16-07-2010 16:01 - Dans le désert de Mauritanie, le roi est un conteur.

Dans le désert de Mauritanie, le roi est un conteur.

Si vous marchez un jour dans le désert de Mauritanie et que vous entendez au loin un rire sonore, surtout ne soyez pas surpris : vous vous apprêtez à croiser la route de Yahya.

Vous apercevrez d’abord sa haute stature drapée d’un majestueux boubou dont l’ampleur lui fait pousser des ailes à chaque mouvement de bras. Puis vous verrez, surplombant son visage, un turban savamment entortillé qui lui donne un air docte et vous demanderez s’il n’y a pas dissimulé quelque formule secrète pour mieux vous envouter.

Vous apercevrez certainement le sourire qui lui tient lieu de signature : simple et franc comme une poignée de main, naturel comme de l’eau fraiche, il vous aura percuté bien avant que vous ne franchissiez la distance qui vous sépare de l’homme.

Et alors, alors seulement, vous croiserez son regard, pétillant comme l’intelligence et la drôlerie qui le caractérisent. Quelques enjambées de plus et vous ne pourrez plus vous tromper : vous venez de faire la connaissance de Yahya Ould Rajel.

Si Yahya connaît aussi bien le désert, c’est qu’il l’a arpenté pendant de nombreuses années en tant que guide officiel de la Somasert, accompagnant des touristes désireux de partager la force authentique des étendues sans limites, la bénédiction d’un puits après une journée de marche et la magie des nuits passées à la belle étoile.

Loin des téléphones portables et de la fureur des villes, il a rapporté de ses escapades dans les dunes une certaine fascination pour la sagesse qu’impose la vie nomade. Il sait la nuit parfaite du ciel immense qui déploie son encre fabuleuse constellée d’étoiles. Il sait le silence de la nuit et le respect qu’on lui doit. Il connaît la mesure du temps qui passe à un rythme bien éloigné du tempo frénétique de nos vies occidentales. Dans ce contexte féerique, il était tout naturel que Yahya devienne conteur.

L’aventure du conte l’a happé comme on attrape une maladie, jusqu’à devenir une facette indissociable de sa personnalité. Écoutez-le une fois et vous comprendrez. L’art du conte est un don, pas seulement celui de raconter une histoire, mais celui de vous la faire vivre comme si vous y preniez part, une manière de vous faire vibrer et de propulser votre imagination vers d’autres cieux.

En Mauritanie, l’art du conteur prend tout son sens car ce pays est marqué par une grande tradition orale de transmission du savoir. La culture éminemment nomade de la Mauritanie foisonne d’histoires, de poèmes, d’anecdotes ou de contes qui tous témoignent avec sagesse, finesse, et très souvent avec humour, des valeurs profondes de tout un peuple.

Elles sont généralement porteuses d’une morale universelle qui touche tous les cœurs : tel le roi lion prétentieux qui est puni de n’avoir pas su entendre la voix de ses ouailles, telles les aventures de Joha dont la légendaire naïveté nous tire des larmes de rire, telle l’histoire irrésistible des deux sourds qui n’arrivent à s’entendre… que sur un malentendu.

Parce qu’il fallait protéger cette encyclopédie vivante, il est arrivé ce qui devait arriver : Yahya a créé il y a quelques années l’Association des Conteurs du Désert, et la préside encore à ce jour avec beaucoup de dynamisme. Les Alliances Franco Mauritaniennes et les centres culturels ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui lui réservent systématiquement une place de choix lors des manifestations importantes qu’ils organisent.

Yahya Ould Rajel fut l’un des tous premiers guides touristiques de Mauritanie à exercer son métier de façon professionnelle sous l’égide d’un organisme d’état. Cet originaire de Boutilimit exerce toujours sa profession d’accompagnateur car il n’aime rien tant que transmettre sa passion pour son pays aux gens de passage.

Plus récemment, c’est en tant que guide historique de la Somasert qu’il contribue également à former la génération de ceux qui prendront un jour la relève. Ayant à cœur de transmettre son expérience des circuits aux plus jeunes, il les initie également au conte, perpétuant ainsi une tradition de tourisme culturel auprès des futurs guides.

Nul ne s’étonnera ensuite que Yahya soit devenu le roi du désert. Un roi modeste, il va sans dire, tant il est plein d’humilité, mais il règne désormais sur tant de cœurs qu’il peut s’enorgueillir de ce titre sans rougir. Le secret de cette reconnaissance est toute simple : de Chinguetti à Nouakchott, des dunes de l’Adrar aux plages du banc d’Arguin, seul ou accompagné, Yahya est un voyageur dans l’âme.

Il se déplace dans le monde toutes les fois que l’occasion lui en est donnée pour aller à la rencontre des autres et s’enrichir à son tour de ces échanges réciproques. Et lorsqu’il voyage, il n’oublie jamais de faire voyager toute la culture mauritanienne avec lui, se faisant l’ambassadeur émérite de son pays. Il est souvent invité en France où il vient régulièrement animer des soirées de contes dans les écoles, les MJC, les associations de marcheurs, ou mêmes chez des amis : tout un auditoire pendu à ses lèvres, se délectant par avance de la pertinence de ses saillies ou de ses mimiques.

Yahya n’a pas son pareil pour vous plonger dans les sables mouvants d’une histoire captivante. Il suffit de suivre les inflexions de sa voix, qui passe avec virtuosité du français au hassanya, sa langue d’origine, teintant les paroles d’une musique particulière. Tour à tour profonde, grave et mystérieuse, sa voix s’envole pour mieux libérer votre imagination, puis la rattrape au passage avec une flèche dont la pointe humoristique a été trempée dans le sirop de l’intelligence.

Guide averti, conteur, ambassadeur de la culture mauritanienne, ami, il est de ces hommes que l’on souhaite rencontrer un jour. Et s’il fallait donner un dernier conseil, ce serait de faire le voyage jusqu’en Mauritanie pour goûter au moins une fois au plaisir de marcher à ses côtés dans le désert. Vous croiserez sans doute des nomades, vous vous laisserez bercer par le chant des griots, et lorsque, perdu dans la magie de la nuit mauritanienne, vous partagerez l’émerveillement d’un conte en contemplant la lumière irréelle d’un feu de bivouac, votre souvenir aura le parfum du thé à la menthe.

mauritanieweb

Source : Baye Sy
Commentaires : 1
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Commentaires (1)

  • Ko min (H) 08/01/2011 17:22 X

    j'ai l'impression ke la mauritanie les contes des autres communautés n'existent pas ?