, plutôt que le nationalisme identitaire se refermant sur soi-même, allant parfois jusqu’à renier l’existence de l’autre. Poète dans l’âme, nous avons gardé la Mauritanie dans notre cœur, refusant ainsi le gain facile sur le plateau d’Or. Car un poète qui écrit sous la dictée d’un parti, d’un gouvernement, ce n’est plus un poète, il devient un fonctionnaire culturel, un préposé à la propagande, au mieux un agent de la publicité.

On ne dira jamais assez, la Mauritanie est un grenier culturel, dont le fond est inestimable. La Mauritanie est un musée à ciel ouvert et très riche ! Riche de ses traditions, riche de ses paysages, riche de sa religion. Et surtout riche de sa diversité.

De nos jours, la force de ceux qui profitent des industries culturelles, c’est d’avoir anticipé dans l’innovation. Cette force réside dans leur capacité de critiquer et surtout de s’autocritiquer.

Mais aussi, ils ont fait le choix d’analyser et de rechercher dans les investigations constantes, les moyens de mettre en valeur leur patrimoine. De cette logique, ils ont su joindre l’utile à l’agréable.

C’est cet esprit critique et de synthèse, qui manque cruellement à notre espace culturel. Nous voici à la croisée des chemins. Nous devons être conscients de nos limites, pour accepter nos imperfections, en s’interrogeant : « D’autres avancent et pourquoi pas nous ? »

Si jamais n’est tard, mais pour rattraper les temps perdus, il faut se séparer de nos préjugés et de notre orgueil à considérer, tout ce qui nous est propre, comme parfait.

Il faut être exigeant avec nous-même, pour percer les mystères de la susceptibilité légendaire du Peul, de l’orgueil obsessionnel du Maure sous l’emprise d’Ichtary, du conservatisme méfiant du Soninké et de la teranga étouffée du Wolof. De cette approche, nous découvrirons peut être le vrai visage de la Mauritanie dans ses humeurs, pour enfin écouter fraternellement le compatriote Hartany, potentiel trait d’union d’une Mauritanie réconciliée avec elle-même.

Et par la même occasion, nous tenterons d’apporter les remèdes qui s’imposent pour bannir de nos cœurs : Le complexe, la haine, le racisme, l’aigreur, le mépris et la peur de l’autre. Ce sont là, des maux qui nous ont rendus incapables, culturellement et structurellement de progresser. Incapables de créer en nous, une volonté profonde de changement et de développement.

Nous sommes certain, que dans un passé récent, nous n’aurions ni le désir, ni la volonté d’écrire cette lettre d’adieu. Pour la simple raison, elle sera sans effet et plus grave, elle pourrait engendrer des conséquences néfastes.

Sans amertume ni rancune, nous assumons le poids de notre lourd destin, dont le seul tort est peut-être de vouloir le rayonnement culturel de notre pays, dans la transparence, la compétitivité, l’excellence où le talent doit être cultivé et la compétence de rigueur. Nous formulons le vœu pieux de voir, la tête de l’Etat concrétiser sa volonté de gouverner autrement, pour le développement social et culturel, en descendant au niveau de la base.

C’est clair, pour atteindre cet objectif, toutes les forces vives doivent réfléchir sur les moyens de vulgariser notre patrimoine culturel. Car dans la culture, la capacité de jugement personnel, l’indépendance morale, le désintéressement et l’Etat régulateur doivent être les vertus cardinales de ce que nous appelons de nos jours, les piliers culturels.

Ainsi les acteurs culturels affranchis de tout préjugé et d’autres considérations mercantiles, doivent se mettre au travail, pour asseoir l’esquisse d’une vraie industrie culturelle.

Ayant eu l’honneur de travailler avec les écoles, le Musée Bagodine a joué sa partition dans la médiation culturelle en milieu scolaire. Mais nos surprises n’étaient pas à la hauteur de nos déceptions, car nous avons souvent fait face à des écoliers qui ne parlaient ni arabe, ni français, tant leur niveau était lamentable et leur comportement imprévisible. Notre système éducatif a malheureusement exhibé toutes ses faiblesses, pour approfondir le fossé de l’incompréhension sur le lit de la médiocrité.

Durant plusieurs ateliers scolaires avec des écoles partenaires, nous avons souvent changé de stratégie, pour adopter le langage des sourds-muets avec le dessin comme outil de communication. Quel bonheur de voir tous ses jeunes élèves épanouis durant ses ateliers d’initiations à l’Art et aux Traditions.

Au moment des cérémonies de restitution, les parents nous ont toujours témoigné leur reconnaissance. Des témoignages, qui nous sont toujours allés droit au cœur et qui nous valent plus que tout l’Or du monde.

Pourtant le dessin en tant que matière, n’existe pas dans nos écoles. C’est bien dommage ! Si tomber n’est pas une fatalité, le plus important c’est de pouvoir se relever et analyser l’objet qui nous a fait trébucher.

Mais que pouvons-nous faire pour un malade, qui ne veut pas se laisser guérir, dont les mauvaises pratiques ont épuisé son corps, pour souiller son esprit.

L’espoir est permis ! Oui, l’espoir est bien permis car les idées sont les actions de l’esprit, le goût assiste à l’éclosion de l’idée comme la conscience à l’éclosion de l’action.

Si demain le soleil se lève, et que la nomination d’un ministre, au lieu de poser les questions habituelles, suivant les courbes de nos mentalités : « Il est d’où et de quelle tribu ? »

Nous choisirons plutôt de s’intéresser sur le profil et l’expérience de la personne nommée. Enfin nous pourrions apprécier et être optimiste du rendement de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Et la vaillante Mauritanie sera affranchie du puzzle de ses ministres sur carte au dosage tribo-ethnique, qui viennent souvent se servir, au lieu de servir.

Nous aurions pu, vous épargner certains détails, mais l’ère du temps nous ouvre une brèche d’optimisme et que peut être rien ne sera comme avant, quand le Président de la République instruit son gouvernement d’aller vers le peuple, et d’écouter la voix des sans voix, pour chercher des solutions aux multiples équations du quotidien.

Que pouvons-nous conclure au terme de cette lettre d’adieu ?

Dans cette phase décisive de la cessation définitive des activités de notre Musée, j’allais dire votre Musée Bagodine, qui rend l’âme au firmament de ses 14 ans d’existence. Nous pouvons nous permettre de conclure peu et beaucoup à la fois.

Beaucoup pour vous rappeler que dans notre pays, il y’a des pauvres couverts de dignité, qui préfère mourir de faim, que dire ils ont faim. Contrairement aux nombreux mendiants qui jonchent les rues, au milieu des carrefours dans l’alternance des feux rouges, pour récolter les ouguiyas de la pitié.

Parallèlement à cette catégorie de mauritaniens, il faut rajouter les nombreux acteurs culturels, qui font vivre la culture sans vivre d’elle. Ils méritent au moins l’encouragement de l’Etat et au besoin l’aide du gouvernement. C’est le moment de rendre hommage aux vaillants conservateurs de notre patrimoine comme le doyen Amar Fall Diagne, le Commissaire-poète Sall Djibril et l’infatigable conservateur Khallil NTehah et la bibliothèque ouverture du sage Gemal …, pour ne citer que ces quelques icônes, car Dieu sait, ils sont nombreux en Mauritanie et plus que jamais souvent enterrés vivants.

Dans la modestie du peu, pour vous rappeler que le secteur culturel a fortement besoin d’un coup de maitre, pour assainir son sol fertile et autant fécond, mais malheureusement la mauvaise herbe rend difficile toute semence. Il faut faire l’état des lieux sans complaisance, pour tracer une feuille de route de la promotion culturelle. Par l’engagement de tout un chacun dans la conscience des valeurs de notre patrimoine, chacun pourra apporter sa contribution dans l’émergence de notre édifice culturel. Ainsi, nous ferons de chaque citoyen mauritanien, un guide et au besoin un ambassadeur culturel du pays au million de poètes.

Oui, il était une fois le Musée Bagodine ! 14 ans de vie et de survie, dans la foi et la lumière de nos cultures. C’est l’heure de remercier ceux qui ont cru à notre folie, pour accompagner nos imperfections et faire vivre nos passions dans l’éclosion des multiples talents.

Suivant l’agenda de notre programme interne, nous avons choisi la date butoir du 28 novembre 2022, pour l’arrêt définitif de nos activités et exécuter les résolutions de l’assemblée générale de dissolution.

Comme disait un sage anthropologue : « Rivés sur une seule culture, nous sommes non seulement aveugles à celles des autres, mais myopes quand il s’agit de la nôtre. La connaissance de notre culture passe inévitablement par la connaissance des autres cultures. Et reconnaitre que nous sommes une culture parmi tant d’autres. »

Pour terminer, nous implorons Allah en poésie de transformer notre pays en paradis, avec ses Arts et Traditions dans nos cœurs et le Saint Islam comme source d’énergie.

Nouadhibou, le 06 Septembre 2022

NGam Seydou,

Ancien Directeur

Du Musée Bagodine des Arts et Traditions





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