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13-05-2025

06:29

Haiba Ould Cheikh Sidaty : « La Mauritanie face au fléau de la drogue, entre impunité et hypocrisie »

Shems Maarif - Lors de son intervention dans la rencontre intitulée « Salon des blogueurs » Haiba Ould Cheikh Sidaty du site d’information « AlAkhbar.info » a choisi un ton direct pour aborder le sujet sensible de la drogue en Mauritanie.

Il a d’abord rappelé qu’au départ, le phénomène n’était pas perçu comme particulièrement préoccupant, car la Mauritanie était considérée comme un simple pays de transit. Selon plusieurs sources, la drogue n’était pas consommée localement, et ce transit avait même, selon certains, des retombées économiques « positives » pour certaines communautés.

L’idée dominante à l’époque était que tant que la consommation se faisait ailleurs, les effets négatifs resteraient loin. Une illusion qui a duré des années.

Mais avec le temps, la réalité a changé : la Mauritanie est devenue non seulement un couloir de transit, mais aussi un pays de consommation. Une tolérance sociale s’est installée, et selon Haiba, beaucoup considéraient les trafiquants comme des gens « honorables » : ils vendaient de la drogue à d’autres, s’enrichissaient, mais ne consommaient pas eux-mêmes. Cette vision déformée a largement contribué à banaliser le phénomène.

Il a souligné que le trafic de drogue ne peut prospérer sans des structures solides, bien implantées, et qu’avec les années, ces réseaux se sont renforcés au point de devenir extrêmement difficiles à démanteler. La drogue est désormais omniprésente, surtout chez les jeunes, avec pour conséquences directes une hausse de la criminalité, des vols et d’autres délits.

Haiba a évoqué les routes de la drogue : par voie terrestre, maritime et même fluviale, dans toutes les directions — nord, sud, est, ouest — et cela, à plusieurs reprises. Il est également revenu sur les types de drogues en circulation et leurs prix sur le marché local.

Sur le plan juridique, il a salué la qualité des textes en vigueur, mais a regretté qu’ils ne soient pas appliqués pleinement. Il a notamment déploré que la commission nationale prévue par la loi pour coordonner la lutte antidrogue n’ait jamais vu le jour.

Haiba a critiqué le discours officiel sur la « vigilance des autorités », souvent mis en avant pour justifier certaines saisies spectaculaires. Il a cité l’exemple marquant de l’avion de Nouadhibou en 2007, affirmant que ce sont les Américains qui avaient prévenu les autorités mauritaniennes quelques heures avant son atterrissage. Malgré l’ampleur de l’affaire, les moyens mis en œuvre étaient très en deçà des enjeux.

Il a poursuivi en rappelant d’autres cas : une affaire de 2012-2016 révélée grâce aux services marocains, et celle qui fait l’actualité aujourd’hui, révélée cette fois par les services algériens. Pour lui, ces faits montrent que les grandes découvertes ne sont pas dues à la vigilance nationale, mais à des alertes étrangères. La seule exception citée est l’affaire dite de Mini Ould Soudani, découverte par pur hasard.

Sur la gestion des dossiers par les autorités, Haiba a été cinglant. Il a évoqué l’affaire AM, dans les années 1990, qui impliquait plusieurs policiers — la plupart encore en fonction ou partis à la retraite sans avoir été inquiétés. Concernant l’avion de Nouadhibou, il a posé une question troublante : existe-t-il un autre pays où un avion transportant une telle quantité de drogue peut atterrir dans la capitale économique sans qu’aucun procès n’ait lieu, même des années plus tard ?

Il a aussi pointé l’absence de suites contre le principal auteur de cette affaire, jugé et condamné au Maroc, mais rentré en Mauritanie sans poursuite. Pire encore, il aurait été impliqué dans une nouvelle affaire, cette fois jugé et condamné à 15 ans de prison… avant d’être gracié peu de temps après.

Revenant à Mini Ould Soudani, il a rappelé qu’après une première condamnation à 15 ans de prison, il a été acquitté en appel. « Comment peut-on passer de 15 ans à une totale innocence ? », s’est-il interrogé.

Enfin, Haiba a raconté une anecdote remontant à 2016. Un confrère l’avait sollicité pour rencontrer une personne soupçonnée de trafic de drogue. Sur place, alors que l’intéressé s’apprêtait à faire une déclaration devant son avocat, sa fille est intervenue pour l’en dissuader : « Le dossier sera réglé », aurait-elle dit. En enquêtant, Haiba a découvert que la substance saisie, annoncée comme de l’héroïne, s’est révélée être… du plâtre, selon des analyses envoyées à l’étranger. Et pourtant, après sa libération, cet homme a été arrêté de nouveau à bord d’un bateau pour un cinquième transport de drogue vers le Mali. Cette route passait par la fameuse « route de l’Espoir », traversant de nombreux checkpoints, sans être interceptée. « Où est la vigilance ? », a-t-il lancé.

Shemsmaarif





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