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Boubacar Ould Messaoud : une réhabilitation méritée
Le Calame - À l’occasion du 63 ème anniversaire de la fête de l’Indépendance, la présidence de la République islamique de Mauritanie a décidé enfin – mieux vaut tard que jamais ! – de décorer de l’Ordre d’officier du Mérite national le président de l’organisation SOS Esclaves, monsieur Boubacar Ould Messaoud.
Cette distinction intervient quelques mois après celle que lui avait décernée le Parlement mauritanien et qui semble avoir constitué « le » déclic « dédiabolisant » une icône de la lutte pour les droits civiques, sociaux, politiques, économiques et culturels de larges pans de nos populations nationales issues de toutes les communautés.
Incontestablement, tout le mérite revient au président Mohamed ould Cheikh Ghazwani : aucun de ses prédécesseurs n’eut ni le courage, ni l’audace de consacrer la justesse du combat de cet homme, ni compris l’urgence de corriger l’injustice dont il a longtemps souffert, intempestivement débarqué de son poste de directeur général de la SOciété de COnstruction et de Gestion IMmobilière (SOCOGIM) et emprisonné sous l’ère du président Maouiya ould Sid ’Ahmed Taya.
À 78 ans et malgré la maladie, le patriarche poursuit aujourd’hui son combat entamé dès l’enfance. Fils d’esclaves, comme il aime à le répéter sans aucun complexe ni animosité, Boubacar connaît plus que n’importe qui les affres de l’odieux phénomène et les indescriptibles souffrances qu’il génère.
Chaque fois qu’il en parle, ce sont beaucoup d’amers souvenirs et de croustillantes anecdotes de la vie d’un petit esclave des années 50 refusant de se résigner aux vicissitudes d’une organisation sociale profondément et inégalitairement stratifiée.
Né en 1945 sous un arbre dans les champs de Tweïkenji, à quelques encablures du célèbre lycée Xavier Coppolani de Rosso, Boubacar n’a malheureusement pas connu son père Messaoud décédé accidentellement avant sa naissance, sur le bac où il travaillait comme docker.
Ce fut donc de lui-même, quasiment par effraction, qu’il entra à l’école. Par un beau jour de 1951, alors qu’il revenait des champs avec une pastèque sur la tête, il passa devant l’école fondamentale de Rosso où des enfants comme lui se
faisaient inscrire par leurs parents. Attiré par ses pairs, Boubacar pénétra dans l’enceinte de l’école et reconnut un homme venu inscrire ses neveux.
« Inscris-moi, moi aussi ! », lui dit-il. « Certainement pas ! », répondit son interlocuteur, « Ni tes parents ni tes maîtres ne sont au courant ». Le gamin se mit à pleurer. Passant par-à, le directeur de l’école – un basque, « Monsieur Jolivet », se souvient encore Boubacar – demanda pourquoi cet enfant pleurait.
Quelqu’un lui répondit qu’il était venu s’inscrire mais qu’il était seul. « Donnez-moi son nom ! », ordonna le directeur. Et comme personne n’en savait rien, le directeur convoqua l’homme que Boubacar suppliait d’inscrire : celui-là fut ainsi obligé de le lui révéler. « Ma lutte contre l’esclavage a commencé dès mon premier jour de classe », aime à raconter Boubacar.
Ce jour-là, il se bagarra en effet avec un fils de ses maîtres qui s’appelait comme lui et entendait ajouter à son prénom le sobriquet « l’esclave » pour se distinguer de lui.
Le ministre fâché
En 1958, Boubacar Messaoud fut admis à Xavier Coppolani où il rencontra beaucoup de futurs cadres de ce pays dont, se souvient-il, les présidents Haïdalla et Maouiya qui étaient de loin ses aînés. Il y avait aussi Messaoud ould Boulkheïr et des amis de classe comme Sarr Mamadou du FONADH, le docteur Yahya ould El Hassen, feu Mahmoudy ould Boukhreïss, Hassena ould Ahmed Leabeïd, Mohamed Vall ould Bellal et beaucoup d’autres avec lesquels il a gardé de profonds liens d’amitié et de respect.
Après des études à l’École Nationale d’ingénierie de Bamako entre 1964 et 1967, il poursuivit, l’année suivante, des études préparatoires aux grandes écoles soviétiques à l’Université Lomonosov de Moscou, avant d’entrer à l’Institut d’architecture de Moscou où il obtint un Master en sciences architecturales (M.S.A) avec la mention « excellent ».
De retour en Mauritanie, il postula à devenir cadre au ministre de l’Habitat. Dans l’entretien qu’il eût avec le ministre de ce département, feu Abdallahi ould Daddah, en présence de feu Sall Clédor alors secrétaire général, Boubacar fut disqualifié pour avoir précisé qu’untel n’était pas son parent mais seulement de la famille de ses maîtres.
Alors terriblement fâché, le ministre lui dit : « Ha, bon, toi, tu es de ceux-là ! Rendez-lui son dossier ! ». Après cette anicroche initiale, Boubacar n’en devint pas moins, de 1981 à 1986, respectivement conseiller technique du ministre de l’Hydraulique et de l’habitat puis de celui de l’Équipement et des transports.
Peu de gens savent qu’il fut le maître d’œuvre des études architecturales, supervision et construction des sièges sociaux de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS) et de l’immeuble de la capitainerie du Port Autonome de Nouadhibou, entre autres travaux d’architecture en Mauritanie et à l’étranger.
De 1986 à 1991, il est nommé directeur général de la SOCOGIM d’où il fut débarqué avec fracas, comme dit tantôt, après avoir signé un document hostile au pouvoir de l’époque. Depuis cette date, Boubacar n’a plus jamais « frappé un fer » pour l’État.
Pour une Mauritanie juste
J’apprendrai certainement à beaucoup qu’il ne fut pas membre fondateur du Mouvement El Hor mais qu’il le rejoignit juste quelques mois après sa fondation. Il en devint un des membres les plus emblématiques, au point qu’au jugement des cadres du Mouvement en 1981 à Rosso, le dossier était intitulé « Boubacar Messaoud et consorts ».
Actif en politique avec le FDUC puis AC et APP, Boubacar décida de se consacrer définitivement à la lutte pour la promotion et la défense des droits humains, en général, et à l’éradication de l’esclavage, en particulier.
Avec des mauritaniens de tous les horizons, il fonda SOS Esclaves en 1995 dont feu Habib ould Mahfoud fut le premier secrétaire général. Une organisation qui resta dix ans sans être reconnue par le système Taya pour qui Boubacar Ould Messaoud était le diable pactisant avec les juifs et les chrétiens pour déstabiliser le pays.
Ce n’est qu’en 2005, quelques mois avant la chute de Maouiya, que SOS Esclaves fut reconnue organisation légale et c’est avec l’argent d’un prix décerné par la France à Boubacar que cette organisation mit en œuvre son premier projet au profit des victimes de l’esclavage.
À un peu moins de 80 ans, Boubacar est resté égal à lui-même et à ses convictions pour ériger une Mauritanie juste et intègre. Que de fois et si longuement aura-t-il expliqué aux activistes de toutes les organisations que les problématiques des droits humains ne peuvent être l’apanage de quiconque et que la question de l’esclavage a besoin de tout le monde pour être résolue.
En soixante ans de lutte, le doyen Boubacar Messaoud fut aux côtés de toutes les victimes d’injustice (esclavage, passif humanitaire, militaires impliqués dans les coups d’État, islamistes accusés de complots contre celui-ci, syndicalistes et dockers dans leur combat contre les hommes d’affaires, filles domestiques expatriées vers l’Arabie Saoudite, etc.).
Ceux qui le connaissent lui reconnaissent une franchise déconcertante frisant la naïveté et un courage sans limite qui lui permettent de dire ce qu’il pense à n’importe qui. Un jour, alors qu’il était reçu à a Présidence avec quelques-uns de ses pairs de la Société civile, il s’entendit ainsi interpelé par Ould Abdel Aziz : « Boubacar, je sais que toi et Aminetou [NDLR : la présidente de l’AFCF] vous ne m’aimez pas ! » Et lui de répondre tout simplement : « En tout cas, pour moi, c’est vrai ! »
Homme de vérité et fidèle en amitié, Boubacar Ould Messaoud est aussi un fervent musulman devenu depuis quelques années le muezzin attitré de la mosquée de son quartier où il effectue régulièrement ses cinq prières quotidiennes, autant que le lui permet sa santé très précaire. Quant à la distinction au crépuscule de la vie d’un homme qui a consacré des décennies à la lutte pour les droits de tous, les avis sont mitigés.
Ceux qui pensent à la compromission ou à la normalisation ne connaissent pas celui dont la ténacité, l’honnêteté et le désintérêt en les choses de ce bas-monde sont un secret de polichinelle.
El Kory Sneïba