25-07-2013 11:45 - 'A l’heure de la rupture' à PK8 dans la famille de Biye Ahmed Youra qui tire vraiment le diable par la queue [PhotoReportage]
Pitié, courroux intérieur, désillusion, émotion, âme poignardée : voilà en substance ce que mon passage chez Biye Ahmed Youra "à l’heure de la rupture" suscite en moi. Jusque là , je n’avais pas encore réalisé l’état d’extrême pauvreté dans laquelle vivaient de nombreuses familles mauritaniennes qui ne profitent nullement des richesses du pays et de l’aide au développement.
Voilà une heure que je suis déjà là , à regarder cette chèvre attachée à un pilier. De temps en temps, elle lance des bêlements. Sous un abri de fortune qui sert de cuisine à la famille, Zeinebou épluche des oignons gros comme le nez au milieu de la figure. A côté d’elle, sa petite sœur lave la marmite. Les mouches s’invitent partout. L’ambiance est très calme.
De l’autre côté de la porte, on aperçoit une femme de petite taille qui s’avance vers les deux jeunes filles. Il s’agit de Biye Ahmed Youra, 53 ans, la chef de famille. Mère de neuf enfants dont sept filles, Biye Ahmed Youra tire vraiment le diable par la queue.
Aujourd’hui, son petit commerce (elle vend des mangues) ne lui a rien apporté. C’est avec ses économies d’hier qu’elle a pu s’acheter deux sardinelles, deux oignons, du bouillon, deux baguettes de pain de 60 UM.
Comme tous les soirs, depuis le début du ramadan, la famille composée de 13 personnes va se contenter d’un pâté de sardinelle, du thé, de jus rafraichissant. Si, parfois son mari, Darba, gagne un peu d’argent, la famille peut s’offrir exceptionnellement un plat de riz à la viande. Biye Ahmed Youra nous explique que son mari part chaque jour en ville pour trouver de petits boulots. "Il lui arrive souvent de rentrer bredouille", dit-elle. Comme ce soir, son mari est revenu de la maison sans un petit rond.
Cette famille occupe une maison qui leur a été temporairement prêtée. Demain, elle pourrait se retrouver dans la rue. Cette famille ne connait pas les repas copieux ou somptueux. Cette famille ne connait pas l’électricité ni l’eau courante. Cette famille déjà l’ombre d’elle-même n’a plus souvenirs de ces jours ou nuits où elle mangeait à sa faim. Ce n’est pas non plus pour demain que cette famille survivra à la pauvreté. Et lorsque je lui parle de Mohamed Ould Abdel Aziz, en lui rappelant que c’était lui le "président des pauvres", Biye Ahmed Youra hausse les épaules.
Mon passage chez elle s’arrêtait là , avec la conviction que la pauvreté était bien enracinée comme une pieuvre dans cette famille et offrait un tableau très glaçant que l’on ne peut regarder sans être secoué par de fortes vibrations de malaise.
Babacar Baye Ndiaye