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27-06-2025

19:45

Route des Canaries : pour éviter les contrôles, de nouveaux itinéraires encore plus dangereux

INFO MIGRANTS - La route migratoire vers les Canaries connait une nette mutation ces dernières semaines : pour éviter le renforcement des contrôles en Mauritanie et au Sénégal, les départs de pirogues clandestines se font désormais de plus en plus depuis la Guinée. Ce nouvel itinéraire emprunté par les migrants, en allongeant la durée de la traversée, rend le trajet encore plus dangereux.

La route migratoire vers les Canaries connait une nette reconfiguration ces dernières semaines. Alors qu'habituellement les pirogues de migrants tentaient de rejoindre clandestinement les îles Canaries depuis le Sénégal, la Mauritanie ou encore le Maroc, désormais, les départs se sont déplacés.

Les embarcations de fortune se font de plus en plus depuis le Sud, en Guinée, a déclaré ce jeudi le délégué du gouvernement aux Canaries, Anselmo Pestana. Ce dernier insiste aussi sur le changement de route de certains migrants qui optent pour l'Algérie, dans le but d'atteindre l'Espagne via les Baléares.

D'après le délégué, ces changements d'itinéraire opérés par les passeurs est du au renforcement des contrôles menés au Sénégal et en Mauritanie depuis le début de l'année.

Cette nouvelle route guinéenne vers les Canaries s'avère cependant particulièrement dangereuse, puisqu'en allongeant la traversée, elle augmente également les risques de naufrages et de dérive des embarcations. Anselmo Pestana a ainsi mis en garde contre ce changement et exprimé son inquiétude face aux risques accrus pour les migrants.

Sur la seule année 2024, l'ONG espagnole Caminando Fronteras a établi un bilan de 10 457 personnes mortes ou disparues en mer. Le bilan de ces "naufrages invisibles" est largement sous-estimé puisqu'un grand nombre d'embarcations disparaissent en mer sans que l'on ne retrouve jamais leur trace.

Au cours de l'année 2024, 46 843 exilés, principalement en provenance d'Afrique de l'Ouest, ont atteint les îles Canaries. Du jamais vu pour l'archipel espagnol, qui fait face depuis plusieurs mois à une saturation de plus en plus importante de son système d'accueil.

Des itinéraires plus lointains pour échapper aux contrôles

D'après l'Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, Frontex, une baisse de 41% des arrivées de migrants irréguliers sur les îles Canaries a été enregistrée depuis le début de l'année. En novembre 2024, 7 338 arrivées ont été comptabilisées contre 445 en mai 2025. Le délégué du gouvernement aux Canaries, a souligné que le nombre d'arrivées est passé d'environ 19 100 personnes au premier semestre 2024 à 11 300 personnes pour la même période en 2025.

Cette diminution notable est le résultat du renforcement des contrôles policiers au Sénégal et en Mauritanie, ainsi que des accords de coopération bilatérale récents entre les autorités de ces pays et celles espagnoles pour endiguer les flux migratoires. Ces derniers mois, avec l'appui de la Garde civile et de la police nationale espagnoles, des opérations de démantèlement de réseaux de traite d'êtres humains se sont multipliées dans ces pays d'Afrique de l'Ouest. En avril 2024, la gendarmerie mauritanienne a notamment démantelé un vaste réseau, arrêtant 117 personnes et saisissant d'importantes quantités de matériel.

Cependant, ces résultats sont trompeurs. Malgré les mois avec une plus faible activité, Frontex souligne que "la pression sur les îles Canaries reste élevée, supérieure à la moyenne des années précédentes, en raison de l'instabilité persistante au Sahel et du développement des réseaux de passeurs en Mauritanie". La tendance à la baisse ne devrait donc pas se maintenir, souligne l'agence. D'autant que comme chaque année, l'amélioration des conditions météorologiques durant l'été, laisse présager une hausse des arrivées aux Canaries, particulièrement entre août et novembre.

Et contrairement aux idées reçues, les chiffres officiels ne traduisent pas un ralentissement de la migration par la route atlantique mais plutôt une reconfiguration des voies migratoires vers l'Europe.

Car pour éviter les contrôles, les réseaux mafieux de passeurs ont adapté leur stratégie en déviant les routes : les nouveaux épicentres des départs d'embarcations précaires et surchargées sont désormais localisés en Guinée, un pays moins surveillé.

La Guinée-Bissau est également un lieu de départ de plus en plus privilégié. Ses 200 km de côtes, difficiles à surveiller, en font un point de départ important, principalement via l'archipel des Bijagos (88 îles) distant de plus de1 800 km des Canaries.

Une dangerosité des traversées exacerbée

Cette nouvelle voie migratoire, du fait de son éloignement des Canaries, s'avère être beaucoup plus meurtrière.

"Le risque est bien plus élevé pour la vie des personnes qui tentent de se rapprocher des Canaries, car elles essaient de s'éloigner de la côte" pour échappe aux contrôles a alerté le délégué du gouvernement aux Canaries. Il a précisé que ces traversées peuvent durer jusqu'à dix jours, ce qui multiplie les probabilités de naufrage des embarcations ainsi que les dérives en pleine mer. En partant de Guinée, les migrants se lancent dans une traversée de plus de 2 200 km jusqu'à El Hierro (Canaries), soit 750 km de plus qu'en partant depuis le Sénégal ou bien de Gambie. Les dangers en pleine mer sont donc considérablement accentués (vagues, pénuries d'eau et de nourriture, risque de panne, d'insolation).

Les ONG alertent régulièrement sur les "bateaux fantômes", des embarcations qui errent en mer, dont les passagers ont parfois pu rentrer en contact avec les ONG mais dont le contact a été perdu. Les embarcations sont donc livrées à elles-mêmes, en pleine mer, à la merci des intempéries.

"Il existe également un risque qu'elles se perdent dans l'océan Atlantique et aillent vers les Caraïbes ou le Brésil " a-t-il précisé. Plusieurs pirogues parties des côtes ouest-africaines ont par le passé déjà été retrouvées en Amérique du Sud ou centrale.

La tragédie survenue fin mai à La Restinga (îles Canaries), où un bateau parti de Guinée-Conakry a chaviré à quelques mètres du quai après plus de dix jours en mer, tuant quatre femmes et trois jeunes filles, illustre dramatiquement les conséquences de cet allongement des itinéraires.

En ce qui concerne la route algérienne, le trajet n'est pas plus sûr. Des embarcations contenant des cadavres de migrants subsahariens ligotés ont récemment été découvertes aux Baléares, signe que les itinéraires migratoires sont en constantes évolution. Une enquête est en cours.

Par Clémence Cluzel





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