02-10-2013 16:02 - Séjour carcéral de migrants en Mauritanie: Précarité, blocage et promiscuité
Usage de stupéfiants et fausses monnaies sont les infractions les répandues parmi les migrants. Les faux billets de banque sont l’apanage des Nigérians et Maliens ; tandis que la fabrication d’alcool frelaté, dit soum-soum ressort des Ghanéens.
Les autres communautés ne sont pas épargnées par la délinquance, elle y est seulement plus diversifiée. Quarante-trois sénégalais sont ainsi détenus à la prison civile de Nouakchott, pour vol, viol ou drogue. Les peines varient de trois à cinq ans.
Trois sénégalaises sont, quant à elles, détenues à la prison des femmes de Sebkha, populeux département de la capitale mauritanienne.
Une d’entre elles, une domestique, est accusée de vol, l’autre de commerce de drogue et la troisième de zina (relation sexuelle hors mariage). Face à la démission parentale ou familiale et à la précarité des ressources des détenus, l’ambassade du Sénégal à Nouakchott s’active pour apporter une assistance humanitaire, lors des fêtes religieuses, à ses compatriotes ligotés dans les liens de la privation.
Vulnérabilité
Le trafic et la consommation de cannabis est très répandu. Si la possession d’un demi-kilo, considéré, par les juges, comme une importante quantité, expose à des peines plutôt lourdes, les délinquants primaires, pris en possession d’une quantité inférieure à une livre, généralement en petits sachets de « joints », vendu à 1500 UM, écopent d’une peine avec sursis, assortie d’une amende et d’une interdiction de séjour.
Mais l’amende est souvent le début d’une dégringolade catastrophique. Car la précarité de la situation économique de ces petits délinquants occasionne de fréquentes difficultés, dans l’acquittement de leur amende ou de leur caution, entraînant contrainte par corps. Le nombre de jours de détention est alors calculé au prorata des impayés.
En Mauritanie, la précarité de la situation des migrants dans les prisons et la violation de leurs droits sont sources de drames personnels et familiaux. Les blocages établis par l’administration empêchent un travail d’assistance adéquat à ces personnes. Le plus souvent sans ressources et dépourvus, en conséquence, de toute assistance judiciaire, ils vivent leur condition carcérale dans un état de vulnérabilité croissante. Dès lors, ils sont oubliés dans les liens de la détention.
Les condamnés essaient de trouver les moyens nécessaires pour s’acquitter des amendes qui leur sont infligées. Toutefois, 60 % des détenus étrangers n’arrivent pas se les procurer d’où la contrainte par corps. Dans la plupart des cas, ils ont du mal à payer les cautions, lors des libertés provisoires. « C’est là une difficulté majeure », relève maître Niane Youssouf, avocat au barreau de Nouadhibou et chef d’antenne de l’AMDH en cette ville.
Selon lui, « les soutiens familiaux sont inexistants. Certains cherchent recours auprès de leur communauté ». Ne maîtrisant pas les rouages administratifs, les proches de détenus étrangers n’arrivent pas à se procurer le certificat d’indigence qui pourrait les dispenser du paiement des cautions.
Généralement en situation de surpeuplement, la prison accueille bien plus de détenus qu’elle ne peut décemment en loger. Les conditions de détention sont des plus précaires et le lieu devient un véritable mouroir. A Nouadhibou, la prison civile vient certes de se doter des services d’une infirmerie. Mais, conçue pour accueillir soixante à soixante-dix pensionnaires, la prison en entasse cent trente à cent cinquante, dans de très rudes conditions de détention.
« Et elles se sont nettement améliorées, par rapport aux années écoulées… », fait remarquer maître Niane qui y mène régulièrement des visites. Non pas au nom de l’AMDH qui ne dispose pas de fonds pour mener des enquêtes mais au service de ses clients emprisonnés. « Du coup, je peux combiner mes deux fonctions », dit-il en souriant.
A leur libération, les anciens détenus restent à Nouadhibou où les conditions de vie sont meilleures que chez eux. Les opportunités de travail sont plus fréquentes, soulignent-ils. Mais pas seulement de travail : les récidives sont relativement fréquentes, dans le milieu de la drogue.
Répercussion familiale
Une situation pathétique, avec cette femme mauritanienne mariée à un étranger condamné récemment à perpétuité pour meurtre. « Accusé à tort pour un crime qu’il n’a pas commis, mon mari séjourne à la prison civile d’Aleg », s’insurge la dame. « Nous sommes privés de tous nos droits. Au moment du crime, il n’était même pas à Nouadhibou », s’indigne-t-elle.
« Aujourd’hui, je suis veuve, alors que mon mari n’est pas mort ; mes enfants sont orphelins, alors que leur papa est vivant mais loin d’eux. Nous sommes privés de l’être qui nous est cher », déplore-t-elle, la voix engluée de chagrin. Elle ne comprend pas l’attitude de la justice qui a refusé « toutes les preuves irréfutables qui lui ont été fournies ».
La situation de cette dame et de ses enfants n’est guère reluisante : « En location, je suis sans emploi. Dans quelques jours, ce sera la rentrée. Mes deux enfants devront aller dans une école privée. Ce sera une autre paire de manche. Je ne sais pas comment faire face […] Heureusement, une tante m’envoie de l’argent, chaque fin de mois, pour que je puisse m’acquitter de la location. Vous ne pouvez imaginer le calvaire que nous vivons.Je passe la journée avec mes enfants chez mon père et, la nuit, nous rentrons chez nous ».
Cette pauvre femme doit se battre toute seule, pour élever ses enfants. Avec un brin de nostalgie, elle se souvient des gestes désintéressés que son mari effectuait régulièrement, au profit des nécessiteux et autres quémandeurs.
« La maison était toujours remplie mais, aujourd’hui, nous ne voyons plus personne. Tous les amis et parents se sont détournés de nous. Pourtant, mon mari leur a porté assistance. L’ambassadeur de son pays n’a pas été en reste. Il estime que son cas est délicat. Quant à sa famille, elle l’ignore royalement et nous avec. Aucun élan de solidarité, depuis son arrestation, même pas des bonbons pour les enfants ».
Dureté des conditions de vie
Condamné à deux ans, alors qu’en première instance, il en avait écopé cinq, pour avoir fumé un joint, Prince, un jeune sierra-léonais, vient de recouvrer la liberté. « Je ne savais pas que cela était interdit en Mauritanie », nous confie-t-il. Il a compris la dure leçon et radicalement changé d’hygiène de vie : plus de cigarette et, bien sûr, de joint.
Il a arrêté de fumer lors de son séjour carcéral et n’a qu’un seul objectif : réussir dans son travail.
Arrêté le 27 juin 2010, il avait été déféré le 30 du même mois. « J’ai été halluciné par la situation, il y a de tout, là -bas. La prison est dirigée par un chef de cour. Quand vous arrivez, il vous assène qu’il n’y a pas de place, qu’il va falloir payer 10 000 UM pour en obtenir une, sinon, c’est le couloir », narre-t-il.
« En fait, vous êtes obligés de payer pour dormir. Les gardes laissent pourrir la situation en vous déclarant que ce n’est pas leur problème. Et quand vous êtes étranger, c’est pire… à cause de la barrière linguistique ».
« Les conditions de détention sont exécrables », ajoute-t-il. « A défaut d’être copieux, le régime alimentaire des détenus reste le même au fil des jours : le matin, un morceau de pain pour deux personnes, avec du thé. A midi, toujours du riz blanc, sans légumes. Le soir, des macaronis. Une fois tous les trois mois, le mafé (riz à la sauce de gombo) s’invite au menu. N’étant pas habitué à ce régime, j’en ai beaucoup souffert ».
« Sur simple dénonciation, vous pouvez passer de sales moments. Les règlements de compte sont fréquents. Un codétenu peut vous balancer aux gardes, en alléguant que vous êtes en possession d’un téléphone.Et le mauvais tour est joué ». Entre différentes séances de coiffure dans ce salon d’un quartier populeux de Nouadhibou, Prince raconte le calvaire subi par un certain Sékou, accusé de posséder un téléphone portable. Il a été frappé et a failli mourir. Il n’y a jamais eu d’enquête.
Mais, maintenant, il n’y a plus de tabassage, depuis le décès d’un prisonnier à Nouakchott ».
La surpopulation carcérale est vraiment pesante », déplore à nouveau le jeune homme, évoquant la fragilité du système d’assainissement, fréquemment perturbé par la saturation des eaux usées et que les autorités essaient d’améliorer. Les cellules comptent plus de vingt personnes. Les détenus souffrent de promiscuité. Deux toilettes pour quelque cent individus.
Les matelas sont amenés par les prisonniers et loués au plus offrant. Les médicaments font défaut. La semaine dernière, Prince a dû en acheter pour un de ses amis détenus. Celui-ci a été condamné à huit ans de prison, avec deux de ses compatriotes, pour avoir volé 500 000 UM. Ils avaient remboursé la somme mais cela n’a pas suffi à éteindre l’action publique.
L’AMDH a mis, au chevet des migrants, un praticien du Droit, maître El Id Mohameden M’Bareck, spécialement recruté pour les épauler et les conseiller, dans le cadre d’une assistance juridique. « Plusieurs migrants en Mauritanie écopent de peines d'emprisonnement, parfois lourdes, pour la simple raison qu’ils ne comprennent pas la législation du pays », fait remarquer l’avocat.
« Certains ne savent pas, par exemple, que l’alcool et les relations extraconjugales sont interdits par la loi mauritanienne. Devant la Cour, les immigrés, ne sachant s’exprimer ni en arabe ni en français, ne peuvent dire ni ce qu’ils veulent, ni raconter ce qu’ils ont subi.
D’autres signent un procès-verbal de police sans en comprendre le contenu. Et cela leur coûte souvent cher car les juges mauritaniens se basent sur ces PV, sans demander approfondissent d’enquête […] Une fois condamnés, la plupart des migrants ne savent pas comment introduire un recours et ne maîtrisent pas le délai requis ».
Thiam Mamadou