21-08-2012 12:00 - Biram: Le Président de la République ne peut à ce stade accorder une grâce présidentielle
Le 28 avril 2012 dernier, Mr. Biram Ould Abeid a été arrêté le 28 avril 2012 pour avoir procédé à l'incinération d'ouvrages religieux du rite malékite. Depuis cette date, beaucoup de lettres, prononcées ou écrites, ont coulé sous le pont de cette affaire.
La dernière c'est la rumeur, tous azimuts des sites web mauritaniens, selon laquelle le Président Aziz aurait décidé d'accorder une grâce présidentielle à Mr. Biram à l'occasion de L'Aid EL Fitr 2012.
Avant de parler du bien fondé de cette rumeur, revenons un peu en arrière.
Pour rappel, la Justice mauritanienne a inculpé Biram de "violation des valeurs islamiques du peuple mauritanien". Le 27 juin 2012, le juge chargé d'entendre les requêtes préliminaires dans ce dossier, a ordonné la requalification de l'acte d'accusation et par conséquent, s'est déclaré incompétent.
Mr. Biram a considéré que la décision de la Cour est "une victoire de la justice mauritanienne".
Il faut dire qu'aux regards des dispositions de la Constitution et du Code Pénal de la Mauritanie, les reproches à l'égard de Mr. Biram ne manqueraient pas. En effet, selon le préambule de la Constitution le peuple mauritanien "Confiant dans la Toute Puissance d'Allah (...)
Fort de ses valeurs spirituelles et du rayonnement de sa civilisation, il proclame en outre, solennellement, son attachement à l'Islam (...)" et comme ce n'est pas assez, l'article 5 de cette même Constitution ajoute " l'islam est la religion du Peuple et de l'État".
Cette valeur constitutionnelle est dûment matérialisée dans l'ordonnance No 83-162 du 9 juillet 1983. Sous la Section IV intitulée "Attentats aux mœurs de l'Islam: Hérésie, apostasie, athéisme, relus de prier, adultère", le Code Pénal prévoit les sanctions suivantes:
"Art. 306. - Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant la Ghissass ou la Diya, sera punie d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 5.000 à 60.000 UM.
Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours.
S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article.
Toute personne coupable du crime d'apostasie (Zendagha) sera, à moins qu'elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort.
Sera punie d'une peine d'emprisonnement d'un mois à deux ans, toute personne qui sera coupable du crime d'attentat à la pudeur.
Tout musulman majeur qui refuse de prier tout en reconnaissant l'obligation de la prière sera invité à s'en acquitter jusqu'à la limite du temps prescrit pour l'accomplissement de la prière obligatoire concernée. S'il persiste dans son refus jusqu'à la fin de ce délai, il sera puni de la peine de mort.
S'il ne reconnaît pas l'obligation de la prière, il sera puni de la peine pour apostasie et ses biens confisqués au profit du Trésor public. Il ne bénéficiera pas de l'office consacré par le rite musulman."
L'économie juridique, de ces dispositions constitutionnelles et pénales sévères, est que l'Islam est une valeur fondamentale en Mauritanie et les sujets de droit mauritanien sont obligés de l'exprimer dans leurs mœurs et dans leurs comportements.
En Incinérant des d'ouvrages religieux contenants des écrits sacrés est, le moins qu'on puisse dire, une atteinte manifeste aux mœurs islamiques au sens de l'article 306 du Code Pénal de la Mauritanie. Car, on ne touche pas publiquement à la religion, dans une République Islamique, à forte raison, brûler publiquement et sciemment des écritures sacrées au nom de l'action politique.
Mr. Biram est donc dans l'attente d'un nouveau procès. Dans ce cas, il ne peut bénéficier de quelque grâce présidentielle que ça soit. Certes, aux termes de l'article 37 de la Constitution, "le Président de la République dispose du droit de grâce et du droit de remise ou de commutation de peine". Mais, ce pouvoir, le Président ne peut l'exercer qu'après le prononcé d'une condamnation formelle et définitive d'un Tribunal compétent.
Tant que la condamnation n'est pas prononcée contre un accusé, celui-ci est présumé innocent. Or, comment gracier un sujet présumé innocent? De plus, le processus judiciaire précédent la condamnation finale, relève exclusivement du pouvoir judiciaire et celui-ci a décidé de porter des accusations contre Mr Biram. Dans ce cas, le Président ne peut intervenir, sans empiéter sur les prérogatives de ce même pouvoir judiciaire, et ainsi violer le principe de la sacrosainte séparation des pouvoirs.
Oui, Mr Biram s'est excusé (dans un communiqué) pour avoir porté atteinte à l'amour propre des musulmans et aux préceptes sacrés de l'islam. Mais ces excuses n'ont de valeurs que si elles sont exprimées personnellement et directement devant le tribunal compétent. Celui-ci peut, à sa discrétion, les prendre en considération à titre de remords, uniquement lors de l'imposition de la peine, pas avant.
Il faut signaler par ailleurs que Mr Biram n'est pas à sa première fois avec la Justice Mauritanienne. Il fut condamné le 6 janvier 2011 à un an de prison, dont 6 mois fermes et 500.000 ouguiyas d'amende, pour "coups et blessures" contre la police, "attroupement illicite" et "appartenance à une organisation non-autorisée". Le 15 février 2011, à l’occasion de l’Aïd el-Maouloud, le Président Aziz lui a accordé une grâce présidentielle.
À la lumière de tous ces éléments, et bien sûr de la récidive de Mr Biram, il serait étonnant que celui-ci puisse bénéficier d'une quelconque grâce présidentielle.
Me Takioullah Eidda, avocat & procureur
Québec, Canada