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17-11-2023

17:15

Fonds Spécial de Solidarité Sociale et de Lutte Contre le Coronavirus : Gestion « covidée »

Le Calame - La pandémie Covid-19 paraît déjà très loin mais ces ravages n’ont pas été que sanitaires en Mauritanie : les finances publiques en ont pâti, le malheur des uns faisant le bonheur des autres.

Des fonctionnaires véreux ont pris un malin plaisir à détourner des fonds par des procédés subtils, plusieurs départements ministériels ont été pointés du doigt pour leur gestion douteuse : surfacturations, services inexistants, paiements sans décharge, cumul de fonctions…

Il a fallu tout repasser au peigne fin et le rapport de la Cour des comptes pour les exercices 2019,2020 et 2021 a ainsi relevé des irrégularités et anomalies dans la gestion du Fonds Spécial de Solidarité Sociale et de Lutte Contre le Coronavirus (F3SL2C).

« La contribution de l’État à hauteur de 32 % des ressources du fonds », souligne le rapport, « est contraire aux dispositions de l’article 8 de la loi N°2018-039 en date du 09/10/2018 portant loi organique relative aux lois de finances.

Celui-ci traite « des opérations financées au moyen de ressources particulières » en précisant que « les contributions de l’État ne peuvent dépasser 10 % du total des prévisions. » Il est également décelé « l’absence de procédures formalisées pour l’exécution de certaines composantes en situation d’urgence, ce qui a entrainé une violation fréquente de la réglementation en vigueur, notamment le code des marchés publics et les règles d’exécution des dépenses publiques ».

Autre anomalie criante, « l’absence totale de coordination entre les départements ministériels et institutionnels chargés de l’exécution des différentes composantes du fonds […] [et] une dilution des responsabilités due à un manque d’identification préalable des personnes responsables de l’exécution des différentes composantes du fonds ».

Cumul de fonctions incompatibles

La Cour des comptes a constaté que lors de la réalisation de certaines activités liées au COVID-19 au niveau de la Direction Générale de la Régulation, de l’Organisation et de la Qualité des Services et des Soins (DGROQSS), deux directrices et un chef de service ont cumulé des fonctions incompatibles.

« À titre d’illustration, la cheffe du service « Éducation pour la santé » a été chargée de la prise en charge du centre d’appel 1155 et a reçu en cash les montants destinés à son fonctionnement.

Cette cheffe de service était la seule à décider, engager et payer en même temps les dépenses de ce centre d’appel. C’était elle, par exemple, qui recrutait directement et payait les opérateurs, louait directement et payait les moyens de transport ; engageait et payait les autres dépenses de fonctionnement (carburant, fournitures, autres, etc. …) ».

En réponse à cette observation, la secrétaire générale du ministère de la Santé a indiqué que les dépenses concernées « rentrent dans le cadre d’appui supplémentaire non programmé, dicté par la pandémie COVID-19 qui a surpris la Communauté internationale et sont destinés essentiellement à des activités très spécifiques inconnues auparavant par les services du ministère de la Santé et constituent un impératif de prévention à l’échelle nationale. […]

Au vu de ce qui précède et compte-tenu de la combinaison des facteurs de nouveauté des interventions, de l’urgence d’agir pour sauver des vies menacées, de la rareté des ressources matérielles, d’une part ; et, d’autre part, de la disponibilité des fonds dans les comptes du ministère de la Santé, contrairement au reste du fonds COVID placé au Trésor public, le ministère de la Santé s’est vu dans l’obligation de poursuivre la même procédure auparavant mise en place et approuvée par les donateurs ».

Le département des finances toutefois fait savoir, au sujet de cette observation, que « la gestion concerne des ressources en dehors du fonds dans des comptes bancaires pour des projets relevant du ministère de la Santé ».

Mauvaise gestion des fonds et des stocks de dons

Le rapport constate que « certaines dépenses engagées, dans le cadre de la riposte contre la propagation de la pandémie du COVID-19, pouvaient être évitées. À titre d’exemple, le Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et à la Société Civile et le Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille ont effectué des décaissements importants pour l’acquisition de 212.000 masques de protection individuelle, alors que les magasins du Ministère de la Santé enregistrent des quantités importantes de ces masques provenant de dons (1.268.880 masques, suivant PV d’inventaire au 31/12/2020) ».

Cette situation signale clairement, estime le Rapport, « une mauvaise gestion des fonds et des stocks de dons, ainsi qu’une absence notoire de coordination entre les différents départements et le ministère de la Santé. Elle a entrainé une perte financière pour le Fonds de 5.276.000 MRU.

En réponse à cette observation, l’ex-secrétaire générale du ministère de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Famille a indiqué que « les masques acquis par le département étaient nécessaires pour accompagner une campagne ciblant, dans toutes les wilayas du pays, de larges franges de la société, telles les malades, les handicapés ou les coopératives féminines, et une grande quantité de masques a été distribuée dans les marchés ».

Aucune décharge de la part de bénéficiaires

Dans le cadre du programme d’assistance sociale aux malades dialysés, ledit ministère a distribué, le 12 Janvier2021, des montants afin d’aider cette catégorie de malades. Toutefois, le rapport de la Cour des comptes a constaté que les états de paiement au niveau du ministère ne contiennent aucune décharge de la part de bénéficiaires, ce qui pourrait semer des doutes sur la réalité de ces dépenses.

En réponse à cette observation, ladite ex-secrétaire générale a indiqué que « les montants distribués aux malades de l’insuffisance rénale ont été distribués sur la base d’un accord entre le département et la société MAURIPOST sur compte de la régie N°145/2020.

La MAURIPOST a procédé à la distribution de ces montants suivants des listes qui lui ont été envoyées. Dans le cadre du suivi de ce dossier avec la société, elle nous a remis les listes des malades des hôpitaux de Nouakchott, de Nouadhibou, de Kiffa et de Zouérate, alors que nous n’avons pas encore reçu les listes des malades soignés dans les autres centres de santé de l’intérieur et ce pour des raisons techniques relatives à MAURIPOST, mais le régisseur suit le dossier de près jusqu’à obtention de toutes les listes ».

Il convient de noter, note enfin le rapport à ce sujet, que « les listes de paiement susmentionnées n'existaient pas au moment de l'intervention de la mission de la Cour, comme l'a confirmé le secrétaire général, et qu'elles n'étaient pas complètes, selon sa déclaration, ce qui pourrait remettre en cause sa crédibilité ».

Commission fondée verbalement

Le cadre juridique fondant et fixant le fonctionnement de la Commission de la logistique et supervision COVID-19 au niveau du Ministère de l’Équipement et des Transports (MET) révèle une anomalie criante.

Cette commission a été fondée verbalement, selon les responsables du MET, et comprend, outre ledit ministre qui la préside, les départements ministériels suivants : ministère de l’Hydraulique et de l’assainissement, ministère du Pétrole, de l’énergie et des mines et ministère de l’Éducation nationale.

Outre ces départements, la Commission comprend un conseiller du Premier ministre et le président du Patronat. La Cour des comptes a constaté que ladite commission travaille sans aucune base juridique (décret, arrêté, circulaire…) la fondant et fixant ses missions et son mode de fonctionnement.

Il est également noté une « faiblesse du contrôle effectué par la Commission de la logistique et supervision COVID-19 au niveau du MET. […] Les contrôles se limitent à des appels téléphoniques passés entre le conseiller du ministre de l’Équipement et des Transports et les fournisseurs et sur la base desquels il établit les attestations de services rendus qui constituent une pièce maitresse pour le paiement des dépenses engagées. Cette procédure est très insuffisante pour bien contrôler l’exécution de ce type d’opérations, surtout quand les prestations sont exécutées sans contrat ».

Relativement au volet « Hydraulique », le rapport a constaté que certains gérants de forage ont perçu des avances en Avril 2020, alors que ces forages n’ont fait l’objet d’aucun contrat ou facture avant le 12/10/2020 ». Le rapport jette « des doutes sérieux sur la régularité et la réalité de ces paiements et/ou sur l’existence de la facturation. […] Certaines factures ont été établies avec des tarifs non conformes à ceux prévus par les contrats ».

Concernant le volet « Achat de matériels et équipements médicaux », la Cour a relevé des observations relatives aux marchés passés dans le cadre de la riposte contre le COVID-19. Il s’agit des marchés relatifs à l’acquisition de fournitures, installation et mise en service des respirateurs de réanimation pour les structures hospitalières du pays. « Ils ont été conclus par entente directe avec le fournisseur GLP SA en date du 01/04/2020 au moment de la première vague du COVID-19.

Toutefois ces marchés n’ont pas été exécutés jusqu’au 18/11/2020, date à laquelle ils ont été modifiés par avenants. Les montants des marchés sont de 51 640 821 MRU au lieu de 55 800 000 MRU pour le marché N°106 et de 51 700 955 MRU au lieu de 56 760 000 MRU pour le marché N°107. […] Il a été constaté que le ministère de la Santé n’a pas effectué des efforts permettant la garantie de la bonne exécution de ces marchés, surtout que les conditions sanitaires ont connu une grande amélioration à cette date et que les dispositions des cahiers de charges ont été modifiées ».

Synthèse THIAM Mamadou

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Encadré : Présentation du Fonds

Pour faire face à la pandémie du COVID-19, le gouvernement mauritanien a mis en place un plan national de riposte qui s’articule autour de cinq piliers complémentaires identifiés comme suit : santé ; planification, coordination et suivi du plan de veille économique ; mesures d’atténuation de l’impact socio-économique de la pandémie ; résilience, relance économique et accès aux services de base ; aspects sécuritaires et prévention de la pandémie.

Pour rappel, le « Fonds Spécial de Solidarité Sociale et de Lutte Contre le Coronavirus (F3SL2C) » fut mis en place par le décret N°051-2020/PM/MF du 06/04/2020, doté d’une contribution de l’État de 2,5 milliards MRU et ouvert à la participation des acteurs nationaux et des partenaires.

Une Commission nationale de suivi de l’exécution de ce fonds, présidée par le ministre des Finances, fut en suivant fondée par décret N°066-2020 du 04/05/2020 auprès du Comité Interministériel chargé de la gestion et du suivi de la lutte contre la pandémie COVID 19.

Les ressources du Fonds furent arrêtées, selon le rapport d’exécution du Fonds au 28/02/2021, à 6,22 milliards MRU répartis comme suit : part État, 32% ; participation des partenaires, 22% ; contributions établissements publics + privé, 22 % ; dons en Nature, 24 %. Les dépenses du Fonds ont été exécutées, selon le même rapport, à hauteur de 2,592 milliards MRU, soit un taux d’exécution de 41,67 %.



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