22:02
Mauritanie : le président Ghazouani réélu, l’opposition perce
Financial Afrik -
La démocratie à l’épreuve du tout sécuritaire
La réélection de Mohamed Cheikh Ould Ghazouani à la présidence de la Mauritanie, validée par le Conseil Constitutionnel avec 56,12 % des voix dès le premier tour, aurait dû être une célébration de l’avancée de la démocratie dans ce pays à cheval entre désert et savane.
Une consécration pour la Commission Électorale Indépendante (CENI) qui a géré la logistique complexe du scrutin et publié en ligne les résultats progressifs presque en temps réel avec le scan des procès verbaux du vote. Mais l’élection, bien que calme le 29 juin, a été suivie par la mort de trois jeunes négro-africains à Kaédi, une tragédie qui a éclipsé la victoire de Ghazouani.
Ce drame, accompagné d’un raidissement de l’appareil sécuritaire, de la suspension de l’internet mobile et de multiples rafles, a révélé une certaine fébrilité dans la gestion de l’ordre dans le réel et en virtuel.
L’approche du tout sécuritaire, héritée des années de la dictature, aurait occulté un débat politique fécond et relégué la recomposition du champ politique à laquelle l’on assiste au rang de l’anecdote. Car dans le fond, ce scrutin a marqué une avancée significative pour l’opposition victorieuse dans les périphéries urbaines et dans beaucoup de localités de la vallée.
Arrivé en deuxième position, Biram Dah Ould Abeid, fervent défenseur des droits de l’homme, a fait mieux qu’il y a cinq ans. Le lauréat du Prix des droits de l’homme de l’ONU a obtenu son meilleur score avec 22,10 % des voix, devenant ainsi de facto le leader d’une opposition oú il ne compte pas que des alliés.
Pour sa part, Hamadi Mohamed Abdi du parti islamiste modéré Tawassoul a recueilli 12,78 % des suffrages. Les autres candidats, bien que moins performants, ont contribué à un paysage électoral diversifié. L’avocat El Id Mbareck récolte 3,57% alors que Ba Mamadou, candidat de l’Alliance pour la Justice et la Démocratie (AJD/MR) engrange 2,39% laissant au neurologue Outuma Antoine Soumaré (2,06%) et Mohamed Lemine El Wavi (O,98%) l’honneur des dernières places.
Dans l’ensemble, de l’avis des observateurs, la Commission électorale indépendante (CENI) a géré les élections avec une organisation exemplaire, publiant les résultats en temps réel sans contestations majeures. Cependant, la répression accrue des forces de l’ordre envers les manifestants, notamment les décès à Kaédi en moins de 24 heures de détention, met en lumière des pratiques policières inquiétantes, contrastant fortement avec les réformes d’inclusion sociale prônées par le gouvernement et un résultat où les supposés déterminismes de la race, de l’ethnie, de la tribu et de la région n’ont finalement pas joué. Bref, la bavure de Kaedi s’est imposée dans le débat.
Le ministère de l’Intérieur a promis une enquête sur ces décès, un engagement appuyé par les États-Unis qui ont également félicité Ghazouani pour sa réélection. Pour sa part, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a dés le 2 juillet condamné toute forme de violence et insisté sur le droit fondamental de manifester pacifiquement.
L’instance a appelé à une enquête transparente et impartiale sur les décès, tout en rappelant que les contestations électorales doivent suivre les voies légales. On peut déplorer qu’il y ait eu mort d’homme. On se doit d’attendre les résultats de l’enquête. Mais cette triste occurrence dont on ignore encore les causes réelles ne saurait ternir chez les observateurs, les progrès indéniables du processus démocratique mauritanien.
C’est clair, le contraste entre les progrès politiques et les pratiques policières actuelles constitue un défi majeur pour le gouvernement, qui doit s’efforcer de garantir une véritable inclusion sociale et une justice équitable.
Les résultats des élections montrent une opposition plus forte, promettant des scrutins futurs potentiellement serrés. Si l’on attend une réponse adéquate aux préoccupations de sécurité et de droits de l’homme, les avancées démocratiques de la Mauritanie ne sauraient être niées à cause d’une potentielle bavure policière.
Adama WADE