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Mauritanie : L’euphorie du gaz offshore face aux défis mondiaux
Le Rénovateur Quotidien - La Mauritanie franchit un cap historique. Avec l’exportation de sa toute première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) issue du champ Grand Tortue Ahmeyim (GTA), un projet offshore partagé avec le Sénégal, le pays voit se concrétiser un rêve longtemps nourri : devenir une nation exportatrice d’énergie.
Après des décennies marquées par l’exportation de minerai de fer et un bref épisode pétrolier, cette nouvelle phase ouvre des perspectives inédites de développement économique. Mais derrière l’enthousiasme se profilent aussi des défis de taille.
Un positionnement stratégique sur l’échiquier énergétique
Le champ GTA, opéré par le géant britannique BP en partenariat avec Kosmos Energy, la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH) et la société sénégalaise PETROSEN, est l’un des projets gaziers les plus prometteurs d’Afrique de l’Ouest.
Avec une capacité initiale de 2,5 millions de tonnes de GNL par an, le projet pourrait atteindre 10 millions de tonnes à pleine puissance. L’Europe, en quête d’alternatives au gaz russe depuis la guerre en Ukraine, se positionne comme un marché clé, renforçant la valeur géopolitique du gaz mauritanien.
Des retombées économiques majeures
Les projections laissent entrevoir une augmentation significative des recettes publiques, avec plusieurs centaines de millions de dollars attendus chaque année une fois les coûts amortis. En parallèle, la création d’emplois directs et indirects dans les secteurs liés à l’énergie, à la logistique et aux infrastructures devrait favoriser une transformation de l’économie nationale. Ports, routes, énergie : les chantiers structurants pourraient permettre une véritable modernisation du pays.
Une gouvernance à renforcer
Pour autant, transformer cette manne gazière en levier de développement durable nécessitera une gouvernance irréprochable. La tentation de la « malédiction des ressources », qui a frappé de nombreux pays riches en hydrocarbures, plane sur la Mauritanie. Transparence, reddition des comptes et gestion rigoureuse des revenus seront indispensables pour éviter les dérives. La relation avec les opérateurs devra également évoluer vers davantage de contenu local et de transfert de compétences.
Un projet transfrontalier à gérer avec diplomatie
Le GTA étant un champ transfrontalier, la coopération entre la Mauritanie et le Sénégal est cruciale. Si les accords bilatéraux ont jusqu’ici permis d’avancer de manière coordonnée, des tensions pourraient naître sur les modalités de partage des bénéfices ou les quotas de production. Le succès du projet pourrait cependant servir de modèle régional de co-développement énergétique.
Des enjeux environnementaux non négligeables
Les ONG et les communautés locales alertent sur les risques environnementaux du projet. Situé à proximité du parc national du Banc d’Arguin, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le champ gazier pourrait perturber des écosystèmes marins d’une grande richesse. La prévention des fuites de méthane, gaz à effet de serre particulièrement nocif, est aussi un enjeu crucial — d’autant plus après l’incident survenu en janvier 2024, qui a rappelé la vulnérabilité des installations offshore. Une surveillance indépendante et rigoureuse des activités est nécessaire pour garantir un développement responsable.
Un potentiel à long terme
Avec des réserves estimées à environ 15 trillions de pieds cubes (TCF) de gaz, le gisement GTA pourrait être exploité pendant plus de 20 ans. La première phase de production est déjà en cours, mais les phases suivantes devraient accroître considérablement la capacité d’exportation. Cela permettra à la Mauritanie de consolider sa place parmi les fournisseurs émergents de gaz à l’échelle mondiale.
L’entrée de la Mauritanie dans le club des pays exportateurs de GNL constitue une étape majeure. Elle porte l’espoir d’un développement économique accéléré, d’une amélioration des conditions de vie, mais aussi d’un repositionnement stratégique sur le plan international. Toutefois, la réussite de cette aventure énergétique dépendra de la capacité du pays à gérer ses ressources avec intelligence, équité et prévoyance, en tenant compte des enjeux sociaux, diplomatiques et environnementaux. Le gaz est un levier ; à la Mauritanie de décider s’il sera source de progrès ou de tensions.