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15-04-2025

12:52

En Mauritanie, les migrants subsahariens à nouveau expulsés en masse

Global Voices - Des centaines de migrants africains subsahariens sont victimes d'interpellations et d'expulsions en Mauritanie. Selon certains acteurs de la société civile mauritanienne, ceci serait la conséquence d'un accord entre Nouakchott et l'Union européenne.

Au début de l'année 2017, l'Union européenne (UE) a exprimé sa volonté de bloquer la route des migrants, surtout ceux venant d'Afrique subsaharienne. En 2024, l'UE estime que 239 000 migrants irréguliers ont essayé de franchir les frontières de la région, une baisse de 38% par rapport à l'année 2023.

Depuis, Bruxelles a affiné sa politique migratoire au travers d'une collaboration avec les pays de transit de ces migrants que sont le Maroc, la Tunisie, la Libye, et récemment la Mauritanie dont la côte sert de point de départ.

En février 2024, la Mauritanie a signé un accord de partenariat avec l'UE, assorti d'un financement de 210 millions d'euros (plus de 230 millions de dollars américains) pour créer un fond destiné à lutter contre les passeurs et la gestion des migrations clandestines depuis le pays.

La Mauritanie a répondu à ses obligations puisqu'en septembre 2024, un nombre important de migrants a été expulsé du territoire. Selon les chiffres donnés par Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, ministre de l’Intérieur de la Mauritanie, et cité par le site Info Migrants, 10 753 migrants ont été expulsés, une augmentation de 14 % par rapport à l’année 2023.

Depuis fin février 2025, les migrants subsahariens en Mauritanie font face à une nouvelle vague d'expulsions massive. Les autorités du pays estiment que ces derniers sont en situation irrégulière. Mais la Mauritanie n'est-elle pas devenue ainsi le gendarme de l'Europe? Pour répondre à cette question, Global Voices s'est entretenu, via Whatsapp, avec Khally Diallo, député à l'assemblé nationale mauritanienne.

Jean Sovon (JS) : Quelles sont les raisons qui motivent l'expulsion des migrants subsahariens dans votre pays ?

Khally Diallo (KD) : La Mauritanie a récemment bénéficié d’un soutien financier conséquent de 210 millions d’euros (plus de 230 millions de dollars américains), octroyé par l’Union européenne et l’Espagne, dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. Ce partenariat s’inscrit dans une stratégie plus large visant à endiguer les flux migratoires en provenance d’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie étant devenue, ces dernières années, un point de passage privilégié pour de nombreux migrants en route vers l’Europe.

En s’engageant à travers cet accord, la Mauritanie accepte de renforcer ses efforts en matière de contrôle migratoire. Toutefois, on peut quand-même noter certaines limites dans la mise en œuvre de cette politique. En effet, les actions entreprises sur le terrain se traduisent souvent par des vagues d’arrestations et d’expulsions, parfois menées de manière ciblée, ce qui peut soulever des interrogations sur le respect des droits humains et sur l’efficacité durable de l’approche adoptée.

JS : Quelles sont les nationalités visées dans cette opération ? Une telle politique ne risque-t-elle pas de susciter des tensions entre la Mauritanie et ses voisins ?

KD : Aucune nationalité n'est explicitement visée dans les opérations menées, mais les pratiques répressives observées, bien qu’elles puissent répondre à des impératifs de sécurité nationale (selon le gouvernement), traduisent une approche parfois déséquilibrée de la gestion du phénomène migratoire. Elles apparaissent en décalage avec les exigences d’une politique plus globale, humaine et durable, qui devrait s’appuyer sur une compréhension des causes profondes de la migration et le respect inconditionnel de la dignité des personnes concernées.

C'est impératif que ces actions soient menées avec discernement et dans le strict respect des droits humains, afin d’éviter tout amalgame ou traitement excessif pouvant porter atteinte à l’image de la Mauritanie sur la scène internationale, notamment auprès des pays d’origine des migrants. Une telle perception risquerait d’entacher les efforts entrepris et de susciter des tensions diplomatiques inutiles.

Dans les pays d'origine de ces migrants, ces expulsions sont difficiles à digérer. Au Mali, les conditions d'expulsion ont suscité une montée des tensions chez les autorités. Au Sénégal, le député Guy Marius Sagna s'est saisi de l'affaire réclamant une mission parlementaire. Sur sa page Facebook, il publie :



JS : Que pensent les organisations de défense des droits de l'homme de cette situation ?

KD : Les organisations de défense des droits de l’homme, plusieurs acteurs de la société civile ainsi que moi-même en tant que député du peuple, avons vivement réagi face à cette situation. Nous dénonçons fermement les excès constatés lors des opérations de contrôle, notamment les arrestations arbitraires, les conditions de détention, ainsi que les expulsions menées sans respect des procédures légales.

Nous appelons les autorités à faire davantage, preuve de retenue et de discernement, parce que la lutte contre l’immigration irrégulière ne saurait justifier des atteintes aux droits fondamentaux. Cette mobilisation s’est intensifiée à la suite d’une vague d’indignation sur les réseaux sociaux, où plusieurs témoignages ont mis en lumière des bavures policières, ainsi que des cas d’abus manifestes.

Des allégations préoccupantes font également état de pratiques illégales, où certains migrants se seraient vus contraints de verser de l’argent pour éviter l’expulsion ou pour obtenir un statut de séjour précaire. De telles dérives, si elles sont avérées, constituent une exploitation inacceptable de la vulnérabilité des migrants et sapent les efforts de transparence et de bonne gouvernance.

JS : Existe-t-il des solutions pour remédier à cette situation ?

KD : Dans un esprit de responsabilité partagée, j’invite l’ensemble des ressortissants non mauritaniens établis sur notre territoire à se conformer aux exigences légales en matière de séjour. C'est essentiel qu’ils régularisent leur situation, non seulement pour leur sécurité personnelle, mais aussi pour qu’ils puissent vivre en Mauritanie dans la dignité et en toute sérénité. Cependant, cet appel à la régularisation doit nécessairement s’accompagner d’un engagement fort de la part des autorités mauritaniennes.

Je trouve qu'il est impératif de faciliter l’accès aux titres de séjour en mettant en place des procédures claires, accessibles, transparentes et équitables. Actuellement, force est de constater que de nombreux étrangers se heurtent à un véritable parcours du combattant pour obtenir ces documents. Cette complexité ouvre malheureusement la voie à diverses formes d’arnaques, d’abus administratifs et de corruption, au détriment des plus vulnérables. Une réforme en profondeur du système de délivrance des titres de séjour s’impose donc. Elle devrait inclure la simplification des démarches, la réduction des délais de traitement, la lutte contre les pratiques illicites, ainsi que la création de guichets d’accueil et d’accompagnement pour orienter les migrants dans leurs démarches.

FIN

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La Mauritanie reste une destination privilégiée pour les migrants subsahariens non seulement comme point de départ vers l'Europe, mais aussi comme centre économique pour certains types d'emplois. Selon un rapport d'enquête de l’Organisation internationale de la Migration (OIM) sur le profil des migrants à Chami, ville située au nord ouest de la Mauritanie, la recherche d'une meilleure condition de vie est la principale raison qui justifie la présence des milliers de migrants subsahariens. Ledit rapport indique:

"L’analyse sur les secteurs d’activités exercés par les migrants dans la ville de Chami ressort que l’orpaillage est le secteur prédominant, mobilisant une majorité des migrants (52%), en particulier les hommes, qui représentent environ 97 pour cent des travailleurs dans ce domaine."

Dans ce contexte, Nouakchott peut-il se permettre de se passer de main d’œuvre subsaharienne?

Ecrit par Jean Sovon





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