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De l’espoir à l’épreuve : paroles de migrants ouest-africains bloqués à Rosso
ONU INFO - Rosso, ville frontière sénégalaise à 450 kilomètres au nord de Dakar, se dresse sur la rive sud du fleuve Sénégal. Le jour, un bac-pont transporte voitures, camions et piétons entre les deux rives. Après le couvre-feu, on traverse l’eau sombre à bord de frêles canots de bois – les fameuses pirogues.
« Ils nous ont poussés dans une pirogue à minuit en criant : “Tu paieras de l’autre côté” », se souvient Abdou*, 34 ans, embarqué de force depuis la rive mauritanienne. Il déboutonne sa manche : de minces traces témoignent des menottes. « Nous, on est passés ; ma valise, non. »
Abdou compte aujourd’hui, parmi les 72 personnes tassées sous des bâches derrière le poste de la Croix-Rouge de Rosso, un abri prévu pour 40. Selon la police locale, depuis une directive de février 2025 émanant de la Direction générale mauritanienne de la sûreté nationale, le poste enregistre parfois jusqu’à 350 arrivées par jour.
Pourquoi sont-ils partis ?
Abdou – un devoir envers sa sœur veuve
« Ma grande sœur a perdu son mari. Elle n’avait plus rien pour ses quatre enfants. Je suis venu l’aider. » Parti de Guinée vers Nouakchott, Abdou ouvre un salon de coiffure et envoie de l’argent au pays… jusqu’aux rafles massives.
Moussa* – le pari de trois bœufs
« Vendre mes trois bœufs m’a donné 13 millions de francs CFA (environ 22 500 dollars américains). Rester au village, c’était continuer à avoir faim », raconte Moussa, 40 ans. Des amis lui assurent que la Mauritanie est un tremplin moins cher vers l’Espagne. « Il fallait partir ».
Oumar* – un professeur étranglé par les dettes
À 27 ans, Oumar enseigne le français et l’anglais dans des lycées privés et des instituts de langues à Nouakchott. Pour arrondir ses fins de mois, il sous-loue des appartements. Une locataire disparaît avec six mois de loyer : « Du jour au lendemain, c’est moi qui devais tout. La mer semblait la seule issue. » Autrement dit, l’idée d’un bateau irrégulier vers l’Europe devient son unique échappatoire face aux factures et à la police.
Arrestation, détention, expulsion
Abdou passe une semaine en cellule : « La bouteille d’eau coûtait 100 ouguiyas (environ 2,50 dollars américains). À 40, on la partageait comme un médicament. »
Moussa est saisi à quatre heures du matin : « Cinq coups de câble et on me demande 50 000 ouguiyas (environ 1 260 dollars américains) pour sortir. J’ai dit : “Expulsez-moi plutôt que de me saigner.” »
Oumar est arrêté avec le passeur à qui il a payé une place vers les Canaries : « Il a pleuré toute la nuit dans la cellule voisine. » Il restera sept jours derrière les barreaux.
Les trois sont ensuite entassés dans un car vers le sud, à 200 kilomètres. On leur ordonne de rejoindre le fleuve à pied.
La traversée forcée
Témoignages concordants de plusieurs migrants rapportent que sur la rive mauritanienne, chaque expulsé doit payer entre 7 000 et 15 000 francs CFA (entre 12 et 26 dollars américains) pour monter dans un canot clandestin. Ceux qui n’ont pas la somme attendent des heures sur le sable, jusqu’à ce qu’une autre pirogue accepte de les prendre.
Côté sénégalais, la police appose un cachet provisoire de sortie – Abdou garde la page dans un sachet – puis dirige les nouveaux venus vers le commissariat.
Vivre en suspens
Matelas de fortune : cartons ou nattes fines.
« Nous logeons 72 personnes avec un robinet et trois latrines, » soupire l’administrateur du centre, Cheikh Talibouya Ndiaye, vice-président de la Croix-Rouge sénégalaise et conseiller municipal.
« Les normes internationales prévoient 72 heures dans un centre. Certains sont ici depuis presque deux mois. Notre riz s’épuise. »
Abdou reste fiévreux trois jours sur le béton avant que des volontaires ne lui trouvent des antibiotiques. Moussa décharge les sacs de riz dès qu’un don arrive. Oumar montre son blazer : « C’est mon seul manteau. Je le lave, il sèche sur moi et la poussière gagne. »
Une visite mi-mai
Les 15 et 16 mai 2025, une mission conjointe de cinq entités du système des Nations Unies – le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) – réunies au sein du réseau national des Nations Unies sur les migrations ont accompagné la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) du Sénégal à Rosso.
La délégation parcourt la cour surpeuplée, échange à voix basse avec les migrants et confirme que de nombreux résidents de longue date en Mauritanie ont été expulsés en une nuit, sans aucun document.
« Chaque dossier est une vie. Notre rôle est d’offrir à cette vie un lit sûr, un repas et un retour digne, » explique Daouda Alkaly Sagna, chargé de protection à l’OIM au Sénégal.
L’OIM déplace déjà des fonds pour acheminer bus, tentes et matelas depuis Saint-Louis.
Ce que demandent les migrants
- Un retour volontaire et sécurisé, organisé par des organismes reconnus.
- Des soins médicaux de base – « même du paracétamol ».
- « De la dignité jusqu’au car. »
Le fleuve continue de couler, les bus arrivent encore, et les bénévoles de Rosso font bouillir le riz qu’il reste.
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* Les prénoms ont été changés afin de protéger l’identité des personnes interrogées.
Pour mieux comprendre la réponse locale et les défis rencontrés par les autorités à Rosso, lisez la deuxième partie de cette série.
Article rédigé par le Centre d’Information des Nations Unies à Dakar, à la suite de la mission inter-agences de mai 2025 à Rosso, avec la participation de Cheikh Khadim Seye du CINU.