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"Il y a une vraie crainte de se faire contrôler" : En Mauritanie, les vagues d'arrestations de migrants sèment la peur
InfoMigrants -- Depuis presque deux mois, les arrestations de personnes en situation irrégulière sont quasi-quotidiennes en Mauritanie. Après un passage en détention, elles sont ensuite renvoyées aux frontières avec le Sénégal ou le Mali. Un climat qui sème la peur dans le pays où sont présents quelque 200 000 migrants.
"Surtout pour les migrants Subsahariens, la situation peut être qualifiée de critique", estime Abdoulaye Diallo, président de l’association Ensemble pour un avenir meilleur, contacté par InfoMigrants. Depuis fin-février, la Mauritanie mène une campagne d’arrestations et d’expulsions de migrants en situation irrégulière.
Selon l'OIM en 2024, ils sont environ 200 000 migrants en Mauritanie. "C’est tous les jours qu’il y a des refoulements. La police arrête même des gens dans leurs maisons, des hommes lorsqu’ils vont au travail... Les refoulements ne touchent plus que les migrants en transit mais tout le monde", raconte l’associatif.
De nombreux migrants arrêtés sont envoyés notamment à Rosso, au Sénégal, à la frontière mauritanienne. C’est le cas de Diallo, arrêté par la police à Nouakchott, la capitale. "Ils te disent 'tu es un étranger non ?', tu dis oui, on te prend. Pendant deux jours, on est enfermés dans un centre où si tu n'as pas l'argent pour acheter à manger, tu vas mourir dans la salle", raconte-t-il à RFI.
Même scène pour Camara, vêtue d’un grand voile mauritanien, qui a été expulsée à Rosso malgré sa grossesse et sa fille de deux ans. "(Un policier) m'a attrapé à la maison, j'étais couchée donc, il (est venu), il (a cogné). Moi, j'ai fait une semaine en prison. Il n'y avait pas à manger", confie la jeune femme à RFI.
"Les gens se cachent"
Si les précédentes vagues d’interpellations touchaient principalement les migrants interceptés en partance vers l’Europe, cette fois-ci, tous les profils semblent concernés. Adamou*, un étudiant d’une trentaine d’années craignant de se faire refouler à son tour malgré sa carte d’étudiant, a décidé de faire un aller-retour au Sénégal pour assurer son avenir en Mauritanie.
"Comme ça si on me contrôle, je peux dire que j’ai un visa pour 3 mois", explique-t-il à InfoMigrants. Car lorsqu’un ressortissant d’un pays de la Cédéao rentre en Mauritanie, il dispose d’un visa valable 90 jours.
Selon lui, nombre de ses compatriotes en Mauritanie ont été arrêtés puis refoulés. "Certains avec qui je suis en contact sont à Rosso mais le Sénégal ne veut pas d’eux, d’autres ont été renvoyés vers le Mali. Il y en a un aujourd’hui qui est à Bamako", indique-t-il. Et d’ajouter : "Aujourd’hui, il y a une vraie crainte de se faire contrôler et arrêter. Chaque jour ça arrive".
Et cette peur se ressent dans les rues, selon Abdoulaye Diallo. "Avant, il y avait beaucoup de taxis, conducteurs de tuks-tuks, tous ces petits jobs occupés par des migrants… Mais maintenant, on voit vraiment l’absence des migrants dans la ville. Les gens se cachent", raconte-t-il.
"Ici, les migrants vivent du travail informel parfois depuis plusieurs années"
Une situation qui risque de plonger nombre de personnes en situation irrégulière dans la précarité car l’augmentation des arrestations et des contrôles "crée un climat répressif", analyse une humanitaire, contactée par InfoMigrants, qui a souhaité rester anonyme. "Depuis le mois de mars, les arrestations ne sont plus uniquement liées aux interceptions et débarquements de pirogues en direction de l’Europe", dit-elle.
Pour éviter d’être arrêtés, les migrants sont de plus en nombreux à demander un titre de séjour. Ainsi, "les services d’enregistrement de migration sont débordés et il y a énormément de queues", explique l’humanitaire.
À ça, "il faut ajouter les nouveaux visas électroniques". Ainsi, entre le nouveau système et l’augmentation de la demande, "on a un ralentissement général de la régularisation". "Ils auraient pu laisser un délai avant d’arrêter les gens afin qu'ils puissent faire les demandes", souffle Amadou.
"Un travail de routine"
Selon le ministre mauritanien des Affaires étrangères interrogé par RFI, Mohamed Salem Ould Merzoug, "il n’y a pas, à proprement parler, de mesures particulières enclenchées". "Notre politique vis-à-vis de la migration irrégulière est restée la même : appliquer la règle de droit et être très ferme, par rapport aux réseaux de migrants irréguliers en particulier", a-t-il dit.
Ces opérations sont "un travail de routine", concernant des migrants n’ayant pas régularisé leur situation, selon le ministre qui n’a pas donné de chiffres sur l’ampleur de ces refoulements. Il assure que sur les 130 000 migrants recensés en 2022, seulement 7 000 ont renouvelé leur titre de séjour.
Dans ces vagues d’arrestation, certains y voient un lien avec l’accord conclu entre la Mauritanie et l’Union européenne. En mars 2024, la Mauritanie a signé avec Bruxelles un partenariat visant à lutter contre l’immigration illégale. Au programme : renforcement de la coopération entre agences, démantèlement des réseaux de passeurs, construction de centres de rétention et délégation des contrôles, le tout grâce à une enveloppe de 210 millions d’euros accordée au pays saharien.
Ces dernières années, la Mauritanie est devenue l'un des premiers points de départ des migrants en direction de l’Europe. En 2024, près de 47 000 personnes ont débarqué aux Canaries, un record. Et le nombre de morts n'a jamais été aussi nombreux sur cette route migratoire.
Près de 10 000 exilés ont péri dans l'Atlantique en 2024, d'après le dernier rapport de Caminando Fronteras. Et "la majorité des victimes avaient pris la mer depuis la Mauritanie", selon Helena Maleno de l'ONG espagnole.