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Notre modèle économique : Une Impasse ?
Le produit intérieur brut (PIB) de la Mauritanie a fortement augmenté ces vingt dernières années. La production de biens et services de notre pays n’a cessé de grimper d’année en année, passant de près de deux milliards de dollar en 2000 à près de 10 milliards aujourd’hui, soit une multiplication par cinq en vingt ans.
Toutefois, cette forte croissance est presque exclusivement tirée par le secteur public qui assure la quasi-totalité de la production nationale. Le secteur privé est quant à lui presque inexistant, la faute aux politiques qui ne lui accordent aucune vertu et qui n’ont d’yeux que pour le public.
Dans un jeu de rôles bien orchestré, l’Etat et ses établissements publics d’une part, et quelques hommes d’affaires triés sur le volet d’autre part, se partagent le flux hélas caractéristique de nos économies, à savoir respectivement l’exportation de ressources naturelles et l’importation des biens d’équipement et de consommation courante.
Au milieu de ces deux acteurs, intervient un troisième personnage chargé d’huiler la machine et de faire fonctionner le système, ce sont les banques.
Un schéma grossièrement simplifié qui traduit néanmoins l’image de notre modèle économique où seuls les banquiers et les commerçants tirent leur épingle du jeu. Contrôlant l’essentiel des capitaux du pays, ces deux professions, se confondant parfois, se nourrissant l’un et l’autre, s’accaparent de la quasi-totalité des possibilités de financement au détriment des autres secteurs productifs du pays.
Le secteur privé se retrouve étouffé, et toute velléité entrepreneuriale est tuée dans l’œuf à cause notamment de l’impossibilité d’accéder aux financements.
L’oligarchie économique écrase sous son poids toutes les possibilités d’émancipation de nouveaux acteurs économiques. Les rares affaires florissantes dans les autres secteurs sont toujours des activités connexes de ces mêmes acteurs « sur-liquides » au-dessus de toute concurrence.
Ne serait-ce pas cette situation qui conduit presque systématiquement les mauritaniens à placer leurs économies dans la pierre, jugé comme étant une valeur refuge ?
En tout état de cause, pour un système financier efficient et un climat des affaires serein, un contrôle plus effectif voire une régulation plus draconienne de la part de la banque centrale à l’endroit des établissements de crédits, notamment sur les opérations avec les apparentés, gagnerait à être mis en place.
En attendant, la matrice économique de notre pays se trouve ramenée aux seules activités d’achats et ventes, nous privant d’industries locales de production, et nous exposant à l’inflation et aux pénuries, à la moindre crise internationale. A ce titre, l’exemple du Maroc qui a, très tôt, privilégié le développement d’industries locales de production et de transformation, devrait nous inspirer.
Par ailleurs, il est communément reconnu que le secteur privé est le principal moteur de la croissance économique et la création d’emplois. Sa limitation à quelques domaines d’activité et à quelques acteurs, comme c’est le cas chez nous, ne lui permet pas de jouer pleinement sa partition et de sortir des masses considérables de populations de la pauvreté.
Pour un développement inclusif et une émancipation du plus grand nombre, il est urgent d’identifier et de contrecarrer tous les obstacles à l’essor d’un secteur privé conquérant et productif.
L’argent étant le nerf de la guerre, l’accès aux financements est la principale difficulté pour les candidats à la création d’entreprises et pour le développement des entreprises existantes. D’après un rapport de la Banque Mondiale, seules 14% des entreprises du pays ont déclaré avoir obtenu un prêt ces dernières années, et seulement 12% des prêts sont allés aux PME.
Dans un pays entièrement à construire comme le nôtre, le financement des PME ne devrait-il pas être érigé au rang de service public universel pour permettre un bouillonnement économique ? La puissance financière des banques doit être mise au service du développement du pays par un ancrage plus effectif dans le tissu productif local. Les programmes « coup de poing » du Ministère de l’emploi ne sont évidemment pas à la hauteur de ce qui devrait être notre ambition. Cela, d’autant plus qu’il n’est même pas du ressort de l’Etat, du moins pour une action efficace, de financer ou de créer des emplois.
L’Etat, à travers le Ministère de l’Emploi, aurait une action plus efficiente en se limitant à mettre en musique une corrélation - institutions financières « == » entrepreneurs- pour un développement local inclusif. Un cahier des charges plus exigeant en matière de financement de l’économie, avec une stratégie claire d’orientation des capitaux vers des secteurs clés, doit être imposé par les pouvoirs publics à l’ensemble des institutions de crédit. Les banques doivent retrouver leur vocation d’instrument au service du développement et non être un privilège accordé à ses propriétaires pour aller à l’assaut de l’économie et écraser toute la concurrence.
L’institutionnalisation poussée des confédérations d’entreprises et leur professionnalisation de sorte à créer des organisations fiables et autonomes devraient permettre à ces dernières de constituer des fonds de garantie, et ainsi pallier la difficulté de constitution de garanties réelles rencontrée par la majorité des demandeurs de prêts.
La liberté d’accès à la commande publique n’étant pas l’égalité d’accès à la commande publique, les fonds de garantie peuvent également jouer un rôle pour l’accès de tous aux marchés publics. Des cautions bancaires nécessitant des garanties réelles et des commissions onéreuses jonchent tout le processus de passation et d’exécution des marchés. La plupart des entrepreneurs adjudicataires des marchés publics vous diront avoir l’impression de travailler en grande partie pour les banques.
Un tel fonds, constitué des participations des membres des confédérations et d’un concours de l’Etat et/ou des bailleurs de fonds, rétablira une sorte de justice dans l’accès aux marchés publics en apportant, à chaque fois que nécessaire, une caution aux candidats.
La marge bénéficiaire et donc de manœuvre des entrepreneurs titulaires des marchés publics s’en trouvera revalorisée du fait de la réduction des frais financiers.
Les caisses de l’Etat aussi s’en sortent remplies par une assiette fiscale élargie due à une régularité d’un plus grand nombre de contribuables et des bénéfices des sociétés plus importants.
KEBE Youssouf, Economiste