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Mauritanie, Traversées des territoires - PhotoReportage -
Traversees Mauritanides - Depuis 2010, le festival littéraire Traversées Mauritanides soutient le souffle culturel en Mauritanie. Un ancrage qui va de Nouakchott aux régions.
Ainsi, la capitale a abrité du 1er au 6 décembre 2022 la 13e édition de cet incontournable événement avec des écrivains venus d’Afrique et de la diaspora sous le thème : « Écritures et territoires ». Le festival s’est poursuivi à Sélibaby, dans le sud du pays, du 15 au 18 décembre.
MAURITANIE, TRAVERSÉES DES TERRITOIRES
La 13ème édition du festival littéraire Traversées Mauritanides, du 1er au 18 décembre 2022 sous le thème « Écritures et territoires » a tenu toutes ses promesses, de l’avis de plusieurs observateurs. On a eu droit à de riches débats, avec de fortes présences du public, malgré l’euphorie concurrente de la Coupe du monde au Qatar sur les écrans de télévision.
La raison : l’originalité du thème et le prestige des auteurs invités : les Camerounais Eugène Ébodé, Nicole Mikolo (L’étoile est ma demeure) et Djaïli Amadou Amal (Prix Goncourt des lycéens 2020 pour son roman Les Impatientes, Emmanuelle Collas), la Franco-Mauritanienne Fanta Dramé (Ajar-Paris, Plon), la Franco-Tunisienne Hella Féki (Noces de jasmin, JC Lattès), le Marocain Abdellah Baïda, les Sénégalais Anna Ly et Alassane Guissé. Côté mauritanien, il y avait : Beyrouk, Idoumou Mohamed Lemine Abbas, Mamadou Kalidou Bâ, Cheikh Ould Nouh, Ouleïd Nass, Tarba Mint Amar, Ndiaye Sarr, Diop Mamadou, Mamadou Ould Dahmed, Mohamed Ould Bouleïla…
Guerres … en entrées
Actualité oblige. Dès l’entame, le public a été convié à un sujet d’épreuves : « Retour de conflits et guerres, quelles paroles pour la paix ? » La rencontre a eu lieu le vendredi 2 décembre à l’Institut français avec Gwilym Jones, ambassadeur de l’Union européenne en Mauritanie, Mehla Mint Ahmed Talebna, ancienne ministre et actuelle présidente de l’Observatoire national des droits de la femme et de la fille, et les écrivains Abdellah Baïda et Eugène Ébodé.
Sous la modération de l’universitaire mauritanien Mamadou Kalidou Bâ, le débat fut passionnant sur le retour des coups d’État en Afrique, la guerre en Ukraine et d’autres inquiétudes à travers le monde. « La réserve de diplomatie n’interdit pas de s’inquiéter sur la paix du monde quand nos consciences se retrouvent vraiment interpellées », a soutenu l’ambassadeur lorsqu’on lui a demandé son « avis sans la casquette de diplomate » !
Le hassaniya mauritanien à la croisée
La première conférence, en langue arabe, a eu lieu au Musée national de Nouakchott. Elle a exploré un champ littéraire peu connu, mais présent dans les divers genres littéraires.
Animée par le journaliste Moallah Cheikh Sidi Abdouallah, avec comme invités Cheikh Nouh, romancier et poète, l’universitaire Tarba Mint Amar, professeure d’histoire à l’université de Nouakchott, le critique littéraire Mohamed Bouleiba, président de l’Union des écrivains francophones de Mauritanie, cette table ronde a été instructive pour l’auditoire sur la poésie arabe et hassane en Mauritanie.
Les intervenants sont remontés au XVIIIe siècle et ont cité Sedoum Ould Njartou, Ould Gasri, célèbre par son poème Belinyar, et, plus près, Moussa Ould Ebnou, auteur du roman L’Amour impossible. Un voyage dans une littérature portée par le hassaniya, une langue propre à la Mauritanie.
Littératures et enseignements
Au Centre culturel marocain, les festivaliers ont eu droit à un questionnement académique : « Afrique-Maghreb : littératures, pour quels enseignements ? ». Avec le critique Ndiaye Sarr, de l’Université de Nouakchott, il y avait là autour de la table Abdallah Beida, professeur de littérature à l’Université de Rabat, auteur de « L’irrésistible appel de Mozart », Eugène Ebodé, administrateur de la Chaire des Littératures et des arts africains à l’Académie du Royaume du Maroc, Idoumou Mohamed Lemine et Mamadou Kalidou Bâ, écrivains et professeurs de littérature à l’Université de Nouakchott.
Les échanges ont porté sur les littéraires et leurs enseignements dans les écoles et universités africaines. Une opportunité de jeter des ponts sur des contenus scolaires. « Qui devraient, dit l’un des intervenants, s’affranchir des programmes hérités du système colonial par l’autonomisation des universités».
Parole des … femmes
Le sujet n’est pas nouveau. Mais programmer un thème tel que « Doit-on encore parler de voix féminines en littérature ? » fait sens dans un pays comme la Mauritanie où peu de femmes se livrent à l’écriture ! À l’Institut français de Mauritanie, et modérée par Eugène Ébodé, auteur d’une biographie romancée de Rosa Parks et dont le dernier roman, Habiller le ciel (Gallimard) porte sur sa mère, la table ronde fut de haute facture avec Djaïli Amadou Amal, Fanta Dramé, Nicole Mikolo et Hella Feki.
Il en sera de même au Centre culturel marocain, quand Beyrouck exposera l’héroïne de son dernier roman, Saara (Elyzad). Sur l’un et l’autre plateau, les voix féminines, en personnages de fiction comme dans les quotidiens, ont été débattues sous toutes les trames.
Le sujet sera abordé lors d’une autre table ronde au Musée national sous l’interrogation : « Que reste-t-il encore des combats des femmes ? » Avec le journaliste Kissima Diagana, cette question a eu comme panélistes l’ambassadrice de l’Allemagne en Mauritanie, S.E. Isabel Henin, l’avocate mauritanienne Me Fatimata Mbaye et les écrivaines Djaïli Amadou Amal et Hella Feki.
Des violences faites aux femmes aux rôles économiques qu’elles jouent, en passant par des implications dans des drames collatéraux, on ne fera l’économie de rien qui puisse éclairer « les combats de celles qu’on marginalise et pourtant sans qui rien ne tiendrait », selon Me Mbaye. « Nous ne cherchons à nous opposer ni à nos maris, ni à nos pères, ni à nos fils, mais simplement à faire en sorte que nos droits soient entendus et respectés », a-t-elle poursuivi.
Sélibaby, l’autre rive
Sélibaby, 700 kilomètres de Nouakchott. Cette ville du Sud a reçu le festival le plus convoité du pays. Élèves et professeurs ont avec joie accueilli la caravane d’auteurs. Expression partagée par les écrivains Cheikh Nouh, Cheikh Aïdara, Tall Mamadou et leurs homologues venus du Sénégal voisin, Anna Ly et Alassane Guissé.
Deux conférences ont été animées à la Maison des jeunes. La première : « La femme, mère et actrice du développement ». Autour de Gueïtana Mohamed, directrice régionale de l’Action sociale, de l’Enfance et de la Famille, de Bilel Thiam, conseillère régionale, et de l’écrivaine Anna Ly, le débat a porté sur la place de la femme dans l’éducation et les tissus économiques, alors même qu’elle assure son rôle de mère et d’épouse.
« Cela représente beaucoup de charges pour nous, mais c’est le fardeau que nous avons toujours porté », a dit en rigolant Anna Ly. « Mais c’est parce qu’on sait que nous en avons les épaules ! » a poursuivi l’autrice de Cœur bavard.
La deuxième, sur « la drogue en milieu scolaire », a réuni parents et enseignants. Et pour cause : « Nous ne savons plus comment faire », a dit, la voix étranglée, une intervenante. « Nous croyons nos enfants à l’école, et les voilà qui reviennent en titubant ! » a-t-elle ajouté. « C’est bien sidérant », a renchéri un professeur, qui dit avoir vu des élèves dormir en classe sous l’effet de la substance devenue un fléau dans certains milieux.
D’où l’urgence à prendre le problème à bras-le-corps. Cette rencontre a coïncidé avec la visite dans la région du ministre de l’Éducation nationale et de la Réforme du Système éducatif venu promouvoir « l’école républicaine » lancée avec la nouvelle réforme de l’enseignement si chère au président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
Une opportunité « de parler d’une même voix de l’école et de la mission qui incombe aussi à tous les parents de se mobiliser et d’aider les enseignants dans la bonne conduite des élèves à l’école et à l’extérieur », a dit Hawa Dia, directrice générale de l’Enseignement et membre de la délégation.
Les rencontres de Sélibaby, comme à Nouakchott auparavant, se sont achevées dans une ambiance d’euphorie avec le concours « Génies en herbe » que pilote chaque année Planète Jeunes de Tékane pour le compte des Traversées Mauritanides. Des centaines d’écoliers y ont pris part.
À l’issue des derbys, plusieurs cadeaux d’ouvrages, cahiers et fournitures scolaires ont été offerts aux établissements participants, mais aussi d’une manière individuelle à des élèves lauréats.
Libres paroles
S’il y a eu de grands moments sur les différents débats, allant des territoires entre fictions, mémoires, langues et styles littéraires, le festival a occasionné aussi d’autres échanges. Il s’agit notamment du concept Libres paroles à…
Dans des établissements scolaires, tels que le Lycée français Théodore-Monod, à la Médiathèque de l’IFM, à l’Université de Nouakchott ou encore dans des établissements à Sélibaby, les auteurs Djaïli Amadou Amal, Hella Feki, Fanta Dramé, Nicole Mikolo, Anna Ly, Beyrouk… se sont prêtés au jeu.
Des paroles directes avec des élèves et étudiants ayant travaillé en amont sur leurs textes. Sans filtre, les auditoires ont eu droit à des confessions ! « C’est tellement bien d’assister à de tels échanges libres », a dit la professeure Binta Sow.
Les territoires du livre ont vécu, comme toujours depuis 2010, avec leurs belles rencontres. Les visiteurs sont repartis les bras chargés de nouvelles lectures dédicacées. Tous jurent de guetter les prochaines Traversées qui demeurent un événement unique dans ce désert loin de tout. Quant aux auteurs, ils murmurent leur désir d’y revenir, d’en devenir des permanents !
Bios Diallo
Source : Francophonies du monde | n°12 | Février - Mars 2023
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