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20-01-2025

14:08

Une réforme périlleuse pour la démocratie mauritanienne : Quand la loi sur les partis politiques trahit l’esprit du pluralisme

Mansour LY -- La Mauritanie se trouve à un tournant décisif de son évolution politique. Alors que les citoyens aspirent à des réformes inclusives et à un dialogue national à la hauteur des défis sociaux et politiques actuels, le projet de loi sur les partis politiques, adopté le 25 décembre 2024 par le Conseil des ministres, suscite des interrogations légitimes.

Ce texte, qui modifie profondément les conditions d’existence des formations politiques, semble refléter des ambitions qui vont bien au-delà d’un simple effort de rationalisation du système. En effet, au-delà des considérations purement juridiques, ce projet soulève des questions fondamentales concernant l’avenir du pluralisme en Mauritanie, les mécanismes de représentation et la capacité du pays à répondre à ses défis sociaux et démocratiques.

Dans ce contexte, il est essentiel de noter que le durcissement des critères pour obtenir un récépissé de reconnaissance — 5 000 parrainages répartis dans plusieurs régions et un doublement du seuil de représentativité de 1 % à 2 % — est présenté comme une réponse au besoin d’assainir le paysage politique.

Toutefois, cette réforme risque d’exclure de manière disproportionnée les “petits partis”, les mouvements porteurs de revendications minoritaires et, plus largement, les voix issues des communautés historiquement marginalisées.

Par conséquent, dans un pays où la diversité ethnique et culturelle est une richesse autant qu’un défi, imposer de telles conditions revient à ériger une barrière presque insurmontable pour ceux qui luttent déjà pour être entendus.

De surcroît, ces mesures risquent ainsi de réduire encore davantage la participation politique des Négro-Mauritaniens, des Haratines et des jeunes militants, qui peinent à s’organiser dans un système dominé par des structures politiques centralisées et souvent inflexibles.

Par ailleurs, la disposition autorisant le gouvernement à suspendre ou dissoudre un parti politique sans passer par la justice pose un problème encore plus préoccupant. En effet, une telle mesure, si elle venait à être appliquée, consacrerait une dérive autoritaire, plaçant le pouvoir exécutif au-dessus des mécanismes de régulation institutionnelle.

En d'autres termes, cette réforme offrirait à l’État un outil pour affaiblir ou neutraliser ses opposants sous des prétextes administratifs, contournant ainsi les garanties fondamentales de la séparation des pouvoirs. Cette évolution, incompatible avec l’esprit et la lettre de la Constitution mauritanienne, risque de fragiliser davantage la confiance des citoyens envers les institutions.

Dans un pays où le chemin vers la consolidation démocratique reste semé d’embûches, il est primordiale de protéger les principes de justice et d’équité contre toute tentative de centralisation excessive du pouvoir.

Pour comprendre les motivations profondes de cette réforme, il est nécessaire de replacer ce projet dans le contexte plus large de la mutation politique actuelle en Mauritanie. Les partis historiques, qui dominaient la scène politique depuis les premières années de l’indépendance, sont aujourd’hui en déclin.

Lors des dernières élections, leur incapacité à mobiliser les électeurs a été flagrante, tout comme leur manque de réponses aux aspirations des nouvelles générations. Cette désaffection envers les structures politiques traditionnelles reflète un vide politique croissant, accentué par le vieillissement du personnel politique, qui peine à transmettre le flambeau à une relève jeune et dynamique.

Dans ce contexte, il est tentant pour les autorités en place de chercher à restructurer le paysage politique à leur avantage, en limitant le nombre de formations actives et en consolidant une majorité plus homogène.

Ce projet de loi, sous des dehors techniques, semble ainsi servir des objectifs stratégiques bien définis. D’une part, en imposant des seuils élevés de parrainages et de représentativité, le gouvernement peut réduire le nombre de partis d’opposition tout en renforçant les formations proches du pouvoir.

D’autre part, alors que le président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani entame son dernier mandat, cette réforme pourrait créer un cadre favorable à un candidat de continuité, choisi par les élites actuelles.

Ainsi, l’adoption de cette loi semble non seulement menacer les fondements du pluralisme démocratique en Mauritanie, mais également compromettre l’avenir même de la démocratie dans un contexte déjà fragile.

Les réformes doivent impérativement s’accompagner d’un engagement vers un dialogue national inclusif, qui reconnaît la voix de toutes les composantes de la société mauritanienne.

Mansour LY



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