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Destin d’un porte-drapeau : Camil Ould Doua, fierté des bassins (Mauritanie)
Café Crème Sport -
Spécialiste du 50 mètres nage libre, Camil Ould Doua, 22 ans, a porté à Paris le drapeau de la Mauritanie, pays de son père, après des années de galère et une participation avortée aux Jeux olympiques de Tokyo, en 2021.
Les chapitres de la vie sont parfois tourmentés. Camil Ould Doua le sait mieux que personne. Avant de se retrouver avec le gratin de la natation mondiale, à Paris, lors des derniers Jeux olympiques d’été sur le 50 m nage libre et de porter le drapeau de sa nation à la cérémonie d’ouverture, l’athlète Franco-mauritanien a eu des moments de doutes et des échecs qui l’ont usé jusqu’à la corde. Sans savoir de quoi le lendemain sera fait, ni même les suivants.
Mais la quête de l’olympisme a un prix et les obstacles surmontés transforment un homme. Celle de Camil Ould Doua a du sens et nous immerge dans une histoire où les joies, les rebondissements et les coups durs prédominent. Encore plus lorsque le protagoniste principal les narre avec un sourire communicatif qui ne quitte pas son visage. Sans louvoyer aux différentes questions qui s’enchaînent.
Plus jeune, l’enfant de Talence – mais né à Valenciennes car sa mère « voulait à tout prix que ses enfants naissent tous dans le Nord, sa région natale » – ; se fond dans un décor sportif, en pratiquant successivement la natation et le judo. « Mes parents ne sont absolument pas des personnes sportives. Mais le sport a été rapidement un mode de vie pour avoir une activité en parallèle de l’école dans notre jeunesse avec mes grands frères, raconte le nageur avec maturité. Plus jeune, mon emploi du temps était d’aller à l’école, faire du sport et ensuite, dormir. Le sport devait nous apprendre des valeurs et nous fixer un cadre. »
Jusqu’à l’heure des premiers choix : la natation ou le judo ? Difficile de savoir lorsqu’on entame à peine son parcours de vie. Mais peut-être qu’au fond de lui-même, Camil Ould Doua savait qu’il serait mieux dans l’eau.
« Les Jeux olympiques étaient une sorte de rêve inaccessible à ce moment-là. »
Au fil des années et des longueurs dans le bassin de Talence, à seulement dix minutes du domicile familial, l’apprenti nageur avale les kilomètres et se met à rêver d’un destin olympique. Et quoi de mieux qu’une inspiration comme Grégory Mallet, vice-champion olympique du relais 4 x 100 m avec l’équipe de France aux Jeux olympiques de Londres en 2012, pour donner du sens à des espoirs candides ?
« Son père, Jacques Mallet, dirigeait le club. Grégory Mallet avait pris en charge un groupe d’enfants plus âgés que moi, mais j’étais parvenu à me faufiler pour participer aux séances avec un de mes amis. Afin de préparer l’année, il avait demandé aux jeunes d’écrire sur un papier leur objectif personnel, développe Camil Ould Doua. Certains avaient exprimé le souhait de participer aux championnats de France, d’autres d’améliorer leur temps sur une nage… De mon côté, j’avais écrit que je voulais participer aux Jeux olympiques. Les JO étaient une sorte de rêve inaccessible à ce moment-là. Mais comme j’étais un peu rêveur sur les bords… »
Toute la singularité du jeune nageur aux attaches mauritaniennes par son père prend alors du sens. Encore plus au début de l’adolescence lorsque ses résultats laissent augurer un potentiel certain. Ce que des qualifications et bonnes performances aux championnats de France viendront confirmer. Avant les premiers accrocs. « À partir de la classe de quatrième, mon niveau a stagné et je n’arrivais pas à reproduire les mêmes performances. Il y avait des hauts et des bas. Je n’étais pas content de moi à cette époque. Et cela a duré jusqu’en classe de première. » En parallèle de la natation, Camil Ould Doua poursuit un cursus scolaire classique et obtient un baccalauréat scientifique en 2020. Une année charnière qu’il n’oubliera pas de sitôt.
Le projet mort-né de Tokyo
Car la natation n’est jamais bien loin et rattrape vite le Talençais. L’espoir enfantin de participer aux Jeux olympiques n’est alors plus une chimère. Il revient même un peu par hasard dans la vie du jeune Camil.
« En 2020, j’avais l’impression d’arriver à la fin d’un cycle. Je ne me retrouvais plus vraiment dans la natation. Il me fallait un moyen de me stimuler et de rêver. Avec mon beau-père, on parlait régulièrement des Jeux olympiques et ceux de Tokyo qui approchaient. Quelque temps après, j’ai reçu un coup de fil anodin du directeur du Comité olympique mauritanien, Abderrahmane Ethmane. Nous étions quelques mois avant l’événement », rembobine-t-il. Et le récit qu’il délivre, quatre ans après, ressemble presque à un scénario hollywoodien.
« Nous avons entamé des discussions pour une éventuelle participation. Il m’a demandé mes temps afin de savoir si j’avais le niveau pour me rendre à Tokyo. Il souhaitait donner de l’allant au sport mauritanien grâce à moi. »
Camil Ould Doua, fraîchement majeur, caresse l’espoir d’une participation avec le pays de naissance de son père, la Mauritanie. Ses résultats collent parfaitement aux demandes des dirigeants mauritaniens. Mais rapidement, il déchante. « Il ne restait plus qu’à faire les papiers administratifs, tout était ok sur le plan sportif. Sauf qu’il y a eu rapidement un problème : la Mauritanie n’acceptait pas la double nationalité. Il y aurait pu avoir une exception pour moi si mon père avait conservé sa nationalité mauritanienne. Or, lors de son arrivée en France, il l’a abandonnée. Il fallait donc tout reprendre à zéro : faire mes papiers et les papiers de mon père. C’était mission impossible en si peu de temps. »
« Quand tout s’est arrêté, j’ai pris un coup derrière la tête et je n’ai rien fait pendant un an. »
Tout bascule. Le secret espoir de découvrir le monde de l’olympisme s’effondre, tout comme celui de devenir un précurseur en Mauritanie. La désillusion est immense. Pas simple à vivre pour un lycéen-nageur qui croyait en sa bonne étoile. Et l’arrivée de la pandémie de Covid-19 sonne définitivement le glas d’une année 2020 qui aurait pu le combler de bonheur. À la place, Camil Ould Doua s’enfonce dans la solitude et se calfeutre dans sa chambre.
« Tout a fermé quand le coronavirus est arrivé. Je ne pouvais plus nager ni faire quoi que ce soit comme tout le monde. Et à la fin de la pandémie, je ne pouvais pas retourner à la piscine de Talence car celle-ci était en pleine période de rénovation. Je me suis retrouvé pendant de longs mois sans rien faire chez moi ». Plus d’entraînements le matin et le soir, plus de longueurs, ni même d’interactions à la piscine. La mort sociale du nageur. « Mon cercle social est à la piscine. C’est une vie marginale. Donc, quand tout s’est arrêté, j’ai pris un coup derrière la tête et je n’ai rien fait pendant un an. »
Jusqu’au jour où une discussion avec sa mère, en milieu d’année 2021, lui remet savamment les idées en place et le sort de sa chambre devenue le lieu de son chagrin. « Ma mère m’a demandé de me bouger, c’est aussi simple que ça, explique Doua. Il fallait que je gagne un peu d’argent et que je sorte de chez moi. » En Gironde, le nageur enchaîne les petits boulots : dans le bâtiment, l’animation, en restauration. Des journées en extérieur qui lui permettent de se reconnecter à la vie.
Début 2022, après quelques tergiversations, il s’inscrit au Centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) de Bordeaux en natation. L’occasion de renouer avec les bassins sans nécessairement penser à la compétition. Avant le déclic. « Un jour, j’ai repensé à tout ce qui s’était passé ces dernières années et je me suis dit : ‘Mon rêve de participer aux Jeux n’est pas totalement terminé, que ce soit avec la Mauritanie ou la France.’ J’ai alors repris mes entraînements et comme par magie, quelque temps après, la loi de la double nationalité en Mauritanie a changé. »
Le tournant d’une vie. Et lorsqu’on lui ouvre une porte, Camil Ould Doua fonce tête baissée. En fin d’année 2022, il se rend à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, afin d’avoir des garanties sur son dossier administratif. « On m’a dit de participer à une compétition pour situer mon niveau et ensuite, ils aviseraient. Je les ai convaincus assez rapidement et à partir de là, tout s’est fait naturellement. Les papiers ont été signés et je me suis retrouvé dans le processus de qualification pour les JO de Paris. »
La quête reprend après d’innombrables obstacles et trois ans d’arrêt. Mais il en faut plus au Franco-mauritanien pour renoncer et se décourager. D’autant qu’à Talence, il retrouve Grégory Mallet comme entraîneur. L’objectif ? Ne rien laisser au hasard. « C’est comme un membre de ma famille et un mentor. Je le connais depuis très longtemps. J’idéalise son parcours et ce qu’il a fait dans le sport. C’est une personne que je respecte énormément à tous les niveaux. De toute façon, je ne peux pas m’entraîner avec quelqu’un que je ne respecte pas, aime-t-il à rappeler. Ce n’est pas dans ma manière d’être et de faire. Avec Greg, nous avons créé une relation de confiance et c’est pour cela que ça marche entre nous. »
Une relation de confiance qui s’est nouée au fil des entraînements. Malgré une reprise délicate. « J’ai vomi dès le premier jour d’entraînement (rires). La reprise a été violente physiquement et mentalement. Mais j’étais préparé. Greg a une manière de concevoir l’entraînement qui me plaît. »
Du 400 mètres nage libre au… 50 mètres nage libre
D’autant qu’une qualification olympique est en jeu et qu’en prime, un changement notable s’insère dans la programmation de Camil Ould Doua. Passer du 400 mètres nage libre, sa distance fétiche chez les jeunes au… 50 mètres nage libre. Un choix totalement assumé par le duo Doua-Mallet. « Avec mes trois années d’arrêt, j’ai perdu énormément de choses, notamment de l’endurance et du foncier. À partir de là, il fallait trouver des solutions et se diriger vers des distances plus courtes. J’aurais pu reprendre sur le 200 mètres, mais avec Grégory, nous avons décidé de faire du 50. »
Derrière cette litote, le Talençais a une idée bien précise dans un coin de la tête : tordre le cou aux préjugés sur le physique des nageurs. Lui qui n’a pas le gabarit d’un nageur de 50 mètres. « J’ai toujours entendu que les petits ne pouvaient pas réussir sur le 50 mètres. J’ai un physique moins impressionnant que des mecs qui font du 50 mètres. J’ai des qualités explosives et propres à moi. Je voulais les mettre au service du 50. En plus, il y a de la technique, beaucoup plus de travail de musculation… On touche à d’autres paramètres de notre corps. C’est stimulant. On n’a pas le droit à l’erreur. »
« Calculer ma quantité de poulet ou de riz au gramme près, ça ne me convenait pas »
Au fil des mois, l’entraînement s’intensifie. La préparation s’accélère. Camil Ould Doua s’échine à la tâche, prend du poids et de la masse musculaire. Il se retrouve confronté à une nutrition drastique qui lui cause quelques sueurs froides avant de trouver le remède miracle : manger sainement les plats de sa mère. « Calculer ma quantité de poulet ou de riz au gramme près, ça ne me convenait pas au départ. J’ai fait appel à un diététicien, mais ce n’était pas une bonne idée. Je devais déterminer moi-même mon alimentation et faire les ajustements nécessaires afin de grossir. »
Les JO de Paris approchent. Le nageur enchaîne les compétitions en France et à l’étranger, puis composte son billet qualificatif pour les Jeux. Cerise sur le gâteau, il apprend par le président de la Fédération de natation mauritanienne, à l’issue des Jeux africains à Accra au Ghana, en mars dernier, que des discussions sont en cours pour qu’il soit le porte-drapeau masculin de la Mauritanie à Paris. « Lorsqu’il me l’a annoncé, je n’y croyais pas. Mon rêve était avant tout de participer aux Jeux olympiques. On me donnait beaucoup plus que ce j’espérais. Pour moi, cela avait une vraie signification car j’allais porter le drapeau de mon pays d’origine dans mon pays de naissance. Le symbole était immense. »
Officialisation faite, Camil Ould Doua se rend dans la capitale française fin juillet, des étoiles plein les yeux, auréolé d’un statut qu’il n’aurait jamais soupçonné il y a quelques mois à peine. Arrive le jour J et un soir qu’il n’oubliera pas de sitôt. « Je ne saurais décrire ce moment. Quand j’ai porté le drapeau sur le bateau, avec la Tour Eiffel en toile de fond et les anneaux olympiques accrochés, c’était presque irréel. » Il ajoute : « Je me suis aussi dit : ‘Enfin, j’y suis arrivé’ et dans la continuité, je voulais savoir quelle image je renvoyais aux yeux du monde. »
Pour le savoir, le nageur de 22 ans va se lancer un défi personnel : montrer les coulisses du village olympique sur les réseaux sociaux et partager quelques moments de ses journées. « C’était l’idée d’un ami. Moi, je n’étais pas favorable. Je n’aime pas me mettre en avant. Je pensais qu’en publiant des vidéos, ça allait faire un peu kéké. Et finalement, j’ai changé d’avis et lui ai fait confiance. Et je n’ai eu que des retours positifs, y compris en Mauritanie où les gens me suivaient. Ils voulaient savoir comment ça se passait sur place ! »
Nul doute qu’en Mauritanie, on a également apprécié le parcours du jeune nageur dans la piscine de La Défense Arena, devenue au fil des courses et exploits de Léon Marchand, un cratère en ébullition, prêt à exploser à chaque victoire de la nouvelle star du sport français. « L’ambiance m’a fait rêver. Elle m’a motivée. C’est pour ce genre de moments que je pratique la natation. Tu as envie de faire vibrer le public et qu’il te le rende en retour. Avec une telle ambiance pendant les courses, tu ne pouvais qu’être galvanisé. Même si durant ma course, ça m’a peut-être desservi car j’avais envie de bien faire… »
Peut-être encore un peu tendre sportivement, Camil Ould Doua n’a pas eu le temps d’exister sur le 50 m nage libre, éliminé dès les séries de la compétition. Un apprentissage éclair qui n’a pas entaché une seule seconde sa motivation. Désormais, les objectifs sont clairement affichés. « Je dois tellement améliorer de choses pour être meilleur. J’ai un boulevard devant moi pendant quatre ans ! C’est ça qui est bien. J’ai des qualités, comme mon cardio et mon explosivité, mais je dois améliorer mon physique, ma force, ma musculature, ma technique et mon mental. Je peux grappiller des dixièmes, voire des secondes sur mes temps actuels. Je ne suis qu’au début d’un cycle. »
Participer au développement de la natation en Mauritanie
Un cycle de quatre ans qui doit l’amener à participer aux compétitions continentales et internationales, tout en gardant à l’esprit Los Angeles 2028. « À Paris, j’avais encore des excuses, car je m’étais uniquement préparé pendant un an. À Los Angeles, ce ne sera pas du tout la même chose si je me qualifie. Quatre années se seront écoulées. Je compte mettre en place une structure autour de moi avec mon coach actuel, un coach de musculation, un coach mental… assure Camil Doua. Je veux me professionnaliser pour atteindre mes objectifs. En voyant les autres nageurs à Paris, je me suis dit que j’étais capable d’être à leur niveau à l’avenir. Je n’étais pas craintif. Les Jeux m’ont donné faim. »
Avant les États-Unis, le natif de Valenciennes veut faire honneur au pays de son père, où la natation n’émerge pas. Le projet d’une piscine à Nouakchott va ainsi voir le jour très prochainement afin de permettre aux Mauritaniens d’apprendre à nager. « Dans environ quatre mois, les travaux vont commencer sur place. Une fois les travaux terminés, la première piscine olympique en Mauritanie verra le jour. Ce projet est très important car, malheureusement, beaucoup de personnes meurent de noyade en Mauritanie. La capitale, Nouakchott, est au bord de l’océan. Là-bas, une grande partie de la population ne sait pas nager ou ne peut pas apprendre à nager car il n’y pas de moyens mis en place ni de structures », développe le nageur de Talence.
« Le sport prend de plus en place en Mauritanie. Il y a envie réelle de faire bouger les lignes. »
Entre enjeu social et éducatif, Camil Ould Doua, qui est devenu une figure reconnue du sport en Mauritanie, voit grand et sent que sa participation aux Jeux olympiques pourrait faire évoluer la situation du sport mauritanien dans les prochaines années si toutes les planètes s’alignent.
« On a beaucoup parlé de la Mauritanie cette année, aux JO, mais pas seulement. L’équipe nationale de football a battu l’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations. Tous ces exploits donnent un nouvel élan et le président du Comité olympique, mais aussi le ministre des Sports veulent surfer sur cette vague. Le sport prend de plus en plus de place en Mauritanie. Il y a une envie réelle de faire bouger les lignes. Et le sport pourrait prendre encore plus d’importance si un sportif ou une sportive obtient une médaille dans une compétition internationale ou continentale. C’est le prochain objectif pour ma part. Si je ramène une médaille, par exemple aux championnats d’Afrique, le ministre des Sports fera le nécessaire pour donner encore plus de moyens. »
Et se dire que l’histoire que se racontait le gamin de Talence sur un bout de papier, avec fierté, n’avait vraiment rien d’une fiction.
Par Thomas Bernier