15-02-2012 08:46 - Secteur de la santé : des problèmes vus à la loupe.

Secteur de la santé : des problèmes vus à la loupe.

Le Président de la République a effectué ces derniers jours une visite inopinée dans certains services publics sanitaires de la capitale pour s’enquérir des conditions de travail du cadre médical dans le but d’améliorer les prestations des services sanitaires; la santé étant l’un des axes prioritaires du programme électoral de son Excellence comme d’ailleurs l’eau, l’électricité, les infrastructures, l’aménagement du territoire, surtout le fameux problème de la Gazra (quartiers précaires), etc.

A l’occasion de cette visite, il semble que les problèmes de la santé ont été examinés à la loupe pour constater que la qualité du service rendu aux populations est loin d’être proportionnelle à l’effort fourni par l’Etat dans les infrastructures, les équipements, l’encadrement et en matière de budget de fonctionnement.

L’approfondissement du diagnostic et la recherche de solutions, ont été confiés, sur instruction du Président de la République, à une commission technique qui devra rendre son rapport dans les meilleurs délais.

Le souhait de tous est de voir se secteur répondre aux attentes d’une population déjà fragilisée particulièrement par une faible culture sanitaire, une alimentation insuffisante et peu équilibrée, manque d’eau potable, une zone tropicale caractérisée par une gamme de maladies qui font encore des ravages pendant certaines saisons de l’année. Dans cet article, sont rappelées des explications souvent données à certains problèmes par des citoyens généralement non neutres, peu avertis sur la réalité de ce secteur de la santé et bien évidemment non spécialistes.

D’abord la conscience professionnelle du corps médical soignant est souvent mise en cause. Le comportement quotidien des médecins laisse à désirer car la disponibilité, la miséricorde et la confiance manquent dans leurs rapports avec les malades. En somme, il n’est jamais fait distinction entre, ni les cas urgents, ni les situations particulières de certains clients en ce qui concerne leur âge, leur état de maladie et leurs conditions matérielles.

L’impunité semble entretenir cette mauvaise conscience constatée par plusieurs clients de la santé et être, en conséquence, à l’origine des multiples formes de négligences ou défaillances dans l’exercice du métier et d’insuffisances du système de suivi : plusieurs accidents liés aux faux diagnostics et à l’administration de médicaments inappropriés, difficultés de trouver un rendez-vous pour consultations, nécessité d’intervention pour la programmation des opérations chirurgicales et pour les évacuations à l’étranger, etc.

En s’orientant vers le privé sur invitation directe ou indirecte de leurs médecins traitants rencontrés dans les services publics, les malades rentrent dans des cycles interminables de rendez-vous et effectuent des séries infinies d’analyses et radios et ce pour en extraire le maximum d’argent.

D’autres sources évoquent le cumul, c'est-à-dire le fait que tous les médecins (ou presque) exerçant dans les services publics, possèdent leurs propres cliniques ou exercent dans d’autres après -et même pendant- l’horaire normal de la fonction publique. Les services publics représentent donc une source sûre de revenus et multiplient les chances pour les promotions, c'est-à-dire l’accès aux postes juteux et/ou de prestige.

Ils sont également des lieux privilégiés de recrutement des clients et d’apprentissage (cobayes) sans le moindre risque de poursuite de la part des victimes ou de leurs parents. Les références religieuses et le système social, empêchent beaucoup de réagir et font qu’ils se suffisent de dire chaque fois tristement « Inna Lillah We Inna Ileihi Raji-oun ».

On évoque aussi à ce sujet, le recours des médecins officiels (détenteurs de fiches budgétaires) aux services de leurs collègues en quête encore de travail pour les remplacer à la garde (permanence), aux urgences et pendant les jours fériés. Il s’agit généralement de jeunes, sans expériences, peu motivés et ayant parfois des difficultés de langue pour prescrire des ordonnances ou faire un bon rapport exploitable à l’endroit de leurs chefs directs et de l’Administration de l’institution.

La concentration de l’essentiel des infrastructures et des spécialistes expérimentés à Nouakchott et à Nouadhibou, est à l’origine du débordement dans les services publics et incitent à la création de cabinets privés vers lesquels les patients s’orientent souvent malgré ce qu’on reproche à ces cabinets. Le va-et-vient entre les services publics et ceux privés fait que le dossier du parient n’est jamais complet quelque part ; il manque toujours une partie –et parfois déterminante- des informations sur l’historique du malade.

La course à l’enrichissement est, pour beaucoup de citoyens, la principale explication à toutes les reproches faites aux personnels qui exercent dans le privé, y compris ceux qui font le cumul. Il s’agit d’une course contre la montre pour amasser le maximum d’argent avant que l’Etat réorganise davantage le corps et les métiers connexes et avant aussi que la responsabilité des dégâts causés (mort, infirmité, etc.) se fassent attribuer à leurs auteurs directs et indirects parmi l’encadrement médical. Le nombre de personnes consultées par jour dans le privé et le peu de charges liées à l’emploi permanent créé au niveau de chaque cabinet ou clinique, renforcent cette logique de course derrière les sous.

Rares sont ceux qui signalent l’impossibilité pour Nos médecins de poursuivre l’évolution des sciences et technologies médicales ou de consulter les documents déjà disponibles à l’égard de ce programme trop chargé et de la pression sociale qui s’exercent sur eux pendant le peu de temps qu’ils sont sensés passer à la maison.

Quant aux solutions, la priorité est à accorder à un cadre institutionnel et réglementaire adéquat, à des conditions matérielles incitatives et au respect d’un ensemble de critères et normes tels qu’un ratio entre les cadres supérieurs et les techniciens, la déontologie et l’éthique (bioéthique).

Sur le plan institutionnel et réglementaire, il s’impose de bien codifier l’exercice de la profession, notamment dans le privé en définissant clairement les conditions d’agrément et les sanctions applicables aux contrevenants : fautes hiérarchisées (graves et très grave), amendes dissuasives, retrait provisoire de l’agrément, interdiction définitive d’exercer, etc.

On peut également prévoir que les médecins commencent obligatoirement par travailler pour l’Etat un certain nombre d’années après quoi ils choisiront entre rester à la fonction publique ou exercer la profession libérale dans leurs domaines de spécialités. Il peut s’agir (i) d’interdire définitivement le cumul et d’exiger 10 ans de travail au bénéfice de l’Etat pour les généralistes et 7 ans pour les spécialistes.

Pour ceux qui réussiront à accéder à l’enseignement dans les facultés de médecine (et demain de pharmacie et de biologie), ils devront disposer d’infrastructures nécessaires pour mener des activités de recherche; les avantages et les promotions devant nécessairement être liés, entre autres, aux résultats de ces recherches.

L’agrément pour l’ouverture de cabinets, devra être par spécialité et satisfaire à un ensemble d’exigences telles que l’obligation d’emploi permanent pour un certain nombre de mauritaniens : cadre supérieurs (médecins), techniciens supérieurs sortis d’une école reconnue, gestionnaires, secrétaire, planton, gardien, etc.), des infrastructures adéquates et une comptabilité bien tenue. Il y a lieu de faire aussi la différence ente un cabinet médical et une clinique ou polyclinique lors de l’octroi des autorisations (capital exigé).

Dans une première phase, il pourra s’agir uniquement des grandes spécialités communément connues : Cardiologie et chirurgie cardiaque, Hépato-gastro-entérologie, Endocrinologie, Dermatologie-Vénérologie, Urologie, Gynécologie-Obstétrique, Rhumatologie, Orthopédie et Chirurgie orthopédique, Pneumologie, Oto-rhino-laryngologie (ORL), Stomatologie et chirurgie dentaire, Pédiatrie, Ophtalmologie, Neurologie et Neurochirurgie, Psychiatrie (adulte et infanto-juvénile), Anesthésie-réanimation, Radiodiagnostic et Imagerie médicale.

Le même agrément devra également être rendu davantage difficile pour les pharmacies et les laboratoires d’analyses : biologie, biochimie et microbiologie médicale et infectiologie, immunologie, etc. La possibilité de s’associer dans le cadre d’une structure qui pourra comprendre plus d’une spécialité, est à encourager tant pour les cliniques que pour les laboratoires.

Dans les établissements publics et privés, il faudra veiller au respect d’un certain ratio entre les cadres supérieurs (spécialistes et généralistes), les différentes catégories de techniciens et le personnel d’appui administratif (gestionnaires administratifs et financiers, plantons, gardiens, etc. Autrement dit, chaque catégorie d’établissements exige, pour son bon fonctionnement, un nombre minimum de personnels, toutes catégories confondues.

S’agissant des conditions matérielles, les salaires doivent tenir compte de ceux dans le privé et inclure des primes modulables pour ceux qui exercent à l’intérieur du pays et en fonction des rendements. Ceci servira l’objectif d’un développement harmonisé de nos Wilayas et de décongestion de Nouakchott, objectif dont la réalisation dépend de la généralisation d’infrastructures sanitaires appropriées et du déploiement de plus de spécialistes expérimentés à l’intérieur du pays.

Un Code déontologique adapté et des instances de bioéthique, aideront dans la vulgarisation, la sensibilisation et le plaidoyer pour un métier aussi noble ainsi que dans l’encadrement d’une jeune génération de chercheurs, appelée à confronter des situations mettant en jeu la conscience, la religion et les traditions.

L’Ordre des Médecins et les Fédérations et Associations des Médecins Spécialistes, devront garantir, avec les organes de l’Etat chargés du contrôle, le respect des procédures, pratiques, normes et dispositions réglementaires prévues dans le cadre de l’arsenal juridique et autres : Code de la Santé Publique, Code de la déontologie et la bioéthique. Un effort est à déployer pour rétablir une confiance collective qui a bien disparu.

Il n’est secret pour personne que la recherche médicale est vraiment à ses débuts dans notre pays au niveau de l’Institut National des Spécialités Médicales (INSM) et de l’Institut National de Recherche en Santé Publique (INRSP). Elle est cependant appelée à se développer davantage depuis le démarrage d’une faculté de médecine et d’institutions spécialisées comme le Centre d’Oncologie et celui de Cardiologie.

Le domaine médical est normalement le plus concerné par l’éthique (bioéthique), car des organes humains sont transplantés et des expériences sont faites sur des personnes et ce, sans consentement éclairé préalable et en l’absence de toute réglementation nationale relative particulièrement à la participation des personnes aux recherches en santé et à l’utilisation du matériel biologique d’origine humaine (pour plus d’information sur l’éthique, voir l’article publié en juillet 2006 dans Horizons sous le titre « Ethique en Mauritanie : réalité et perspectives »).

Par ailleurs, on ne peut parler de la santé sans évoquer les problèmes de la prolifération des pharmacies, des dépôts et de l’importation des médicaments. Là tout le monde est unanime sur l’absence du respect des critères d’octroi des autorisations et des cahiers de charges, d’un côté et de l’autre, sur la mauvaise qualité des médicaments distribués en Mauritanie : substance active absente ou en dose infime, de l’amidon (du blé ou soja), un colorant et un emballage imitant les prestigieux labos en matière de format de l’emballage, de sigles et de prescriptions.

De même, la question des statistiques est très importante pour ceux qui rêvent voir une projection des maladies recensées en Mauritanie sur une carte géographique permettant de comparer leur répartition spatio-temporelle. D’autre part, les bonnes solutions ne peuvent émaner que des spécialistes du corps et sur la base d’un diagnostic suffisamment détaillé, pertinent et réaliste. En d’autres termes, c’est en vous, membres de la Commission technique du Ministère de la Santé, que réside l’espoir de tous.

Enfin, à qui viendra le tour prochainement en ce qui concerne les visites sectorielles du Président de la République? Il y a bien des départements qui doivent être passés plutôt au microscope électronique.

Dr Sidi El Moctar Ahmed Taleb




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Commentaires (3)

  • habouss (H) 15/02/2012 14:48 X

    Pr Sidi Ely n'a rien à apprendre de nouveau dans cette structure qu'il a dirigée pendant 2 ans. Ce qu'il faut c'est de prendre le taureau par les cornes, en allant droit au but.

    Il faut des ETATS GENERAUX de la santé que tous ceux qui restent de crédibles dans ce secteur proclame depuis des décennies, c'est à dire depuis le début de la dérive qui a conduit au gouffre le Système de Santé Mauritanien.

    Il faut surtout éviter une Commission entre chargés de mission et autres conseillers du ministre de la santé qui sont là, justement, pour avoir démontré leur incompétence sur le terrain, sans jamais être loin de leurs officines ''boutiques'' et autres cliniques lieux de raquettes de tout genre !

  • habouss (H) 15/02/2012 12:55 X

    Mr Taleb, félicitations d’abord et j’invite le chargé de mission Santé de Mr le Président de la république à faire l’économie de toute autre étude de lieu ou de base de la situation, car votre prestation est suffisance.

    Je voudrai inviter mes collègues médecins ou en tout cas le personnel de santé, de voir enfin la réalité en face, et ne pas continuer à jouer à la suffisance dans la médiocrité, mais à se rendre compte que l’autorité politique est de bonne foi et l’a démontré, par la mise en place de mesures radicales et importantes à la hauteur des besoins de notre population démunie et meurtrie.

    Pour en arriver à ‘’importer’’ des médecins du personnel de santé de l’étranger, est une honte pour cette ressource humaine de notre pays, qui s’est laissée endormir sur des oripeaux du gain facile, aidée en cela par de commerçants et autres ‘’boutiquiers’’ véreux.

    Le seul bémol, Mr Taleb, je sais que vous le faites, mais il faut l’accentuer, c’est aussi mettre dans la mire tous les autres services régaliens de notre Etat, comme on le fait pour le secteur de la santé, pour que nous sortions de cette médiocrité qui ne sied pas à un peuple courageux comme le peuple mauritanien qui défie presque seul l’adversité du Sahara depuis des lustres.

  • Mohamed Ould Ismail (H) 15/02/2012 09:50 X

    Bonjour, je remercié l'auteur de cet article pour le diagnostique et les anlyses qu'il fasse du secteur de la santé et les solutions qu'il propose pour redresser la situation.

    La santé en Mauritanie est devenue une source d'enrichissement rapide pour amasser des fortunes au détriment des pauvres citoyens.

    Je rappelle à notre corps médical que la médecine est une spécialité humaine et sociale et que pour s'enrichir, il faut faire des activitées commerciales lucratives au marché.